Des soignants en mission humanitaire à Ouagadougou ont porté secours à un petit garçon opéré du cœur en pleine nuit et pendant un coup d'État.
Ils n’ont écouté que leur conscience professionnelle. Sans doute leur courage aussi. Pour les missionnaires de la Chaîne de l’Espoir, la nuit a été courte. Bien trop courte. Au lendemain de leur expédition nocturne, les traits sont à peine tirés.
Un enfant de quatre ans sauvé d'une mort certaine
À l’heure du petit-déjeuner, le professeur Paul Neville l’un des membres de l’expédition est déjà au téléphone. Il prend des nouvelles de leur petit protégé, sauvé d’une mort certaine la nuit précédente. À sa table, Valérie Cazier, infirmière de bloc opératoire, les yeux pleins de sommeil.
Un jus de fruit, une tasse de café, une omelette et un morceau de pain. Les neuf professionnels de santé de l'équipe de la Chaîne de l'espoir se remettent de leurs émotions. Parmi eux, deux chirurgiens du CHRU de Tours. Une anesthésiste de Clermont-Ferrand, un perfusionniste de Caen, cinq infirmières de Rennes et de Toulouse.
Leur feuille de route était claire. Leur emploi du temps serré. Opérer, en 10 jours, 12 enfants atteints de cardiopathies congénitales. Seulement voilà. Alors que la mission des soignants se déroule avec la précision d’une horloge suisse, un coup d’État vient contrarier ce programme de travail bien huilé. Entre deux cafés, ils racontent les 24 heures qui viennent de s'écouler.
Coup de force à Ouagadougou
Nous sommes le vendredi 30 septembre. De jeunes mutins de l’armée du Burkina Faso entament un coup de force. A leur tête un jeune capitaine de 34 ans, Ibrahim Traoré. Il vient de destituer celui qui était jusque là au sommet de l’État, un lieutenant-colonel, Paul-Henri Sandaogo Damiba. C’est le deuxième coup d’état en 9 mois.
Les missionnaires sont pris de cours. Les consultations et le programme des interventions chirurgicales ne peuvent pas attendre. Pourtant, la junte a instauré un couvre-feu de 21h à 5h du matin. La Constitution est suspendue, le gouvernement et l’Assemblée législative de transition dissous. Les frontières aériennes et terrestres fermées. Toutes les activités politiques comme celles de la Société civile suspendues.
Et un enfant est entre la vie et la mort.
Pronostic vital engagé
Cette nuit-là, le coup d’état de la junte est toujours en cours et des informations contradictoires circulent. Des tirs d’armes lourdes ont été entendus non loin de l’hôtel où résident les soignants. Dans la journée, une foule hostile s'est attaquée à l’ambassade de France et au centre culturel également. Les services français ont invité leurs compatriotes du Burkina Faso, à rester chez eux. Mais cinq membres de l’équipe de soignants décident de braver le couvre-feu.
? Fin septembre, La Chaîne de l’Espoir était au Burkina Faso. Au cours de cette #mission perturbée par un coup d’État, ce sont 8 patients qui ont pu bénéficier d’une opération vitale ✌️
— La Chaîne de l'Espoir (@chainedelespoir) October 24, 2022
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"Tout s’est passé très vite. Il était aux environs de 2h30 voire 3h du matin. J’ai entendu frapper à ma porte", confie Valérie Cazier. Un garçonnet opéré la veille d’une cardiopathie congénitale était au plus mal. Son petit cœur saignait.
"Le patient est un petit garçon de 4 ans. Il pèse 11 kilos et présente un saignement dans le péricarde", énumère Paul Neville. "C’est à hauteur du cœur. Des racines des gros vaisseaux sanguins. Ça ne pardonne pas. C’est la vie d’un patient qui est en jeu."
Ce chirurgien thoracique et cardio-vasculaire a la carrure et l’âme d’un baroudeur. Il aime les missions difficiles. C’est un as du bistouri qui opère depuis une trentaine d’années. Et il y a bien longtemps que sa réputation le précède. Sur sa carte de visite, la mention : "Hyper spécialisé en cardiopathies congénitales."
"Il fallait traiter cet enfant en urgence", précise-t-il. "Nous nous sommes organisés pour partir au milieu de la nuit. On a sécurisé au maximum. Cinq personnes sont montées à bord de l’ambulance avec le chirurgien local Adama Sawadogo venu à notre rencontre." L’équipe se tasse dans le véhicule. Un instrumentiste, un infirmier anesthésiste, un anesthésiste, une infirmière de bloc opératoire et le chirurgien.
"L’ambulance a roulé à travers des rues totalement désertes. Juste quelques chiens errants. Et j’ai été impressionné de voir comment la population respectait le couvre-feu. Pas âme qui vive dehors." Les habitants restent calfeutrés chez eux. Et, fort heureusement, le chauffeur de la petite équipe connaît les check-points et les hommes qui les tiennent. "À un moment, on a rencontré des militaires lourdement armés. Ils sont venus autour du véhicule. On n’a jamais été inquiétés."
"Arrivés au bloc, tout était prêt. On savait ce qu’on devait faire et comment on devait le faire. Nous avions déjà échangé par Whatsapp", explique Paul Neville, non sans fierté.
Ouvrir, nettoyer et refermer
"On a réouvert la poitrine. On a enlevé le sang. On a nettoyé. On a fermé. Puis on a réajusté les drogues et le rythme cardiaque." L’intervention aura duré moins de 2 heures. Petit à petit, les signaux du garçon s'améliorent. "Le patient est le plus jeune que nous avions opéré au Burkina Faso par la circulation extra-corporelle." Autrement dit, une technique délicate par laquelle les chirurgiens arrêtent le cœur. Et c’est un appareil dans lequel circule le sang qui prend le relais en attendant le rétablissement des fonctions cardiaques.
Alors, oui, pour atteindre cet objectif, il fallait prendre des risques, admet le professeur Neville : il en allait de la survie d'un enfant.
De toutes façons, on n’avait pas le choix. On vient soigner. Il faut assurer les suites. Complètement. Sinon à quoi ça sert ? Vis-à-vis de la famille, on ne va pas leur dire : "écoutez, les médecins sont restés chez eux"
Professeur Paul Neville, chirurgien cardiaque> Après ce périple nocturne, avez-vous le sentiment du devoir accompli ?
Après ce périple, Paul Neville et son équipe ont le sentiment du devoir accompli. "C’est notre métier qui fait ça et qui veut ça. La chirurgie, c’est un acte fini. Donc comme tout artisan, on a ce retour du devoir fait, de l’œuvre bien exécutée. Et ce retour, c’est quelque chose qui fait partie de notre ADN."
Retour à la table du petit-déjeuner. Assise en face du chirurgien, Valérie Cazier. Cette infirmière de bloc ne se départit jamais de son sourire. C’est une fille du Nord. Une Ch’tite. Elle le revendique. Haut et fort. Elle aussi a participé à l’aventure nocturne. Elle raconte le réveil brusque au milieu de la nuit. Le trajet, sans incident, l'opération.
"C'est vrai, nous avions violé le couvre-feu", reconnaît-elle. "Mais la vie d'un enfant en dépendait. je me sens beaucoup mieux maintenant pour l'enfant et pour sa famille. Oui, oui. Beaucoup mieux."