"L’entrée dans la criminalité valorise leur existence", des tueurs à gages de plus en plus jeunes dans le narcotrafic à Marseille

À Marseille, le phénomène des jeunes tueurs à gages se développe. Une semaine après deux meurtres sur fonds de trafic de drogue, le livre "Tueurs à gages. Enquête sur le nouveau phénomène des shooters", écrit par trois journalistes du Parisien, sort en librairie. Jérémie Pham-Lê, l'un des auteurs, nous livre une photographie de ce phénomène en expansion.

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En une semaine, deux meurtres sur fonds de trafic de drogue ont eu lieu à Marseille. Le 2 octobre, un adolescent de 15 ans a été lardé de 50 coups de couteau avant d’être brûlé vif. Deux jours plus tard, un chauffeur VTC âgé d’une trentaine d’années a été abattu de plusieurs balles au volant de sa voiture à Marseille. Le suspect est un jeune de 14 ans. Nicolas Bessone, procureur de Marseille, qualifie ces meurtres d’une "sauvagerie inédite" et dénonce un "ultra rajeunissement" de ces tueurs.

Les grands reporters du Parisien, Jean-Michel Décugis, Vincent Gautronneau et Jérémie Pham-Lê, n’espéraient pas une telle promotion pour leur ouvrage Tueurs à gages. Enquête sur le nouveau phénomène des shooters, disponible en librairie depuis le 9 octobre. Dans leur livre, ils scannent les profils de ces jeunes tueurs, âgés de 16 à 20 ans. Mais depuis la semaine dernière, la fourchette baisse encore, avec un jeune de 14 ans auteur d’un crime. "Celui qui a tué Socayna avait 15 ans, c’était déjà un profil jeune. Mais là, c’est un record de précocité", se désole Jérémie Pham-Lê, qui insiste sur le fait que juridiquement, l’excuse de minorité ne peut être levée dans ce cas. "Ce rajeunissement dans le trafic est effrayant", insiste l’un des auteurs.

La DZ Mafia, une "franchise criminelle qui inspire la terreur"

Nassim Ramdane, un Marseillais de 36 ans, père de famille, a été tué au volant de sa voiture par un jeune de 14 ans. Comme Socayna, Nassim est une victime collatérale du trafic de drogue qui gangrène la cité phocéenne. La cible initiale était un membre des "Blacks", et le meurtre était commandité par un détenu de la prison de Luynes, âgé de 23 ans, surnommé "le H". Ce dernier revendique appartenir à la DZ mafia, un des clans de trafiquants de drogue marseillais.

Revendication que nie la DZ Mafia dans une vidéo publiée le 9 octobre. "On sait qu’il a des problèmes psychiatriques, explique Jérémie Pham-Lê, qui a travaillé sur cet homme – qui avait déjà commandité un jeune parisien de 17 ans pour tuer quelqu’un à Marseille. Il est possible qu’il le fasse sans en faire partie, mais la cible qu’il souhaitait assassiner a un lien avec le clan de la DZ".  Mais alors, pourquoi se revendiquer membre de cette organisation criminelle ? 

De nombreuses personnes se réclament de la DZ Mafia, car c’est désormais une franchise criminelle qui inspire la terreur.

Jérémie Phem-Lê, un des auteurs du livre "Tueurs à gages. Enquête sur le nouveau phénomène des shooters"

Dans cette vidéo, la DZ mafia évoque également l’âge du tueur. "Nous ne souhaitons par ailleurs qu'aucun jeune enfant de la cité phocéenne ou d'ailleurs ne soit impliqué, ni de loin, ni de près. Que des enfants de 14, 15 ans ne soit plus impliqués dans de telles histoires en tant que victimes ou coupables." Une déclaration qui ne manque pas de faire réagir l’un des auteurs du livre. "Ils disent qu’employer des jeunes tueurs à gages, ce n’est pas leur méthode, mais dans notre enquête, on documente des crimes barbares commandités par cette organisation. Elle emploie des méthodes brutales et cruelles".

"C’est de la main-d’œuvre jetable"

Ce rajeunissement, les trois journalistes le documentent. Jérémie Pham-Lê explique que le Covid a accéléré l’uberisation du trafic de stupéfiants, avec des auteurs des meurtres qui sont soit des très jeunes majeurs de 18-19 ans, ou bien des mineurs de 16-17. En 2023, 49 personnes sont mortes à Marseille, sur fonds de trafic de drogue. Quel est l’intérêt de recruter ces adolescents ? "Ils sont facilement manipulables, ils ne voient pas les risques qu’ils prennent et qu’ils encourent, détaille-t-il avant d’illustrer son propos avec l’exemple de Mattéo, auteur de six meurtres, qui pensait sortir rapidement de prison. Ils sont plus réceptifs aux formes de promesses d’argent. C’est une jeunesse déstructurée, c’est facile de les recruter."  

Il explique d’ailleurs qu’avec ces jeunes shooters, les missions échouent souvent, comme le montrent très bien les deux faits divers énoncés en avant-propos. "Ces jeunes tueurs à gages sont rapidement identifiés, car ils sont imprudents, brutaux, immatures et qu’ils laissent des traces. C’est facile de remonter jusqu’à eux. Mais c’est plus difficile d’identifier les chaînes de commandement derrière." On est bien loin de l’image du tueur à gages discret, avec son silencieux, scrupuleux de ne laisser aucune preuve sur les lieux. Et l’espérance de vie de ces jeunes est courte. Pour eux, c’est la mort ou la prison. "C’est de la main-d’œuvre jetable", lâche Jérémie Pham-Lê.

Si les tueurs à gages sont de plus en plus jeunes, il n’y a pas de "profil type", mais au contraire, une certaine diversité. Si certains étaient des petites mains, des guetteurs ou des charbonneurs dans le trafic, d’autres sont rentrés dans la criminalité sans antécédents dans l’organisation. "C’est ce qui est inquiétant", confie le journaliste. Ce phénomène est en pleine croissance, avec des équipes de tueurs à gages en région parisienne, autour de Lyon, à Dijon, à Nantes… des zones où il y a un marché.

Les réseaux sociaux, le "supermarché du crime"

Pour Jérémie Pham-Lê, l’appât du gain n’est pas la seule motivation de ces jeunes pour "devenir des portes flingues de la mafia". "Les sommes sont dérisoires, on parle de 10-15 000 euros, et bien souvent, ils sont arrêtés avant même de recevoir l’argent", souligne le journaliste. Les reporters du Parisien comparent cela au phénomène djihadiste, dont les ressorts sont assez comparables. "Il y a un attrait pour la violence, avec des jeunes déstructurés et des environnements familiaux parfois chaotiques." 

L’entrée dans la criminalité valorise leur existence, avec le sentiment d’être un guerrier et d’appartenance à un groupe, notamment la mafia qui est fantasmée par les séries télévisées.

Jérémie Phem-Lê

Et dans le cas des shooters, le recrutement se fait lui aussi sur les réseaux sociaux, qui jouent un rôle majeur. "C’est effrayant. Tout est commandité via Signal, Télégram ou Snapchat", souligne Jérémie Pham-Lê. Il détaille que les réseaux sociaux ont aboli les frontières. Avant, les organisations criminelles recrutaient directement au sein des quartiers. Maintenant, il n’y a plus de frontière. "Il y a une facilité dans les contacts entre le réseau et les exécutants. C’est un peu le supermarché du crime. La criminalité est surpuissante."

Le téléphone, le prix de la paix sociale en prison

À Marseille, 85 % des meurtres ont été commandités depuis la prison, en 2023. Jérémie Pham-Lê soulève le paradoxe que la prison est censée préparer la réinsertion. "Ce qui est nouveau et effrayant, c’est que c’est au sein des prisons que tout se passe. Les têtes continuent de gérer leur réseau et à commanditer des meurtres." Il prend l’exemple de Mamine, Gaby ou La brute, des chefs de la DZ Mafia, qui sont incarcérés pour des assassinats commis récemment ou pour trafic de stupéfiants. "Depuis leur cellule, ils sont des commanditaires et des gérants de l’organisation criminelle." Il reprend l’exemple récent du "H", incarcéré à Luynes, où il est supposé ne plus avoir de contact avec l’extérieur et qui commandite des meurtres. "Pourtant, même en étant à l’isolement, où il est normalement impossible d’avoir un téléphone, il a fait ça."

En échangeant avec des surveillants pénitentiaires durant leur enquête, ces derniers observent "des prisons à la mexicaine", avec des téléphones qui circulent très facilement. "Mais le téléphone est un facteur de paix sociale au sein des centres de détention, et calme certains détenus. C’est le prix de la paix dans les prisons et en contrepartie, la criminalité se développe."

"Mexicanisation" du trafic de drogue

Au cours de leur enquête, les trois journalistes du Parisien remarquent un phénomène de "mexicanisation" du trafic de drogue. "Les personnes interrogées pour le livre utilisent le lexique des cartels mexicains, les gangs deviennent de véritables mafias. Ça dépasse le trafic, avec cette criminalité. Il y a une montée en puissance de ces gangs qui investissent le pays, avec des méthodes employées qui sont violentes, avec des jeunes qui tuent. Il y a une mexicanisation dans la montée en puissance et la structuration des mafias. Et c’est ce que l’on voit à Marseille", insiste-t-il avant de reprendre l’exemple de la vidéo mise en ligne par la DZ Mafia. 

C’est un communiqué stupéfiant pour l'autorité de l'État. C’est une conférence de presse médiatique qui rappelle l'Amérique latine, le Mexique et le cartel tout-puissant.

Jérémie Phem-Lê

Selon lui, la criminalité organisée est à la fois éclatée et structurée, qui s'organise en mafia et ramification. 

Lors de la commission d’enquête sur le narcotrafic réalisée à Marseille en mars dernier, Isabelle Couderc déclarait : "Nous sommes en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille". "C’est une guerre asymétrique", déclare Jérémie Pham-Lê. "Le trafic génère beaucoup d’argent. Ils ont des moyens financiers pour convaincre, recruter et se développer. La justice française est faible face à ça. Malgré les volontés politiques, le vainqueur, c’est le narcotrafic."

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