L'Eurélien Timothée Adolphe a décroché l'or sur 100m aux championnats d'Europe handisport de Berlin, hier, mercredi 22 août 2018. Il a également établi un nouveau record continental lors des séries en s'imposant en 11''16. Portrait d'un athlète aux ombres multiples.
Ils sont ses "yeux", mais aussi bien plus que ça... Non-voyant, Timothée Adolphe (28 ans) domine le sprint handisport européen depuis bientôt quatre ans sur 100m et 200m.
Déjà double tenant du titre (2014, 2016), l'athlète d'Eure-et-Loir a consolidé son statut d'intouchable en remportant la médaille d'or du 100m hier, mercredi 22 août, aux championnats d'Europe handisport de Berlin. Et comme si cela ne suffisait pas, Timothée Adolphe, aux côtés de Jeffrey Lami, a établit un nouveau record continental (11"16) lors des séries.
Ce règne, il le partage avec ses guides, ses "ombres" comme il les appelle. Le "Guépard blanc" - son surnom - et ses guides seront encore logiquement les grands favoris sur le 200m, vendredi aux championnats d'Europe handisport de Berlin.
Chez ce grand gaillard longiligne aux cheveux coupés ras et bouc blonds, né malvoyant et devenu aveugle à 17 ans après avoir progressivement perdu la vue suite à divers accidents (chute dans des escaliers, coup de coude), le "on" est de rigueur. "L'athlétisme est un sport individuel où les ego sont très forts, mais moi, c'est une discipline collective que je pratique."En réalisant 11"16 au 100m en série, le sprinter non voyant @TimotheeAdolphe établit un nouveau record des championnats dEurope! De bon augure pour la finale à 18h18 ! #Berlin2018 #handisport #athletisme pic.twitter.com/O2Ydy9oHIW
— Florence de Silva (@Flodesil) 22 août 2018
Car les titres qu'il a gagnés, il les doit aussi à ses guides. Yannick Fonsat, médaillé de bronze sur 400 m aux championnats d'Europe "valides" en 2012, en fait partie. Appelé à la rescousse par Timothée Adolphe l'an dernier, le sprinteur de 30 ans s'épanouit désormais dans un univers du guidage qu'il découvre encore. "C'est une aventure humaine incroyable", affirme celui qui guidera Timothée Adolphe sur 200 m vendredi à Berlin. "On fait presque tout à deux. On se voit tous les jours, on s'appelle très souvent et on est devenus de super bons potes."
"Courir dans le noir"
Ce lien qui unit les deux hommes, au sens propre comme au sens figuré, est vital pour être performant. "Pour courir à 30 km/h dans le noir attaché à quelqu'un, il faut vraiment avoir une confiance absolue", martèle Timothée Adolphe, seul athlète handisport interne à l'INSEP, où il s'entraîne généralement 20 à 25h par semaine."J'ai moi-même essayé d'être guidé, et je peux vous dire que c'est très difficile de s'abandonner totalement à quelqu'un", assure Yannick Fonsat. "En course, je suis 'ses yeux', je lui donne la direction, je dois m'adapter à son allure..." La complexité de cette discipline est telle qu'elle a déjà joué de mauvais tours à Timothée Adolphe, qui réside à Epernon (Eure-et-Loire) le week-end. Disqualification aux championnats d'Europe 2014 (poussette du guide à l'arrivée), aux JO-2016, aux Mondiaux-2017 ("cassé" effectué trop tôt) : le natif de Versailles n'a que trop vécu de désillusions. Ce qui ne l'empêche pas d'aborder la distance lors de ces championnats d'Europe avec beaucoup d'ambition, et une petite idée derrière la tête..."On me parle du record du monde du 200 m (22.41): je ne suis qu'à cinq centièmes", explique celui qui a délaissé une carrière de musicien avec son groupe de hip-hop TMRIT pour se consacrer à l'athlétisme. "Mais je n'ai pas envie de me focaliser là-dessus, je sais qu'on vaut mieux que ce record et qu'on le battra un jour. Je préfère me mettre en objectif de courir en moins de 22.20 par exemple".
Yannick Fonsat, lui, ne pense qu'à la victoire : "les records ça se bat, alors que les titres ça reste". Mais quel que ce soit le résultat, les torts ou les honneurs seront partagés... Et même la prime! "Je fais du 50-50 avec mes guides pour les gains de victoire", souligne Timothée Adolphe, qui pense être le seul dans ce cas en France. Une façon de récompenser ses compagnons de course, athlètes confirmés qui ont choisi de passer de la lumière à l'ombre.