Ce matin-là, le jour même de la libération de Paris, une colonne de soldats allemands investit le village de Maillé, dans le Sud du département d'Indre-et-Loire. Hommes, femmes et enfants, 124 des quelque 500 habitants de la commune sont assassinés. Epouvantable massacre, longtemps resté dans l'oubli.
Après le débarquement des Alliés, le 6 juin 1944, en Normandie, les Allemands qui occupent la France opèrent un repli stratégique en direction du Rhin. Les réseaux de la résistance font de leur mieux pour harceler et ralentir l'armée allemande en pleine débâcle.
À 40 kilomètres de l'ancienne ligne de démarcation, Maillé est situé à proximité de deux axes majeurs, la Nationale 10 et la ligne ferroviaire Paris-Bordeaux. L'importance stratégique du secteur n'échappe ni aux Alliés ni aux résistants, qui sabotent à trois reprises la ligne de chemin de fer au mois d'août, et déclenchent plusieurs accrochages avec les forces d'occupation.
Le matin du 25 août, les Allemands sont excédés : la veille au soir, un nouvel accrochage avec huit maquisards fait un mort et un blessé côté allemand. L'officier visé par l'attaque, le sous-lieutenant Gustav Schlüter, est furieux. Il en rend compte au lieutenant-colonel Stenger, le Feldkommandant de Tours, et demande la permission d'exercer des représailles.
De trois mois à 89 ans
Avec l'aval de leur hiérarchie, les hommes de la 17ème Panzer Division SS arrivent à Maillé, tirent à vue sur les habitants, bloquent les accès et mettent systématiquement le feu aux maisons. A leur départ, ils laissent des sentinelles pour abattre les civils qui tenteraient de fuir l'incendie, puis utilisent deux canons antiaériens de 88mm pour pilonner le village, le rasant presqu'entièrement.
Un quart de la population, 124 habitants, a été tuée ce matin-là, par balles ou par arme blanche, dont 48 enfants de moins de 14 ans. La plus jeune victime avait trois mois, la plus âgée 89 ans.
Condamné à mort par contumace par le tribunal militaire de Bordeaux en 1952, Schlüter s'est en fait éteint paisiblement à Hambourg en 1965. Le bataillon responsable du massacre n'est identifié, avec quasi-certitude qu'en 2008, après le passage dans la région du procureur allemand Ulrich Maas, chargé d'une unité spécialisée dans la traque d'anciens nazis.
Un massacre tombé dans l'oubli
Il s'agit donc d'un bataillon de réserve de la 17ème Panzer Division SS, stationné à Châtellerault. Au mois de juin 1944, c'est une autre division, la 2ème SS-Panzer-Division Das Reich, qui a perpétré des atrocités à Argenton-sur-Creuse, Tulle et Oradour-sur-Glane.
Avec le massacre de 643 de ses habitants le 10 juin 1944, Oradour-sur-Glane, dans la Haute-Vienne, deviendra le symbole des exactions nazies durant la seconde guerre mondiale.
Le massacre de Maillé, lui, n'entre pas dans l'Histoire. Occulté par la Libération de Paris, ce même 25 août 1944 ? Ou parce que le village a été reconstruit à l'identique ? À Oradour-sur-Glane, très vite, la décision a été prise de conserver l'ancien bourg à l'état de ruines, tel qu'il se trouvait après le passage des soldats allemands.
À Maillé, il faut attendre le cinquantième anniversaire pour qu’enfin le massacre soit évoqué publiquement. Cette année-là, les Archives départementales d’Indre-et-Loire décident de réaliser une exposition consacrée au 25 août 1944. Et en mars 2006, la Maison du Souvenir de Maillé ouvre ses portes au public.
Enfin, lors de sa visite en 2008, Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, affirme qu'en ignorant pendant soixante-quatre ans le massacre commis par les soldats allemands dans ce petit village d'Indre-et-Loire, la France avait "commis une faute morale". "C'est cette faute qu'au nom de la nation tout entière, je suis venu reconnaître et réparer aujourd'hui".