"Il nous arrive d'attendre 24h", dans les déserts médicaux, les infirmiers bientôt autorisés à constater un décès

Faute de médecin, un constat de décès peut parfois mettre plus d'une journée à être rédigé. Une expérimentation prévoit de donner l'autorisation aux infirmiers de déclarer un décès dans des cas très précis.

Le coup de fil arrive souvent en pleine nuit, ou au petit matin. "Je crois qu'il est mort" entend alors Sonia Ferre, infirmière libérale. Commence parfois un vrai parcours du combattant pour trouver un médecin : "On arrive, on débranche la personne et après, on attend". 

Tout laisser tomber pour "voir qu'un mort est mort"

Un décès ne peut être constaté que par un médecin, et parfois, personne n'est disponible. Jusqu'à 24h d'attente, pendant lesquels les familles, qui se sont aperçues du décès ou ont été appelées, ne peuvent strictement rien faire : "même pas solliciter les pompes funèbres". 

La faute à des processus compliqués par des lois incessantes affirme Julien Cottet, président de l'ordre des médecins de l'Eure-et-Loir. "On nous met la pression pour que les constats soient faits dans la demie-heure" affirme-t-il, "il n'est pas question qu'un médecin quitte ses consultations dans un désert médical où il est débordé pour voir qu'un mort est mort.

"Imaginez l'état des proches"

Stéphane Maguet en a fait les frais. Ce maire de la commune de Janville-en-Beauce, dans l'Eure-et-Loir, s'est vu appelé pour la première fois peu de temps après son élection en 2020 : "C'était un samedi après-midi" se souvient-il parfaitement. "Les gendarmes m'informent de la découverte d'un corps à domicile."

Une fois sur place, il découvre le problème, aucun médecin pour venir constater le décès : "J'ai tout essayé, le 15, le Samu, qui me répond que les équipes sont là pour s'occuper des vivants, pas des morts. Et je peux le comprendre", concède l'élu.

Ce jour-là, le corps sera finalement transféré chez des pompes funèbres, selon un protocole qui n'est pas destiné à ce genre de cas. Les forces de l'ordre se font alors réprimander par la préfecture, qui renvoie la balle à l'élu municipal. 

"Imaginez l'état des proches" explique Stéphane Maguet : "Ce sont souvent des personnes décédées depuis plusieurs jours, avec des voisins qui se sont inquiétés de ne pas les voir sortir.

Une société qui change

"On ne vit plus en famille comme avant" rappelle Julien Cottet.

Une veuve de 80 ans qui se retrouve toute seule face à son mari mort, n'a plus de soutien et appelle les gendarmes. Une fois sur place, ils ne peuvent plus bouger puisque c'est ainsi que sont désormais faits les processus.

Julien Cottet, président du conseil départemental de l'Ordre des médecins d'Eure-et-Loir

Il ne reste plus au médecin qu'à "passer sur le temps du midi ou après les consultations, bien sûr. Et là on prend le temps avec la famille, pour expliquer, discuter" poursuit Julien Cottet. "Mais en attendant, on met un drap, on ouvre les fenêtres". 

Expérimentation à venir

La loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2023, portée par la députée Loirétaine Stéphanie Rist, prévoit le lancement d'une expérimentation pour permettre aux infirmiers de réaliser ces certificats. Trois régions devraient être choisies, et les modalités précisées dans un texte à venir. 

Une bonne initiative pour Sonia Ferre, mais qui mérite d'être particulièrement encadrée : "Il faut que ce soit pour des infirmières volontaires, formées et rémunérées." Un avis que partage Julien Cottet. 

Une procédure à encadrer

Mais surtout, insiste l'infirmière : "Il faut que ce ne soit que pour des décès attendus de notre patientèle". Un principe qu'approuve Christophe Tafani, médecin et président du conseil de l'ordre loirétain. "Quand on a un patient en phase terminale de cancer, dans le cadre d'un suivi de fin de vie, pourquoi pas.

Tous les deux rappellent que le constat de décès n'est pas un acte anodin. Constater la mort répond à une liste de signes à vérifier accessibles, mais c'est la recherche de la cause qui demande des compétences médicales.

Dès qu'il s'agit d'une mort suspecte, les infirmiers n'auront pas les connaissances, notamment des antécédents du patient. Quoi qu'il arrive dans ces cas, une enquête est ouverte : "Et on ne fera jamais appel à un infirmier", estime Sonia Ferre.

Suicide, mort naturelle ou homicide ?

Dans le cas de la dizaine de décès survenus dans la commune de Janville-en-Beauce depuis 2020, la question peut se poser : suicide, mort naturelle, ou homicide ? Autant de cas pour lesquels les infirmiers ne seront pas en mesure de se prononcer. "Il s'agit aussi d'une question de responsabilité" affirme Christophe Tafani.

Le médecin cite un exemple : "Une fois, on a eu une pendaison, l'homme ne s'était finalement pas pendu lui-même." Une erreur dans la définition de la cause de la mort peut alors avoir de lourdes conséquences.

Aujourd'hui, un système de réquisition peut être mis en place par les maires qui font face à cette situation . "Je n'ai jamais vu la marche à suivre" affirme Stéphane Maguet "et puis si il n'y a personne, il n'y a personne." 

Ce maire d'une commune de 2 600 habitants a désormais les numéros de téléphone de tous les médecins environnants. Il reste lui aussi prudent sur les limites de cette expérimentation. Rappelant tout de même que la plupart des décès surviennent à l'hôpital, où ces cas de figure ne se présentent pas. En Eure-et-Loir, près d'un quart des habitants n'a pas de médecin traitant. 

L'actualité "Société" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Centre-Val de Loire
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité