C'est arrivé près de chez vous : l'hallucinante croisade contre la pornographie de Jean Royer

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Jean Royer, maire de Tours et Ministre du commerce, à l'Assemblée nationale en 1973.
La croisade contre la pornographie de Jean Royer ©France télévisions

Avec "C'est arrivé près de chez vous", France 3 vous raconte un fait de l'actualité régionale retrouvé dans nos archives. Dans les années 70, Jean Royer, maire de Tours ultra-conservateur pendant 36 ans, se lance dans une improbable croisade contre la pornographie qui dura presque toute la vie de celui qu'on appelle vite "Père-la-pudeur".

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Dans les années 1970, il flotte à Tours un vent de liberté insufflé par la jeunesse de mai 68. Un mouvement étudiant peu compris à l'époque mais qui a conduit à de multiples révolutions, qu'elles soient féministes, homosexuelles ou encore tournées vers la liberté à disposer de son corps.

C'est donc presque naturellement que débute aussi à cette époque l'âge d'or du porno. Les sex-shops ont pignon sur rue, les magazines érotiques ne s'échangent plus sous le manteau et le très marginalisé cinéma porno sort de sa clandestinité. Il est projeté dans les cinémas et se distingue par ses scénarios et ses réalisations presque aussi soignés que ceux de ses homologues dits "traditionnels".

Une petite révolution qui n'est pour autant pas du goût de tous et certainement pas du très conservateur maire de Tours et ministre du Commerce Jean Royer. Ce gaulliste atypique qui se revendique chantre de l'ordre moral et des bonnes mœurs entend bien "protéger les équilibres humains et sociaux" et "faire respecter un minimum de propreté" dans sa belle ville de Tours. Il prend donc la décision dès 1971 d'y interdire la diffusion de certains films pornos et réduit à un affichage minimal les autres productions érotiques qu'il estime dignes d'échapper à sa censure.

Jean Royer part en guerre contre toutes les formes de la pornographie : par le tract, par le livre, par le journal, par le cinéma ; afin de protéger les équilibres humains et sociaux et de faire respecter un minimum de propreté comme nous le faisons dans le cadre de notre vie tourangelle.

Jean Royer - Maire de Tours

INA/ORTF-1971

Dans sa lancée, il fait également disparaître des rues les publicités pour les collants et la lingerie, s'indigne de la publication de livres et de magasines érotiques et tente vainement de faire démolir "l'Étoile bleue", une maison close tourangelle. Le lieu, d'ailleurs, existe toujours : il s'agit aujourd'hui du siège de la Jeune chambre économique de Tours.

Jean Royer porte ses principes jusque dans l'hémicycle en réclamant un contrôle de la diffusion des films pornographiques au cours d'un débat à l'assemblé nationale.

Ses prises de position à contre-courant ne tardent pas à attirer l'attention des médias. En mai 1971, L'ORTF pose sa caméra à Tours, qui, grâce à son maire, traîne une réputation de ville traditionnaliste. Pourtant, même dans son fief, la croisade anti-porno de Jean Royer ne fait pas l'unanimité. La jeunesse condamne évidement la censure, craignant qu'elle finisse par ne plus se limiter au seul porno, tandis que les séniors se satisfont de voir disparaître ces films "dégueulasses", lâchent-ils au micro de la télévision d'État.

"Messieurs les censeurs, bonsoir !"

Une polémique qui permet néanmoins à Jean Royer d'étendre sa notoriété. Dans la foulée, il est invité à débattre sur le thème "les mœurs" sur le plateau de l'émission mensuelle "À armes égales". Sa vision conservatrice de la société doit radicalement s'opposer à celle de son détracteur, l'écrivain et journaliste Maurice Clavel, mais le débat suivit par 46% des téléspectateurs n'aura jamais lieu.

Maurice Clavel, dont le film présenté au cours de l'émission a été censuré par l'ORTF, quitte le plateau sur un "messieurs les censeurs bonsoir" qui fait encore date aujourd'hui.

Le "Père-la-pudeur" séduit par l'Élysée

Après la mort de Pompidou en 1974, Jean Royer se lance dans la course à l'élection présidentielle où il s'érige en candidat "indépendant" et en indéfectible défenseur de "l'ordre moral". Il assoit alors ses positions conservatrices en ajoutant la lutte contre l'avortement à son programme déjà bien fourni en mesures jugées rétrogrades.

À Rennes, il déclare que "l'embryon humain doit être protégé" et demande aux hommes un "effort de maîtrise de soi" qu'il préfère à la pilule. C'est à cette période qu'il hérite d'un sobriquet dont il ne parviendra jamais à se défaire : "Père-la-pudeur".

Mais devant l'enjeu électoral, ce qui prêtait au départ à rire finit par inquiéter la jeunesse qui rêve d'amour et d'eau fraîche. Militants de gauche et activistes s'invitent alors dans chaque meeting du candidat Royer et s'affairent systématiquement à les saborder.

À Rennes, le discours anti-avortement se fait au son des "Royer/Pétain, même combat !", certes scandés depuis l'extérieur de la salle, mais assez fort pour être captés par les micros des caméras.

"Une seule solution, la masturbation"

Le meeting qui signe l'apogée du chaos se passe à Toulouse le 25 avril 1971. Alors que le candidat gaulliste tente d'exposer sa vision de l'enseignement supérieur, il parvient difficilement à en placer une face à une foule d'étudiants et de militants gauchistes remontés à bloc.

Les Insultes fusent, les slogans sont moqueurs: "une seule solution, la masturbation !", hurle la foule déchainée tout en exhibant des caricatures obscènes de Jean Royer. C'est dans cette ambiance de foire qu'une jeune femme décide soudainement de danser les seins nus devant les caméras. Une ultime provocation qui fera, bien sur, les choux-gras de la presse.

Cette campagne houleuse et à contre-courant trouve difficilement un public réceptif et ne permet pas à Jean Royer de rallier à sa cause un électorat. Et ce qui était pressenti arriva: Jean Royer échoue lamentablement à se qualifier au second tour et termine en 4eme position du scrutin présidentiel avec seulement un peu plus de 3% des voix.

Cet échec signe l'arrêt de sa carrière nationale mais ne remet nullement en question son ancrage politique local. Jean Royer reste maire et bâtisseur de Tours durant 36 ans, jusqu'en 1995, où il est battu par le socialiste Jean Germain.

En 2011, à 90 ans, Jean Royer ne regrette rien de son combat controversé: "Qu'est-ce que c'est que la pudeur?", interroge-t-il au micro de France 3. "C'est une qualité. Et qu'il y ait un 'Père-la-pudeur' en plus, c'est encore une qualité pour l'homme", argue-t-il. Quelques mois après cette interview, Jean Royer, et avec lui le Père-la-pudeur, se sont éteints sans finalement s'être jamais vraiment séparés.

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