Législatives 2024. "Maintenant, c'est normal de s'autoproclamer raciste" : les jeunes tiraillés entre la gauche et l'extrême droite

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À 10 jours des élections législatives, France 3 est allé à la rencontre des jeunes du Centre-Val de Loire, pour connaître leurs intentions de vote, et les sujets qui les mobilisent. En ressort une polarisation presque totale entre l'extrême droite et la gauche, terrifiée par la possibilité de voir le Rassemblement national au pouvoir.

Le soleil commence à être bas dans le ciel. Les voitures fusent, et dépassent allègrement les 50 km/h, sur l'avenue principale qui traverse Bellegarde. Un groupe de quatre jeunes hommes marchent sur le trottoir, ils viennent de quitter leur établissement scolaire. Deux d'entre eux, Baptiste et Kelvin, ont tout juste 18 ans.

Aux européennes, Baptiste a voté pour la première fois. "J'ai voté Bardella, extrême droite", dit-il fièrement. Il plaide pour “une restructuration de la France”, sans pouvoir “bien expliquer” ce qu’il veut dire par là. Il voit en l'immigration "un gros problème", et pense que le RN peut "régler pas mal de choses". Il parle de "quartiers mal famés, de rodéos de rue, de vols" qui seraient, selon lui "souvent liés à des sans-papiers". Dressant un parallèle entre délinquance et immigration très hasardeux.

Voire "illusoire", selon deux chercheurs du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii). Entre probabilité plus forte de contrôles, différence de traitement par l'institution entre Français et étrangers, et l'existence d'infractions spécifiques aux personnes sans-papiers, la surreprésentation des étrangers dans les prisons françaises - qui est une réalité - s'explique.

Un parti désormais fréquentable ?

Reste que 52% des Français estiment que l'immigration est la principale cause de l'insécurité. Dans le village loirétain de 1 400 âmes, le Rassemblement national a empoché 43% des voix aux dernières élections européennes. Même si, ici, "il n'y a pas vraiment de problème" d'insécurité. Kelvin est sur la même ligne. Sa première préoccupation : l’immigration. "Les migrants c'est un problème, on en a énormément", estime-t-il.

Lui dénonce les aides dont bénéficieraient les étrangers, aux dépens des Français. "Nous payons des impôts pour nous, Français, lance-t-il. Il faut utiliser ces sous-là pour aider la France", pour "les familles françaises en difficulté". Il se dit favorable à la préférence nationale. C'est-à-dire, dans une situation identique, la discrimination d'un étranger au profit d'un Français, un classique du programme du FN puis du RN. Y compris contre des étrangers qui paient leurs impôts en France ? "Ça, je ne m'y connais pas forcément, je ne peux pas vous donner mon avis."

Pour eux, “le RN est un parti comme les autres, égal aux autres, il n’a juste pas les mêmes convictions”. Et qu’importe l’histoire du parti. Pour eux, Jordan Bardella n’est pas Jean-Marie Le Pen. "Si à l'époque, il n'était pas fréquentable, c'était pour des bonnes raisons, mais les personnes infréquentables ne font plus partie du parti", lance Éléonore, 25 ans, croisée dans les rues de Chartres.

Sauf que Bellegarde se trouve dans la cinquième circonscription du Loiret, celle où le RN a choisi d’investir comme candidat Jean-Lin Lacapelle, un proche de Marine Le Pen, militant du Front national dès les années 80. Il est aussi ami d'anciens militants du Groupe union défense (GUD), groupuscule fascisant violent entré en sommeil en 2002 et réactivé depuis 2022, et est resté proche de ses anciens camarades de lutte et de la "GUD Connection" devenue essentielle à l'ascension de la formation d'extrême droite.

Basculement à droite des jeunes hommes

À entendre ce portrait, les deux jeunes hommes semblent hésiter. “Est-ce que je pourrais voter pour lui ? Aussi radical, peut-être pas”, souffle Baptiste. Kelvin semble acquiescer, puis nuance. Au final, “ça dépend de ce qu'il pourrait nous proposer”.

Ce basculement à droite de la jeunesse, notamment en ruralité, est bien identifié. Pour l’Institut Terram, “le sentiment d'abandon” des jeunes ruraux - la dépendance à la voiture, le manque de services publics - “fait le jeu du Rassemblement national”. Notamment dans des campagnes où les personnes racisées sont peu nombreuses.

En ville, c’est beaucoup moins le cas. Le cas le plus flagrant : Dreux. La ville d’Eure-et-Loir, 30 000 habitants, a été marquée par la première grande victoire électorale du Front national, en 1983. 40 ans plus tard, elle est l’une des rares communes du Centre-Val de Loire à avoir placé en tête La France insoumise aux élections européennes. Et pas de peu : la liste de Manon Aubry y a recueilli 38% des suffrages.

De tous les jeunes rencontrés à Dreux, seul un dit vouloir voter RN. Presque unanimement, les autres mettent en avant le Nouveau Front populaire. En particulier les femmes. Plusieurs études récentes constatent ainsi que, partout en Occident, les femmes sont de plus en plus progressistes, et les hommes de plus en plus conservateurs. En France, une étude Cluster 17 pour Le Point montre que les jeunes hommes sont deux fois plus enclins à vouloir renvoyer tous les navires de migrants et expulser tous les sans-papiers que les jeunes femmes.

Reste que, pour l'instant, les plus jeunes électeurs votent plus à gauche que la moyenne nationale. Selon un sondage Elabe pour BFMTV et La Tribune du dimanche, les 18-24 ans placent Le Nouveau Front populaire (NFP) en tête de leurs intentions de vote pour le premier tour des législatives (44%). Très loin devant le Rassemblement national (22%).

Les avis recueillis à Dreux semblent bien refléter cette tendance. "La plupart des gens que je connais, dans mon lycée, sont pour le NFP", assure Yasmine, 18 ans, rencontrée devant la gare.

La peur générale du RN

Elle met en avant "le Smic, la retraite, la Palestine", comme critères déterminants dans son prochain vote pour la gauche. Elle n'a pas voté aux européennes, mais est sûre de voter aux législatives. "Je veux faire barrage au RN", qui "me fait plus peur qu'autre chose".

Pareil pour Léonie, qui sort d'une boulangerie du centre-ville avant une épreuve du bac. Sa première motivation pour voter à gauche : "Faire barrage à l'extrême droite, comme une majorité des jeunes de notre âge". Elle parle de son "combat de tous les jours, avec mes amis, c'est inquiétant de voir le nombre de jeunes qui votent RN".

Pour eux, maintenant, c'est normal de s'auto-proclamer raciste. Je pensais que c'était une honte. C'est grave, parce que c'est puni par la loi. Et maintenant, les gens l'assument.

Léonie, 18 ans

Elle milite pour "l'égalité entre les individus", et préfère voter France insoumise, malgré "les critiques légitimes qu'on peut leur faire". "C'est mieux de voter pour eux, qui défendent les droits de l'Humanité, plutôt que pour l'extrême droite qui anime le conflit entre les citoyens".

Les futurs votants de gauche mettent en avant les droits des femmes, l'environnement, les aides aux minorités et aux plus précaires. Mais, surtout, tous donnent comme première ou deuxième motivation le barrage à l'extrême droite. "Ça me fait très peur, c'est une menace, il faut s'inquiéter, ce n'est pas anodin, ça peut être dangereux pour les personnes racisées, les minorités, les femmes", assure Ophélie, 31 ans, croisée place des Épars, à Chartres.

La Macronie portée disparue

Dans la capitale de l'Eure-et-Loir, le paysage électoral est plus équilibré. Comme dans presque toutes les autres grandes villes de la région, le RN y est arrivé en tête aux européennes (22%), mais avec un score bien moindre qu’au national. Il est d’ailleurs talonné par la majorité présidentielle et le Parti socialiste (18 et 16%). Un partage qui se ressent jusque dans les avis des jeunes recueillis là-bas. Certains votent RN, d'autres à gauche.

Pendant la campagne des européennes, Nina, 20 ans, dit s’être “intéressée à Bellamy”, le candidat des Républicains. Mais aussi à “la dame aux cheveux bouclés”. Manon Aubry ? “Oui !” La droite traditionnelle d’un côté, la gauche radicale de l’autre. “On ne peut faire plus opposés, rit-elle. Je regarde ce qu’ils proposent et je choisis le moins pire.” Ce qui l’intéresse ? “Les aides aux étudiants, aux plus démunis, et les droits des femmes.

De tous les jeunes rencontrés, Nina est la seule, avec Dylan, 25 ans, à vouloir voter LR. "J'ai toujours été droite classique", explique-t-il. Il est pour "une France qui veut travailler, qui est carré sur certaines choses sans aller aux extrêmes". Pourrait-il voter pour un candidat RN-LR ? "S’il partage mes idéaux, pourquoi pas."

Selon le même sondage Elabe, 12% des 18-24 ans pourraient voter pour Les Républicains. Soit plus que pour Ensemble (Renaissance, MoDem, Horizons...). D'ailleurs, de tous les jeunes gens interrogés à Bellegarde, Dreux et Chartres, aucune n'a dit vouloir voter pour le mouvement d'Emmanuel Macron. Et aucun ne l'a même mentionné, ne serait-ce que pour le critiquer. Le macronisme ne semble même plus faire partie de leur équation politique, qui oppose désormais la gauche à l'extrême droite. Et c'est tout.

France 3 a pu interroger, en tout, une trentaine de personnes âgées de 18 à 34 ans. Ce qui ne constitue évidemment pas un échantillon représentatif de la population française. Beaucoup d'autres n'ont pas répondu, affirmant ne pas vouloir voter.

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