Crise immobilière : "C'est la pire crise du bâtiment depuis l'après-guerre"

La crise de la construction neuve frappe de plein fouet le secteur du bâtiment. La fédération française du bâtiment annonce 150 000 suppressions d'emplois d'ici 2025. En Centre-Val de Loire ce sont 10 500 emplois qui devraient être supprimés.

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"C'est sans précédent et cataclysmique. La chute est vertigineuse". Anthony Laudat, président de la Fédération française du bâtiment pour la région Centre-Val de Loire constate sur les dix derniers mois pour le logement neuf "une baisse de 30 % de mises en chantier dans la région et de 40 % des autorisations de chantier."

Alors que le logement représente 30 % de l'activité du bâtiment, ces chiffres annoncent une baisse de 10 % de l'activité et donc d'autant d'emplois d'ici 2025. 

Pourtant, le bâtiment se portait très bien jusque-là. En 4 ans, le secteur est passé de 1 250 000 emplois à 1 550 000 emplois. "On avait le vent en poupe mais là depuis septembre le téléphone ne sonne plus", résume le président de la FFB CVDL. Il l'assure : "Les zones rurales seront plus touchées que les zones urbaines". 

386 entreprises en difficulté en Centre-Val de Loire

Alors que la crise n'a pas encore atteint son paroxysme, au 31 octobre 2023, 386 entreprises du bâtiment étaient en situation de dépôt de bilan en Centre-Val-de-Loire. Une augmentation de 41,9 % par rapport à 2022.

Dans le Loiret, elles sont 133 soit une augmentation de 95,6 % des dépôts de bilan en un an. "Toutes ne sont pas en difficulté à cause de la crise du logement neuf", tempère Anthony Laudat, président de la Fédération française du bâtiment Centre-Val de Loire."Mais celles notamment qui sont sous-traitantes pour les marchands de maisons neuves sont en grande souffrance.

En Indre-et-Loire, 81 entreprises du bâtiment sont en dépôt de bilan. "Certaines vont être placées en redressement, d'autres ont été liquidées directement. Au départ, c'était les plus petites et depuis le mois de septembre, les difficultés gagnent celles qui emploient plus de 30 salariés. On commence à remettre en place l'accompagnement psychologique des chefs d'entreprise. Et ça touche tous les secteurs", constate Stéphane Pouëssel, président de la Fédération du bâtiment en Indre-et-Loire. 

Dans le Loiret, Erwan Croixmarie, président de la FFB 45, constate une baisse de 20 % des mises en chantier de logements neufs et de 35 % d'autorisations de chantier sur les dix derniers mois. "La principale conséquence est pour les entreprises spécialisées dans la construction de logements neufs. Elles sont structurées pour être performantes en coûts et en durée et ont un créneau à part. Elles ont du mal à réagir sur d'autres marchés."

1 050 emplois supprimés d'ici 2025

2025 s'annonce comme une année noire pour l'emploi dans le bâtiment. 1 500 postes dans le Loiret, jusqu'à 1 700 en Indre-et-Loire, près de 10 500 pour la région CVDL d'ici 2025.

"J'avais des postes à pourvoir mais là je ne cherche plus", constate Anthony Laudat qui dirige une entreprise de rénovation tous corps d'état de 15 salariés dans le Loir-et-Cher. 

En Indre-et-Loire, les commandes de constructions de logements neufs individuels ont baissé de 50 % et de 30 % pour le logement collectif. "Pour le moment, les artisans ont du travail sur des commandes déjà passées mais ce qui s'annonce pour les 18 mois à venir est catastrophique. 10 % des emplois vont être supprimés soit entre 1400 et 1700. Et il n'y aura plus de travail pour les jeunes en alternance ou en apprentissage que nous avons mis du temps à convaincre de venir dans notre secteur", alerte Stéphane Pouessel, président de la FFB 37. "Cela aura des conséquences dès la rentrée 2024", assure-t-il. 

Pour Erwan Croixmarie, président de la Fédération du bâtiment dans le Loiret : "Quand on parle de risques de pertes d'emploi, les pouvoirs publics peuvent penser qu'il y aura une bascule sur les entreprises qui sont en suractivité mais les entreprises spécialisées sur le logement neuf n'ont pas la structure pour répondre à d'autres marchés. Une petite partie seulement partira sur le marché de la rénovation." 

C'est une volonté politique de flinguer le bâtiment.

Stéphane Pouessel, président de la Fédération française du bâtiment d'Indre-et-Loire

Pour les professionnels du bâtiment, ce qui fait la gravité de cette crise c'est la multitude de facteurs : "On a la hausse des taux d'intérêt, l'exclusion des maisons individuelles du prêt à taux zéro*, la réforme du dispositif Pinel*, la hausse des coûts des matériaux et donc de construction et enfin la hausse du coût du foncier", énumère Anthony Laudat aussi chef d'entreprise dans le Loir-et-Cher. "Avec tout ça vous arrivez à une situation intenable".

Le prêt à taux zéro, ce dispositif de soutien à la primo-accession en résidence principale des ménages sous conditions de ressources créé en 1995 est prolongé jusqu'en 2027. Dans sa nouvelle version, le PTZ va être élargi aux classes moyennes à partir du 1er janvier 2024. Le montant maximal du crédit à 0 % passe de 80 000 euros à 100 000 euros. En revanche, il ne permettra plus d’acquérir une maison individuelle. Il est recentré sur les acquisitions d'un logement neuf dans un immeuble collectif en zone tendue (zones A et B1) ou d'un logement ancien avec travaux en zone détendue (B2 et C) pour lutter contre l’artificialisation des sols. 

Quant au dispositif Pinel qui ouvrait droit à une réduction d’impôt sur le prix d'achat d'un logement mis en location, il prendra fin le 31 décembre 2024, jugé trop coûteux pour les finances publiques. La première ministre Elizabeth Born l'a annoncé dans le cadre de son plan sur le logement le 5 juin 2023. La loi Pinel offrait des plafonds de défiscalisation permettant de bénéficier d'une réduction d'impôt de 10,5 %, 15 % ou 17,5 % en fonction de la durée d'engagement locatif choisie (6, 9 ou 12 ans). 

"On a bien compris qu'il y avait une volonté du gouvernement d'arrêter d'aider la construction de logements neufs par défiscalisation. Le problème c'est que les choses sont faites vite et sans concertation", confie Erwan Croixmarie de la FFB du Loiret."Que le gouvernement veuille arrêter le Pinel, on peut le comprendre mais qu'il soit décidé du jour au lendemain c'est une aberration. Un modèle économique de la construction neuve s'est fait autour de la défiscalisation Pinel. Le fait de l'arrêter brutalement remet en cause un modèle économique". Il demande du temps pour que la filière s'organise. 

En Indre-et-Loire, Stéphane Pouëssel, président de la Fédération du bâtiment va plus loin. "C'est une volonté politique de "flinguer" le bâtiment. Quand les gens investissent dans un logement pour faire leur retraite demain ils n'investissent pas dans un fonds de pension. C'est donc une volonté politique que l'argent n'aille pas dans le logement et la pierre", assène-t-il, en colère.  

Alors qu'il voit se profiler la disparition de plus de 1 400 emplois en Indre-et-Loire dans les 18 prochains mois, il accuse le gouvernement de ne rien faire pour empêcher ce qu'il voit comme "la plus grave crise du bâtiment depuis l'après-guerre".

S'il est en colère c'est parce que pour lui "il suffirait de ramener le Prêt à taux zéro à celui de 2021 et les primo-accédants pourraient retrouver leurs capacités d'investissement. Cela leur permetrait d'avoir un apport pour obtenir un crédit. Aujourd'hui, sans apport pas de crédit". 

Anthony Laudat, président de la fédération du Bâtiment en CVDL ajoute, chiffres à l'appui : " Le logement rapporte 91 milliards par an de taxes et de prélèvements (TVA sur la vente de logements et des travaux, droits de mutation) et coûte 41 milliards par an (aides à la rénovation énergétique, prêt à taux zéro, Loi Pinel, aides au logement). Donc quand l'Etat investit 4 il gagne 9, c'est plutôt rentable. Mais on est dans une vision idéologique de société qui consiste à dire qu'investir dans le logement ne sert à rien. C'est terrible en fait et ce n'est pas ce que veulent les Français. La volonté du président de la République est de s'opposer à l'investissement immobilier parce qu'il considère que l'argent dort. "

Les artisans plus protégés mais inquiets

Avec la baisse de commandes de logements neufs, les constructeurs de pavillons sont tentés d'aller sur le marché de la rénovation qui stagne mais ne chute pas. Sa croissance oscille entre -1% et 1 %. Celle de la rénovation énergétique est à + 3 %. 

Les professionnels du bâtiment et en particulier les artisans craignent que cela "fragilise les entreprises dont ce n'est pas la spécialité et que ça fragilise celles qui sont déjà sur le marché."

La rénovation, c'est en grande partie le domaine des artisans. Des entreprises qui pour la plupart moins de 10 salariés.

Franck Brunet est métallier en Indre-et-Loire. "Les grosses entreprises de ravalement qui faisaient de gros chantiers sont en train d'attaquer les chantiers qui étaient destinés aux entreprises comme la mienne de moins de 10 salariés. Ça va nous porter préjudice parce qu'elles vont attaquer avec des prix bas pour avoir des chantiers et  pour occuper leurs ouvriers pendant deux ans le temps que la crise passe".  

Pour François Pigeon, président de la Capeb Centre-Val de Loire, Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment. : "Ces entreprises vont peiner, risquent de fermer et de nous fragiliser. Là, où ils pensent passer une heure, ils en passent trois et ils se retrouvent avec plus de frais que de bénéfices. Donc ces entreprises qui faisaient du neuf vont casser le marché jusqu'à ce qu'ils déposent le bilan. "

Les intérimaires, premières victimes de la crise

Côté emploi, les pertes devraient être moins lourdes pour l'artisanat du bâtiment : "On est plus protégé que les gros faiseurs de constructions neuves. Comme on manquait de personnel, on ne va pas devoir licencier mais on ne va pas embaucher non plus", explique François Pigeon aussi menuisier dans le Loir-et-Cher .

Ce sont les intérimaires qui devraient le plus pâtir de la crise. "Je cherchais des gars depuis de deux trois ans, je ne trouvais pas et je prenais des intérimaires. Là, j'ai juste un trimestre d'avance. Avant j'avais un an d'avance. Donc je vais faire patienter les clients mais je ne prendrai pas d'intérimaires," explique Franck Brunet, métallier et président de la Capeb en Indre-et-Loire. 

Une crise des logements sociaux qui dure

Cette crise de la construction neuve est aggravée par celle des logements sociaux qui dure depuis 2016.

En Indre-et-Loire, Stéphane Pouëssel, président de la FFB 37, rappelle qu'il manque 17 000 logements sociaux. Franck Brunet, métallier en Indre-et-Loire confirme : "Les bailleurs sociaux arrêtent les chantiers". En France, la construction de logements sociaux est passée de 125 000 en 2016 à 85 000 en 2023. 

Marianne Louis, directrice générale de l'Union sociale de l'habitat déclarait le 6 décembre lors de la table ronde autour de la crise du logement organisée par la commission des affaires économiques que cette crise a été déclenchée par la baisse des APL et la demande aux organismes HLM de compenser par la baisse de loyer. "Cette idée qu'on peut faire un prélèvement sur les recettes a entraîné une baisse drastique de la construction de logements. La mesure d'urgence est de revaloriser les APL des ménages les plus modestes". 

Pour Anthony Laudat, président de la Fédération française du bâtiment en Centre-Val de Loire, si la crise est préoccupante pour la filière de la construction, le problème sociétal est bien plus inquiétant. "Alors que le turn over devrait être de 17 % dans les logements sociaux, il stagne à 2 %. Les gens ne sortent plus des HLM. Ils ne sont plus en capacité d'accéder à la propriété. Le parcours de vie de nos concitoyens est dramatique.

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