À l'occasion de la diffusion sur France 3 Nouvelle-Aquitaine du documentaire "La petite Russie, récits d'un maquis", Patrick Séraudie s'est confié sur son travail dédié au devoir de mémoire. De la Résistance dans le maquis limousin en passant par le massacre d'Oradour-sur-Glane ou des faits historiques oubliés, ses films ont un point commun : comprendre l'Histoire au travers des histoires d'hommes et de femmes.
- Comment définissez-vous votre travail de réalisateur de documentaires ?
En tant que réalisateur, je me considère comme un passeur.
En décidant il y a vingt ans de travailler sur la mémoire des conflits du 20ᵉ siècle, je me suis donné comme mission de recueillir le témoignage des derniers survivants. Ces paroles doivent alors s’inscrire dans un récit cinématographique cohérent qui donne des clés de compréhension pour aborder des évènements historiques souvent complexes, comme la vie et l’organisation du maquis de Georges Guingouin, les pendaisons de Tulle ou la répression des juifs...
- Les films que vous réalisez s’attachent pour la plupart au travail de la mémoire, en quoi cela est si important pour vous ?
« L’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue »
Friedrich Nietzsche
Cette phrase de Friedrich Nietzsche résume bien l’importance de travailler sur la mémoire et sa transmission.
Connaître l’Histoire n’empêche pas les conflits ni les massacres, nous en avons la preuve malheureusement tous les jours. Lorsque l’on travaille sur les conflits du 20ᵉ siècle, de nombreux évènements résonnent avec notre actualité. Il me semble donc essentiel de transmettre cette mémoire, particulièrement en direction des publics scolaires, pour permettre aux jeunes de se construire et peut-être éviter de « sombrer » une fois adulte dans une approche extrême.
C’est pourquoi je milite pour montrer le plus possible mes films dans les établissements. C’est un travail de fourmi, mais qui mérite d’être mené.
- Le Limousin est une terre de Résistance, mais aussi de massacres comme ceux d’Oradour et de Tulle, ces thématiques ont nourri vos documentaires, vous êtes devenu un spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, comment avez-vous choisi les sujets traités ?
Je suis originaire du Limousin, né à Brive-la-Gaillarde, à quelques kilomètres de Tulle. J’ai grandi avec l’histoire des pendus et du massacre d’Oradour.
Je dirais que ces sujets se sont imposés. Il y avait chez moi comme une évidence d’aborder à un moment de mon parcours professionnel l’ensemble de ces thématiques.
- Beaucoup de vos films sont devenus des références aujourd’hui, en quoi cela peut-il influencer votre travail ? Ressentez-vous cette responsabilité ?
Je ne sais pas si mes films sont des références et ce n’est pas à moi d’en décider.
Chaque film que je réalise, je l’aborde avec la plus grande rigueur : rigueur historique et cinématographique. Lorsque je démarre un nouveau projet, je ne regarde pas derrière moi afin de savoir s’il s’inscrit dans une démarche cohérente d’auteur. Je ne pense donc pas que cela puisse avoir une influence sur mon travail. J’applique à chaque fois la même méthode faite de rigueur, citée plus haut.
- Juin 2024 a marqué les 80 ans du massacre d’Oradour-sur-Glane, vous connaissez parfaitement l’histoire qui enveloppe cet épisode tragique, pensez-vous qu’il est encore possible d’apprendre des choses, de découvrir des éléments enfouis ? De raconter des événements qui n’ont pas été abordés ?
Nous continuerons d’apprendre des faits sur Oradour tant que les historiens travailleront sur ce sujet. La commémoration des 80 ans du massacre a été un tournant.
La disparition des témoins a ouvert un nouvel épisode de cette histoire.
Patrick Séraudie
C’était le sujet de mon dernier film « Oradour, les passeurs de mémoire ».
Dans les années à venir, il sera intéressant d’observer comment ces nouvelles générations se positionnent, s’engagent dans la sauvegarde du village-martyr, luttent contre le révisionnisme et le négationnisme.
Enfin, des surprises pourront toujours surgir comme la découverte il y a quelques années d’une 643e victime.
- "La petite Russie, récits d’un maquis" est un film consacré au maquis limousin avec un personnage hors norme : Guingouin. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce récit documentaire ?
Lorsque j’ai réalisé "la Petite Russie", l’histoire de Georges Guingouin avait déjà été bien documentée. Ce qui m’intéressait, c’était de donner la parole à ses compagnons de route qui s’étaient engagés auprès de lui.
Je voulais aussi insister sur la solidarité paysanne qui avait permis à ce maquis de s’inscrire dans la durée. Enfin, ce qui sous-tendait mon film, c’est que sans être nostalgique de cette période de la guerre, les témoins du film conservaient intact le souvenir de leur jeunesse, faite d’engagement contre l’ennemi, au péril de leur vie.
- Vos films le prouvent, l’histoire peut avoir des résonances très contemporaines, quand vous regardez l’ensemble de vos réalisations, quels sont les thèmes qui vous ont personnellement le plus marqué ?
Le thème le plus marquant pour moi est la transmission de la mémoire. Et la difficulté de transmettre.
Que ce soit à Tulle avec la chape de plomb sur la ville et le silence au sein des familles de suppliciés ou chez les Rozent pour mon film « Sortie des ombres », on se rend compte que cette mémoire est essentielle pour avancer dans la vie, mais qu’elle ne va pas de soi.
La petite Russie, récits d'un maquis
Alors qu'il y a un peu plus de 80 ans, naissait le maquis de Haute-Vienne avec parmi les initiateurs Georges Guigouin et quatre de ses camarades, France 3 Nouvelle-Aquitaine diffuse le jeudi 9 janvier à 22.50 le film documentaire "La petite Russie, récits d'un maquis" réalisé par Patrick Séraudie.
Georges Guingouin, que l'on surnommera plus tard le Lieutenant du maquis, est raconté par ses compagnons d'armes, ceux qui l'ont suivi de Châteauneuf-la-Forêt au mont Gargan où il réussit à constituer un maquis de plusieurs milliers de résistants.
La « Petite Russie » est le surnom donné par l’état-major allemand, pendant la Seconde Guerre mondiale, à la région de la montagne limousine.
C’est là qu’en août 1940, Georges Guingouin, jeune instituteur et responsable communiste local, appelle à la lutte et organise un premier réseau de résistants.
Raconté par ses proches camarades de combat, le film retrace quatre années de lutte au cœur de ce territoire rebelle.
La petite Russie, récits d'un maquis est d'ores et déjà disponible gratuitement sur la plateforme France.tv
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