Les cultivateurs de betteraves du Centre-Val de Loire sont dépités et le font savoir en manifestant à Paris ce 8 février. Sans nouvelle dérogation gouvernementale, ils ne pourront pas utiliser de néonicotinoïdes pour traiter leurs cultures au printemps. D'autres déplorent le lobbying pour maintenir cette dérogation au mépris de la biodiversité.
Au petit matin, des tracteurs ont convergé de toute la France jusqu'à Paris. C'est la première fois depuis trois ans que les agriculteurs reviennent manifester dans la capitale. Selon la FNSEA, "près de 500 tracteurs" et "2 000 paysans" ont répondu présent. Aujourd'hui, c'est la colère des betteraviers qui a mis le feu aux poudres.
Le 23 janvier, le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé qu'il n'y aurait pas de dérogation pour l'utilisation des néonicotinoïdes, des pesticides aussi puissants que controversés, également surnommé "tueur d'abeilles".
Cette décision, bien que prévisible, est très mal vécue par les cultivateurs de betteraves. "Nous sommes sans solution", s'agace Alexandre Pelé. L'agriculteur, président de la Confédération générale des betteraviers (CGB) du Centre-Val de Loire, un syndicat affilié à la FNSEA, est écœuré.
"Victoire pour la biodiversité"
De fait, dans toute l'Union européenne, trois néonicotinoïdes sont interdit depuis 2018 en raison de leur impact sur la biodiversité en général et les populations d'abeilles en particulier, en déclin massif sur tout le continent. Néanmoins, 11 États-membres, dont la France et la Belgique, avaient entre-temps adopté des "autorisations d'urgence" pour faire face à la baisse de leurs rendements.
Pour les associations de défense de l'environnement et les écologistes, c'est une excellente nouvelle : "Victoire pour la biodiversité !", a par exemple écrit la Ligue de protection des oiseaux (LPO) sur le réseau social Twitter.
Une décision sous la pression de la Justice
La décision du ministre n'a donc rien d'écologique. Elle est en réalité contrainte par une décision de la Cour européenne de Justice rendue quelques jours plus tôt, le 19 janvier. La plus haute juridiction de l'Union a estimé que les dérogations, mises en place lors des deux années précédentes par le gouvernement français, étaient illégales.
"Je n'ai aucune intention de balader les agriculteurs et en particulier ceux qui sont inquiets", a déclaré Marc Fesneau, lors de son point de presse annonçant la nouvelle en janvier.
"Nous sommes coincés"
La décision de justice a fait l'effet d'une bombe au sein de la filière : " On ne s'y attendait pas. C'est une très mauvaise nouvelle", poursuit Alexandre Pelé. Selon lui, les cultivateurs ne sont pas prêts à faire face à cette interdiction. "On a lancé un plan de recherche, il y a deux ans, pour trouver des alternatives. Mais il n’est pas prêt."
Ce plan de recherche, réalisé en partenariat avec la filière et l'INRAE, a pour mission de trouver des alternatives aux néonicotinoïdes à l'horizon 2024.
On a des prémices de solutions, mais elles ne sont pas encore déployables alors que nous sommes à un mois et demi des semi. Nous sommes coincés.
Alexandre Pelé, président du syndicat betteravier CGB Centre-Val de Loire
Des arguments que ne partage pas du tout la Confédération paysanne : "La filière betterave a eu le temps de se préparer et le conseil de surveillance a été mis en place spécifiquement pour accompagner ce changement. Malheureusement, il semble qu'une majorité de ses membres a plutôt travaillé à assurer la reconduction de la dérogation d'année en année, sans débat", a écrit le syndicat agricole à la suite de la décision de la Cour européenne de justice.
50 % des récoltes détruites
L'inquiétude pour les cultivateurs de betteraves, c'est de revivre un printemps difficile, comme en 2020. À l'époque, la filière des betteraves sucrières avait été extrêmement fragilisée par la prolifération de pucerons vecteurs de jaunisse, une maladie qui bloque la photosynthèse et ralentit la croissance de la betterave.
Les départements de l'Eure-et-Loir et du Loiret avaient été particulièrement touchés, avec une baisse d'environ 50 % du rendement. "C'était une catastrophe", se souvient le patron de la CGB du Centre-Val de Loire.
Notre région est particulièrement concernée par la jaunisse, nous avons des réservoirs viraux.
Alexandre Pelé, président du syndicat betteravier CGB Centre-Val de Loire
Pour l'heure, le gouvernement a annoncé que des indemnités seront mises en place pour aider les cultivateurs éventuellement touchés par la jaunisse, sans pour autant donner de détail. De futures discussions devraient avoir lieu entre les acteurs de la filière et le ministère de l'Agriculture.
Ce 8 février, les représentants des syndicats ont rencontré le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau pour "échanger sur les défis auxquels ils sont confrontés et l'avenir des filières agricoles" explique le ministère. Selon l'AFP, le président du syndicat céréalier, Franck Sander, a assuré que le ministre recevraient une "indemnisation totale" en cas de perte de rendements due à la jaunisse.
La colère des agriculteurs ne désenfle pourtant pas, la FNSEA continue d'appeler à la mobilisation "à partir du 8 février à Paris et jusqu'au 20 février dans toute la France".