Dans "Le roman vrai du curé de Châtenay 1871-1914 " (Ella éditions), Alain Denizet retrace un fait divers du début du XXe siècle très médiatisé : la disparition subite de l’abbé Delarue, curé de la commune de Châtenay (Eure-et-Loir). Mage, hyène, récompense... Tout est utilisé pour le retrouver.

Le livre commence le 24 juillet 1906 : ce jour-là disparaît l’abbé Joseph Delarue, curé de Châtenay. “C’est un coup de tonnerre dans la petite paroisse, car c’est un prêtre qui est aimé de ses paroissiens, qui est bon, tolérant même vis-à-vis des incroyants. Sa disparition est inexplicable, parce qu’il n’avait jamais laissé d’indice d’un homme contrarié par quoi que ce soit”, raconte l’auteur, Alain Denizet, agrégé d’histoire à la retraite.

On impute très vite sa disparition à un assassinat”, poursuit-il, à cause du contexte politique et religieux de l’époque. En effet, en décembre dernier a été promulguée la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, et l’opposition est toujours virulente entre les cléricaux et les anti-cléricaux, alors accusés d’avoir tué le prêtre. “Des battues sont organisées par des paysans, par des châtelains, par les journaux également. Cela ne donne rien”, narre l’historien.

Mage hindou et hyène

La presse rivalise alors d’imagination pour tenter de retrouver des indices, ou mieux, le corps. Le Journal, l’un des principaux quotidiens populaires qui tire à 500.000 exemplaires, missionne un mage hindou qui retrouve le vélo de l’abbé, trois semaines après sa disparition. “Etait-ce une mise en scène ? Je ne sais pas”, admet Alain Denizet.

Un autre journal d’envergure, Le Matin, “fait venir une hyène qui est censée renifler à plus d’un mètre de profondeur les cadavres enterrés”, ajoute-t-il. Mais l’animal, visible ci-dessous, ne trouve rien. 

Ce quotidien promet même 1.000 francs à qui “rapportera l’abbé Delarue mort ou vivant”, une somme qui correspond à cinq ou six mois de salaire d’un ouvrier à l’époque !

Il réapparaît le jour de ses funérailles

A la suite d’un témoignage tardif, le juge d’instruction d’Etampes conclue à l’assassinat de l’abbé, sans même avoir retrouvé le corps. Ses funérailles ont donc lieu le 24 septembre 1906, deux mois après sa disparition. 

Coïncidence extraordinaire, le même jour, l’abbé est découvert vivant à Bruxelles en compagnie de sa maîtresse, enceinte de 6 mois”, assène Alain Denizet. La maîtresse en question, c’est Marie Frémont, l’institutrice de l’école de Châtenay. 

Cette nouvelle fait le tour des médias de l’époque, nationaux mais aussi internationaux. L'historien rapporte que certains se démarquent cependant par leur violence comme le très clérical journal La Croix : "il couvre l’abbé Delarue d’injures”, quand la rédaction découvre qu’il s’est fait la belle avec une femme, alors qu’il était présenté jusque-là comme un martyr assassiné. 

A l’inverse, des caricatures très moqueuses sont publiées dans certains quotidiens ou sous forme de cartes postales (comme ci-dessus), et “la presse anti-cléricale attaque l’hypocrisie de l’Eglise” sur les questions de la chasteté ou du célibat des prêtres. “C’est une affaire qui a tellement fait rigoler les anti-cléricaux qu’ils se sont emparés de ça”, explique-t-il.

Leurs mémoires contre 5.000 francs

Plutôt anti-clérical mais pas de façon affichée ni radicale, Le Matin gagne le gros lot : il obtient de Marie Frémont et de l’abbé Delarue le récit de leur histoire, leurs “mémoires”, contre 5.000 francs. Leurs confessions sont publiées pendant 40 jours sous forme de feuilleton.

On découvre alors que la jeune institutrice, novice c’est-à-dire "éduquée par la religion catholique à n’aimer aucun homme", tombe tout de suite amoureuse de l’abbé Delarue quand elle arrive à Châtenay en septembre 1903. “D’une certaine manière, c’est une femme qui a su s’émanciper de tout ce qui lui avait été enseigné”, souffle l’historien. 

Ils ont raconté comment ils se sont rencontrés, comment ils ont résisté à la tentation de l’amour, comment finalement ils se sont aimés, comment ils l’ont vécu comme une faute par rapport à leur engagement religieux”, poursuit-il.

Cela ne les empêche pas de vouloir se marier. Mais ce n’est pas du goût de l’Eglise qui fait alors tout pour séparer le couple illégitime. On ne va pas tout vous raconter ici, on vous laisse le soin de lire l’ouvrage si vous voulez connaître le fin mot de ce scandale rocambolesque (voir les infos pratiques au bas de l'article).

Les lettres des deux amants

Digne d’un roman, ce livre est le fruit de trois ans de recherches de la part d’Alain Denizet, qui a croisé archives départementales, nationales et documents privés. 

J’ai retrouvé la correspondance entre l’abbé Delarue et Marie Frémont, aux archives des jésuites à Vanves. Quand vous avez une quarantaine de lettres privées, c’est évidemment très différent de ce qui est raconté dans la presse, savoure l'historien. Là, vous avez de l’intérieur ce qui s’est vécu entre un homme et une femme qui a priori n’avaient pas le droit de s’aimer.

"Il ne faut jamais perdre de vue que Marie Frémont et surtout l’abbé Delarue sont persuadés d’avoir commis un péché mortel qui peut les mener en enfer", insiste-t-il.

Le célibat des prêtres toujours d'actualité

Au-delà du drame intime, l’historien y voit une histoire “à nulle autre pareille”, non seulement avec “ses aspects spectaculaires, grand-guignolesques à certains égards”, mais aussi avec la résonance qu’elle trouve de nos jours.

Le célibat des prêtres, la chasteté sont des thèmes toujours aujourd’hui grandement débattus au sein de l’Eglise et qui vont l’être de plus en plus, puisqu’il y a des groupes catholiques progressistes qui militent ouvertement pour le mariage des prêtres et également pour l’ordination des femmes”, assure-t-il.

Un sujet qui parle aussi à l’enfant qu’il était. A l’époque “un prêtre que j’aimais beaucoup nous a annoncé en fin de messe qu’il allait se marier”. Ce livre serait aussi une manière de saluer le courage extraordinaire de ceux qui prennent le risque de s’émanciper de leur condition.

Fiche du livre

Le roman vrai du curé de Châtenay, 1871-1914

Editeur : Ella éditions

Auteur : Alain Denizet

Préface d'Olivier Cojan

Prix : 20 €

Alain Denizet est né en Eure-et-Loir en 1959. Agrégé d’histoire-géographie, il a notamment écrit Enquête sur un paysan sans histoire, le monde d’Aubin, 1798-1854 et L’Affaire Brierre, un crime insensé à la Belle Epoque.

En savoir plus : alaindenizet.fr

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