Après le meurtre du chauffeur de VTC Nessim Ramdane, le procureur de Marseille, Nicolas Bessone, affirmait dimanche dans sa conférence de presse qu'un meurtre commis par un adolescent de quatorze ans était le signe qu'un nouveau cap venait d'être franchi par les narcotrafiquants. Son bilan après une semaine particulièrement violente à Marseille.
Nicolas Bessone, le procureur de Marseille, a fait de la lutte contre le trafic de stupéfiants sa priorité. Il y a quelques mois, des magistrats ont affirmé devant le Sénat qu'à Marseille, la guerre contre le narcotrafic était en passe d'être perdu. Après un an d'exercice dans la cité phocéenne, sous fond de guerre des gangs, il nous livre son analyse de la situation.
À Marseille, un "phénomène massif" ?
Nicolas Bessone : Nous avons 128 points de deal référencés sur une ville d'un million d'habitants. C'est effectivement une particularité de la cité phocéenne. Quand vous avez sur le tribunal de Marseille, 2000 personnes mises en examen pour des faits liés au narcotrafic et aux narchomicides, que vous avez 795 personnes qui sont en détention provisoire dans des dossiers d'instruction matière, on peut dire qu'on a un phénomène qui est relativement massif. Et si on veut le juguler, et si on veut même le repousser, évidemment ça s'accompagnera de moyens.
Les narcotrafiquants recrutent des hommes de main de plus en plus jeunes ?
Nicolas Bessone : On l'a vu ce week-end avec un tueur à gages de quatorze ans, un jeune aussi de quinze ans qui a été assassiné. Depuis deux ou trois ans, on se rend compte que les auteurs d'assassinats dans le narcotrafic sont jeunes. Ils ont entre dix-sept et vingt-cinq ans. Et là, coup sur coup, on voit que nous avons des personnes qui sont dans ces mouvances qui ont quatorze et quinze ans. Évidemment, cet ultrarajeunissement nous inquiète.
Il nous faudrait arriver naturellement à les extraire de ce milieu-là, à les placer dans un environnement extérieur. On met en place des suivis personnalisés avec la protection judiciaire de la jeunesse.
Avec vidéo attribuée à la DZ mafia, bascule-t-on dans un système mafieux ?
(NDLR : cette vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, n'est pas encore authentifiée. Les hommes qui se prétendent de la DZ Mafia y affirment que ce n'est pas leur mode opératoire, ni leur méthode).
Nicolas Bessone : Il s'agit véritablement, comme on peut le penser, de personnes de la mafia. On a basculé, oui. Qui revendique ses crimes ou dément ces crimes ? C'est les organisations terroristes qui sont dans une idéologie du faire savoir.
D'ailleurs, c'est assez impressionnant. On a repris la scénographie des grandes années FLNC. Quand vous êtes dans une logique mafieuse, il ne faut pas avoir peur d'employer les mots. Vous avez un contrôle d'un territoire, vous dominez la population locale, mais vous faites aussi ruisseler quelques miettes et vous avez besoin d'un consensus social. En tout cas, et il se pourrait que ce démenti a eu pour objet de contrer la révolte populaire sur ce type d'agissements.
Les policiers se disent démunis face au trafic. Les magistrats croulent sous les dossiers. Qu'est-ce que vous attendez de l'État ?
Nicolas Bessone : Une réforme indispensable passe par une cour d'assises spécialement composée pour juger les crimes commis par les narcotrafiquants. Et la triste actualité récente le démontre. Il faut un régime pénitentiaire adapté, mais ils sont inondés par le nombre de téléphones portables, par tout ce qui rentre en détention. Et donc il faut, à notre sens, un régime pénitentiaire particulier pour ce type de profil pour que, a minima, il ne continue pas à commanditer des assassinats ou à gérer leurs points de deal depuis l'intérieur de la détention. Le produit des trafics de stupéfiants, on dit que c'est de l'ordre de 3,5 milliards d'euros. Les confiscations, les saisies, l'année dernière, en matière de stupéfiants, c'était de l'ordre de 400 millions d'euros. Ce n'est pas négligeable. Nous pouvons faire mieux, mais en créant des juridictions spécialisées sur cet aspect "confiscation" qui permettrait de dire, vous gravitez dans un environnement criminel, vous avez des signes extérieurs de richesse sans commune mesure avec vos revenus déclarés, on prend tout et c'est à vous de justifier l'origine des biens.
>>> Un entretien réalisé par Nathalie Perez pour France 2 et diffusé dans le journal de 20H ce 9 octobre 2024.