"Les journées sont plus longues que d'habitude et les nuits c'est encore pire", l'isolement, la douleur des plus âgés

Gilberte Troquet, 92 ans, vit dans un hameau en Eure-et-Loir. La solitude et l'isolement rythment son quotidien comme pour la plupart des plus âgés, confinés chez eux en pleine campagne.
 

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L'idée de ne pas pouvoir sortir rend Gilberte malheureuse. Malvoyante et un peu sourde, cette nonagénaire de Montigny-le-Chartif (Eure-et-Loir), entre Chartres et Le Mans, vit dans une maison isolée. L'éclairage timide y révèle un intérieur qui semble comme arrêté aux années 1950: une pièce commune bien entretenue avec une cuisinière à bois, une table, une toile cirée.
Un masque bricolé avec du papier ménager sur le visage, assise devant son horloge dont elle arrive à deviner les chiffres, cette ancienne agricultrice vit "très difficilement" le confinement. Alors les visites de son fils Jean-Michel, 64 ans, garagiste retraité, la soulagent. "On vit comme d'habitude", se rassure cet homme à la grande barbe, portant bottes et casquette.
"On ne sait pas jusqu'où ça peut aller le virus", s'inquiète sa mère, une petite dame frêle et très digne.

La "guerre sanitaire" annoncée par le président Macron, le 16 mars, lui rappelle la guerre de 1939. "On n'était pas bien aussi. On ne trouvait plus rien", se souvient-elle.

Les oiseaux qui chantent, le soleil, ne sont qu'un maigre réconfort. Ses journées sont plus longues que d'habitude et "les nuits c'est encore pire". Elle pense au confinement, se réveille au moindre bruit. Et le téléphone qui sonne pour des démarchages abusifs. "Heureusement qu'il y a mon fils qui vient, et le boulanger", confie-t-elle.
  

"On ne peut voir personne" 

Comme partout en France en cette période où s'expriment les solidarités, en zone rurale artisans et soignants font le lien avec les personnes âgées isolées dans les villages. Non loin de chez Gilberte, Arnault Carnis, le boulanger de la commune de Chassant, livre en camionnette son pain et ses produits d'épicerie, protégé par un masque. De petits déplacements qui pour ses clients veulent dire beaucoup.
 
A Combres, à trois kilomètres de là, il n'y a plus aucun commerce. Sourire aux lèvres, Yves Zara, 82 ans, ancien jardinier en région parisienne, récupère ses deux baguettes, protégé par une visière pour débroussailleuse. Henri Gastebois, 80 ans, habite la dernière maison à la sortie de Combres avec son épouse Danielle, 77 ans, ex-auxiliaire puéricultrice. Même à deux la solitude est pesante. "On ne peut pas voir nos enfants. On ne peut voir personne. Et là on a une tante qui vient de décéder, on ne peut même pas aller à l'enterrement", résume Danielle.
Leur vie "c'est la maison. On ne bouge pas". Leurs seules visites: le boulanger et la fille de Danielle qui vient leur apporter les courses.  Le jardinage, "je vais en faire un petit peu quand même cette année, quelques tomates, quelques fraises et puis c'est tout, pour dire qu'on a un peu de légumes", lâche le vieil homme gouailleur. Sa femme, elle, souffre d'une fracture au bras et continue de se soigner mais ne va plus chez le kiné. Elle fait sa rééducation toute seule.
Mais le couple n'oublie pas sa chance.

On peut sortir sur notre terrain. Je pense à ceux qui sont dans Paris dans un petit appartement avec des gosses, dit Danielle.

A Combres, à part l'aide ménagère qui passe "pour la toilette" trois fois par semaine, et le boulanger, plus personne ne vient chez Odette Neveu, qui aura 90 ans dans quelques jours.
Face à la solitude, sa seule porte sur le monde est sa fenêtre. "Les journées sont longues", dit-elle. Elle a perdu son fils, un an avant son mari. Il ne lui reste que ses filles dont l'une "habite derrière, elle peut descendre".
Quand le boulanger de Chassant passe, il livre par la fenêtre. Odette lui remet alors sa liste de courses. Être confinée, "c'est triste, parce qu'on ne voit personne", soupire-t-elle. Alors Odette téléphone à ses voisins. Pas le choix. "On est chacun chez soi, à cause de leur cochonnerie", lâche Odette en riant et en roulant les "R".
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