Les Editions de Fallois vont publier le 9 octobre prochain un ouvrage regroupant des textes de jeunesse de Marcel Proust restés jusque-là secrets. Sous le titre "Le Mystérieux correspondant et autres nouvelles inédites", ce livre évoque l’homosexualité avec une tonalité unique.
L’année 2019 est décidément l’année de Marcel Proust. Après le Printemps Proustien organisé en mai dernier en Eure-et-Loir pour célébrer le centenaire du Prix Goncourt obtenu pour A l’ombre des jeunes filles en fleurs, un recueil de nouvelles inédites publié par les Editions de Fallois va paraître à la rentrée.
C’est Luc Fraisse, professeur à l’Université de Strasbourg et spécialiste de l’écrivain, qui a fait cette découverte : "j'ai eu la stupéfaction de trouver [ces] textes dont je n’avais jamais entendu parler".
Le célèbre jeune vacancier d'Illiers-Combray avait visiblement commencé à écrire des nouvelles au début des années 1890. Mais Proust n’en a jamais fait mention. "Peut-être à quelques amis mais eux-mêmes n’en ont jamais rien dit. C’est resté complètement
secret", révèle le spécialiste.
Des cartons de papiers légués à la Bibliothèque nationale
Pour comprendre, il faut remonter en janvier 2018 : Bernard de Fallois, éditeur et passionné de l'écrivain de renom, décède. "Il avait signalé dans son testament qu’il avait sept à huit cartons remplis de papiers de Proust qu’il souhaitait léguer à la Bibliothèque Nationale, à la disposition des chercheurs", raconte Luc Fraisse.Ce dernier inventorie alors les documents empilés dans ces cartons, sur la demande du successeur de Bernard de Fallois, et découvrent neuf textes aux titres inconnus : Le Mystérieux correspondant, Le souvenir d’un capitaine…Quand ont-ils été écrits ? Comment l’éditeur les a eus en sa possession ?
Le professeur trouve quelques éléments de réponse grâce à d’autres liasses de papiers anciens de Bernard de Fallois. Ce dernier, avant d'être éditeur, voulait écrire une thèse sur ce qui avait mené Marcel Proust à La Recherche.
Bernard de Fallois réussit à se faire admettre auprès de la nièce de l’écrivain, fouille dans toutes les archives, recense quantités de textes. Il découvre des inédits : Jean Santeuil et Contre Sainte-Beuve, publiés respectivement en 1952 et 1954. Il entre alors dans le monde de l’édition, et abandonne sa thèse.
Proust avant Proust
Il a quand même eu le temps d'en écrire une partie, qui sera publiée après sa mort sous le titre Proust avant Proust. Dans cet essai, l'éditeur évoque le romancier dans les années 1890, où celui-ci commence à écrire.Le jeune dandy a 25 ans quand son premier livre intitulé Les Plaisirs et les Jours est publié en 1896. "Il y a de tout dans ce recueil : des poèmes versifiées, en prose et quelques nouvelles", rappelle Luc Fraisse.
"Or, souligne le professeur, Bernard de Fallois dans son essai signalait des nouvelles supplémentaires qui avaient été écartées" de ce premier livre. Luc Fraisse fait le rapprochement : ce sont les fameux textes qu’il vient de découvrir.
Au total, neuf nouvelles dont certaines inachevées préfigurent le grand écrivain que sera Proust.
"On voyait se préparer A la recherche du temps perdu avec les ancêtres de personnages comme Robert de Saint-Loup, Swann ou encore Odette, détaille le professeur. On y voit déjà la culture de Proust, sa formation philosophique, son esthétique."
Mais on y voit aussi ce que Proust ne fera plus jamais.
Pas de scène scabreuse mais un drame psychologique
Ces nouvelles mettent aussi et surtout en scène l’homosexualité dans une tonalité tragique."Il n’y a pas de scène scabreuse. L’homosexualité est prise comme un drame psychologique c’est-à-dire quelqu’un qui est jeune, qui se découvre homosexuel, qui sait que ce sera pour toute sa vie, et c’est un drame", explique Luc Fraisse.
"Il y a une présence du poids du jugement moral, notamment de la religion catholique, tient à souligner le professeur car cette atmosphère disparaîtra totalement dans A la Recherche du temps perdu, "où au contraire il y aura de l’humour."
Ce qui est aussi "unique sous la plume de Proust" dans ces nouvelles inédites, c’est l’homosexualité masculine qui est évoquée directement. Habituellement, "Gomorrhe sert de prête-nom à Sodome, il transpose l’homosexualité chez la femme" pour pouvoir en parler, analyse Luc Fraisse.
Un traitement de l’homosexualité qui pose problème
C’est d’ailleurs cette question de l’homosexualité qui va inciter Proust à ne pas publier ces textes au sein du livre Les Plaisirs et Les Jours."Il y a quelques nouvelles dans le recueil de la même tonalité.""Or Bernard de Fallois pensait, souffle Luc Fraisse, que ces neuf nouvelles avaient été écartées des Plaisirs et Les Jours, pour ne pas que le thème de l’homosexualité prenne la majorité voire l’exclusivité du recueil".
"Proust ne voulait pas faire basculer son recueil dans un seul sujet", soutient Luc Fraisse, en accord avec l'hypothèse de Bernard de Fallois. Alors pour préserver la grande diversité de ce recueil, il a choisi de les reléguer.
Mais d'autres hypothèses cohabitent : "peut-être aussi n’aboutissait-il pas, une partie des nouvelles étant inachevée. Peut-être le sujet [l’homosexualité, ndlr] l’explique, vis-à-vis de sa propre famille", et de la société.
Le Mystérieux correspondant et autres nouvelles inédites sortira le 9 octobre prochain.