Le camping des Acacias, situé à La Ville-aux-Dames près de Tours, attire en haute saison une clientèle internationale venue découvrir les châteaux de la Loire. En hiver, il devient un hébergement pour travailleurs de passage, un entre-deux, un abri pour retraités et réfugiés ukrainiens, ou une halte pour voyageurs atypiques.
Certains y travaillent, d'autres y séjournent, certains ne font que passer, quelques-uns reviennent ou partent définitivement. Ils s'appellent Frédéric, René, Guislaine, Eric et Clarissa, Caroline, Philippe, Lydia, Yuri… Tous partagent un point commun : ils connaissent les petits matins glacés du camping des Acacias. Ainsi va la vie, quand la vague pétillante des touristes se retire à la fin de l'été et laisse place aux frimas de l'hiver.
Le documentaire "Un hiver au camping" d'Hervé Brèque et Lucie Mizzi donne la parole à ces campeurs, qui par choix ou nécessité, ont posé valise ou sac à dos pour une nuit, une semaine, un mois, ou parfois bien plus longtemps. Il met en lumière les liens qui se tissent dans cette microsociété entre ceux qui se côtoient et ceux qui les accueillent.
Face à face avec le côté pile du camping en hiver
"La France compte environ 11 000 terrains de camping. La plupart ne sont ouverts qu'à la belle saison, six à huit mois de l'année. Seulement 10 % d'entre eux ne ferment jamais. En hiver, ils offrent une ambiance inconnue des estivants."
Depuis 14 ans, Frédéric est gérant du camping des Acacias, ouvert 365 jours par an depuis sa création, il y a une cinquantaine d'années, à la Ville-aux-Dames en Touraine. Guislaine est responsable du ménage et de la lingerie et Laurent de l'entretien.
Le travail ne manque pas, il y a toujours à faire et à refaire. La polyvalence est primordiale pour venir à bout des problèmes de chauffage, lutter contre le gel des tuyauteries, évacuer des dizaines de mètres cubes de feuilles mortes, changer les bouteilles de gaz, répondre à toutes les demandes de petits dépannages. Un savoir-faire et un savoir-être, pour donner de soi et de son temps, créer des liens et apporter un peu de chaleur au cœur de l'hiver. Ce petit plus qui fait toute la différence et que l'on appelle l'humanité.
Daniel, résident du camping
Daniel a 76 ans. Il a travaillé sans relâche jusqu'à ses 73 ans. Il vivait dans un appartement de type F8 avec son épouse et ses beaux-parents. Un jour, las d'attendre que la situation familiale s'apaise, il a tout laissé derrière lui et s'est installé dans "sa petite maison", un camping-car de six mètres de long.
Je n'avais aucune autre solution, c'était la seule. Autrement, je n'avais rien, rien. J'étais à la rue.
Daniel, résident du camping des Acacias
En attendant un nouveau logement, il vit seul au camping des Acacias. Comme le dit le dicton : "Mieux vaut être seul que mal accompagné". Daniel ne se plaint pas et se contente de ce qu'il a.
Chaque matin, il retrouve Guislaine pendant sa pause pour partager une tasse de café chaud. Un moment privilégié pour échanger et savourer cette chaleur humaine, qui nourrit l'âme, tout comme le café, réchauffe le corps. Une habitude qui rythme la matinée et donne l’élan de la journée.
Le lien social tissé par le personnel du camping durant les heures hivernales est essentiel. On ne mesure pas toujours la richesse de cet altruisme, ni l'impact d’un sourire sincère ou d’un moment de partage, qui permet d’entrouvrir les murs de la solitude.
Les soirées et les nuits au camping des Acacias ne sont bien entendu pas exclusivement réservées à des résidents solitaires de longue durée.
Boulot, mobil-home, boulot ...
Les mobil-home du camping des Acacias accueillent chaque soir des travailleurs en déplacement. Ces hébergements, plus spacieux et moins coûteux qu’une chambre d’hôte, sont partagés par des personnes comme Philippe et son compagnon de route, qui, depuis trois ans, exercent le métier de paveurs à travers toute la France.
Un toit loin de chez soi et des siens, nécessaire quand on doit voyager sans cesse de ville en ville pour gagner sa vie, même si cela implique parfois de sacrifier l'essentiel. Un compromis que l'on accepte face à des obligations non négociables, mais dont les effets se font souvent sentir lorsque la course infernale ralentit enfin.
Quand tu fais ça tout le temps, tu ne t'en rends même plus compte.
Philippe, paveur en déplacement
"Une vie suspendue, une succession de départs, de nuits loin de la famille. Un univers de collègues, entre mecs, au bord de l'épuisement."
Un nid pour tourtereaux
En attendant que l'achat de leur appartement situé à Joué-lès-Tours se concrétise, Clarissa, Eric et la petite Caroline se sont installés au camping des Acacias, à La Ville-aux-Dames. Entre deux pages, celle de son passé à Rennes qu’il a choisi de tourner et celle qu’ils vont écrire ensemble dans leur nouveau nid, Eric profite pleinement de l’instant présent.
C'est transitoire, on va dire. On est en attente, comme dans une gare. Une belle attente en fait.
Eric
Ce petit chez-soi provisoire a déjà le goût du bonheur. Il leur permet, pour l’instant, de s’épargner la confrontation avec la vie professionnelle qu’ils devront tous deux reprendre, car même les amoureux ne peuvent pas vivre éternellement d'amour et d'eau fraîche.
Le camping, terre d'accueil
"Il y a ceux qui ne font que passer et puis ceux qui restent, parfois longtemps, jetés ici, loin de chez eux, par les soubresauts d'un monde agité. "
En mars 2022, face à l’afflux de réfugiés ukrainiens en raison de la guerre, les structures d’hébergement classiques étaient saturées. Il a donc fallu trouver des solutions alternatives, et les campings ont été mobilisés pour accueillir les personnes dans le besoin. Les mobil-homes, disponibles en hiver, se sont avérés être une option adaptée pour un hébergement d'urgence. Mais cette situation, censée être temporaire, s'est prolongée indéfiniment dans les méandres d'un avenir incertain."
"Deux ans de présence, résidents au long cours, pour qui le temps n'en finit pas de s'étirer, un présent au ralenti pour ces Ukrainiens profondément marqués autant par la guerre que par leur déracinement."
Des habitudes quotidiennes qu'ils laisseront derrière eux, une fois encore, pour avancer, guidés par cette histoire commune qu'ils portent en eux comme une valise de larmes, enfouie dans les recoins de la résilience.
Armés de leur courage, ils se battent pour se donner les moyens de vivre, tout en s'orientant vers des structures et des métiers qui prennent sens pour eux. Olena vit au camping des Acacias avec son petit garçon Oleksii. Son mari est toujours en Ukraine. Psychologue de métier, elle ne parle pas encore suffisamment le français pour exercer ici, mais elle ne baisse pas les bras et compte bien trouver un emploi dans cette région viticole.
Nadejda et son mari Yuri, originaires de la ville de Dnipro en Ukraine, ont fui les bombardements. Leur fils, avocat, leur belle-fille, infectiologue, et leur petit-fils sont restés là-bas. "Ils ne peuvent pas partir, on ne les laisse pas sortir." Le manque occupe toute la place, et pour eux, rien ne sera plus comme avant…
Pouvait-on se retrouver ici ? C'est un miracle !
Nadejda
Natallia continue d'exercer son métier de couturière. Pour décrocher un emploi, elle a appris en français tout le lexique professionnel afin de gagner en autonomie. Elle vit seule, loin de ses deux grandes filles et de leurs familles, restées au pays. Oleksander, quant à lui, régisseur du son dans le cinéma et la télévision, ne sait pas s'il restera en France. À Kiev, il jouait de la musique avec cinq musiciens ; aujourd'hui, trois sont au front. Il veut vivre de ses passions, et ce sont elles qui lui montreront le chemin.
Au camping des Acacias, au cœur de l'hiver, chacun a semé des graines d'espoir imbibées de larmes, qui laisseront un parfum d'ailleurs dans le souffle du vent.
L'homme à la tente : 68 000 km, 50 pays, et le camping des Acacias !
Il vit sous une tente qu'il transporte dans un sac à dos, sur son vélo, par tous les temps, au fil des quatre saisons. Il y a treize ans, Bastien Delessale, dessinateur informatique, a tout plaqué pour partir à l'aventure.
C'est l'envie de ne pas garder les rêves à l'état de rêve au départ et tout simplement d'être heureux.
Bastien
Victime d'un grave accident de voiture en Australie, il a été rapatrié et remis sur pied, petit à petit, notamment grâce au vélo, qui est devenu son compagnon de route. Une vie de solitude et de rencontres qu'il partage dans ses livres, écrits sous sa "bulle".
Le froid ne fait pas peur à ce nomade expérimenté, bien qu'il fasse à peine plus chaud à l'intérieur qu'à l'extérieur. L'humidité, qui s'infiltre partout, reste l'ennemi numéro un du voyageur, mais cela ne dissuade pas, cette fois encore, Bastien de poursuivre l'aventure. Un nouveau coup de pédale, et c'est reparti.
Le camping des Acacias, un abri pour histoires suspendues
"Le camping des Acacias, "le rendez-vous des âmes errantes", n’est pas seulement un lieu d’hébergement. Il devient, pour tous ceux qui le fréquentent : travailleurs de passage, familles en transition, réfugiés ou aventuriers solitaires, un point d'ancrage temporaire, un carrefour où se tissent des liens humains et où chacun, à sa manière, se réinvente. Un havre de résilience, entre les frimas de l'hiver et les espoirs de jours meilleurs.
Le documentaire "Un hiver au camping", réalisé par Hervé Brèque et Lucie Mizzi produit par Philip Dupuis est une coproduction Tandem Image et France 3 Centre-Val de Loire ; Il sera diffusé le jeudi 9 janvier à 22.50 sur France 3 Centre-Val de Loire, disponible en avant-première et en replay sur france.tv.