Plus de trente salariés de 2 Ehpad en Indre-et-Loire ont reçu, la veille du 5 décembre, la visite de gendarmes sur le lieu de travail et à leur domicile, venus les réquisitionner pour assurer la continuité des soins des personnes âgées. La CGT dénonce une atteinte au droit de grève.
Mercredi 4 décembre, veille de la grève générale, Marie*, qui travaille à l’Ehpad de la Vasselière à Monts (Indre-et-Loire), est demandée à l’accueil de l’établissement en milieu d’après-midi. A sa grande surprise, deux gendarmes l’attendent.
"J’ai un mari et des enfants, j’ai pensé à bien à autre chose que la grève sur le moment, souffle Marie*. Ça a un côté traumatisant, cette manière de procéder."
Une fois l’inquiétude passée, la soignante comprend qu’ils viennent lui remettre un ordre de réquisition signé de la préfète d’Indre-et-Loire, pour que soit assuré un service minimum à l’Ehpad le lendemain. Elle est alors étonnée que la réquisition ne soit pas nominative. "Et je n’ai rien signé".
"On m'a empêché de m'exprimer"
Au-delà de la réquisition "brutale", Marie* a par ailleurs le sentiment de ne pas avoir été respectée, car elle avait prévenu en amont sa hiérarchie qu’elle voulait faire une heure de débrayage, pour aller à la manifestation et assurer le travail."Je considère qu’il y a un service minimum à assurer, reconnaît la salariée. Mais cette réquisition l'oblige à travailler, car tout refus constitue un délit passible d'une peine d'emprisonnenement de six mois et de 10.000 euros d'amende. "On m’a empêché de faire grève, de m’exprimer", assène-t-elle.
Un effectif complet et non pas minimum
Marie* se dit aussi "choquée" par le nombre de personnes qui se trouvent dans la même situation qu’elle : "on n’était pas en service minimum, mais en effectif maximum".Dans l’Ehpad de La Vasselière une douzaine de personnes avait en effet été réquisitionnée, et 19 à l’Ehpad de la Maison de Beaune, à Ballan-Miré. Les réquisitions étaient remises en main propre soit sur le lieu de travail soit au domicile, parfois le soir à des heures indécentes.
Droit de réquisition dans le privé, mais...
Alertée par les salariés des deux établissements, la CGT d’Indre-et-Loire dénonce une atteinte au droit de grève de la part de la préfecture et des pressions de la Mutualité Française Centre-Val de Loire, organisme privé qui dirige ces deux Ehpad. "Jusqu’à présent, explique Marie-Pierre Martin, déléguée syndicale, il pouvait arriver que lors d’une journée de grève, le mouvement soit tellement important que la direction soit obligée de faire appel à la réquisition préfectorale. Et effectivement, la loi prévoit d’assurer la continuité des soins et la sécurité des résidents accueillis."
Le préfet a le pouvoir, d’après l’article L. 2215-1 du code général des collectivités, de requérir les agents en grève d’un établissement de santé même privé, dans le but d’assurer le maintien d’un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients et la continuité des soins.
... Des réquisitions anticipées "hors du cadre légal" ?
"Mais il y a eu énormément de pressions de la direction des Ehpad déjà en amont, affirme Marie-Pierre Martin, avec des appels au domicile, des demandes réitérées sur le lieu de travail", pour savoir si les personnels allaient faire grève ou non."La direction générale de la Mutualité a fait connaître à la préfecture sa difficulté à ne pas savoir qui serait en grève, poursuit-elle, et donc elle demandait qu’il y ait des réquisitions".
Le fait que celles-ci soient faites la veille change tout pour la CGT, car les difficultés ne sont pas encore constatées que la réquisition est déjà mise en place. C’est "pour nous hors du cadre légal", s'insurge Marie-Pierre Martin.
La Mutualité conteste toute pression
De son côté, Dominique Bardou, directeur général de la Mutualité Française Centre-Val de Loire, conteste toute pression en amont de la grève : "c’est mensonger, il n’y a en pas eu."Il affirme avoir suivi la procédure habituelle : "quand il y a une grève déclarée, on demande aux professionnels s’ils sont grévistes. Bien entendu ils ne sont pas obligés de nous répondre, certains disent 'on va faire grève', d’autres rétorquent 'vous verrez bien le jour même'. C’est la raison pour laquelle on s’est parfois retrouvé en difficultés, par exemple on ne pouvait pas coucher les personnes âgées."
Hors de question de contrevenir au droit de grève
Pour Dominique Bardou, il est cependant "hors de question de contrevenir au droit de grève qui est un droit constitutionnel". Mais il faut trouver un équilibre pour "assurer la continuité des soins".C’est pour cette raison que la direction confirme avoir "demandé à la préfecture de pouvoir réquisitionner des professionnels qui seraient en grève le 5 décembre, pas le 4, de façon à ce que le moment venu on puisse réquisitionner des personnes et assurer un service minimum pour la prise en charge des personnes âgées."
"Il y a eu un loupé"
Alors pourquoi des notifications la veille ? "Ce n’était pas notre demande, assure le directeur général. Notre demande, c’était d’avoir les réquisitions pour le 5.""Il y a eu un loupé, admet-il. Est-ce que c’est la préfecture qui a pris l’initiative ? Est-ce qu’on s’est mal exprimé ? L’objectif n’était pas d’empêcher les gens de faire grève" et de réquisitionner un effectif plein.
"On n'aurait pas réquisitionné tout le monde"
La direction de la Mutualité Française Centre-Val de Loire souligne par ailleurs que les réquisitions n’étaient pas entre ses mains."La procédure habituelle c’est qu'elles nous sont données, à nous", explique Dominique Bardou. Si cela avait été le cas, "il est évident qu’on n’aurait pas réquisitionné tout le monde, c’est en fonction du nombre de personnes qui se mettent en grève" pour avoir un effectif minimum.
Contactée, la préfecture chercherait actuellement d'où a pu venir ce dysfonctionnement. La CGT d’Indre-et-Loire a d’ores et déjà rendez-vous avec un avocat la semaine prochaine pour voir les suites juridiques à apporter.
*Le prénom a été modifié.