ENQUÊTE. Projet d’intérêt général et maison privée, la bonne affaire immobilière du sénateur Jean-Luc Brault

Quand il était le maire du Controis-en-Sologne (Loir-et-Cher), le sénateur Jean-Luc Brault a fait l’acquisition d’un terrain protégé sur la commune. En portant un projet de jardin touristique sur cette propriété, sa femme va obtenir, en 2019, le droit d’y construire des bâtiments. Quatre ans après, le projet serait en retard et n’aurait pas encore accueilli de visiteurs. Parallèlement, le couple y aurait fait construire sa maison.

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C'est une magnifique propriété en périphérie du Controis-en-Sologne, dans le Loir-et-Cher. Derrière le portail en bois et les clôtures s'étend un vaste terrain de plus de trois hectares qui abrite une petite forêt. Au centre, d’après le cadastre, s’y trouve une habitation, accompagnée de deux dépendances, mais également un étang et un jardin aménagé.

Ce cadre a été imaginé par Isabelle Côme-Brault, décoratrice d’intérieur et épouse du sénateur Jean-Luc Brault dont la société civile immobilière est propriétaire du terrain. Pourtant, il y a six ans, ce lieu n'était que partiellement constructible.

En effet, le terrain se situe en zone naturelle, c’est-à-dire qu’il est protégé pour préserver la nature et les écosystèmes. En 2019, la Communauté de Communes du Val de Cher-Controis, présidée à l’époque par Jean-Luc Brault, va autoriser la construction de nouveaux bâtiments sur la propriété sur la base d’un projet présenté par Isabelle Côme-Brault : un jardin pédagogique et d'hébergements touristiques. 

Quatre ans après, le projet semble avoir pris du retard. Depuis 2019, aucune association ni société ne semblent avoir été créées pour lancer ce jardin à destination des habitants et des touristes. Dans le même temps, le couple s’est installé sur la propriété et y aurait également fait construire une piscine, à en croire les images satellites.

Contactée par mail, Isabelle Côme-Brault a répondu partiellement à nos questions : "Le projet n'est pas achevé et mon architecte n'a pas déposé de déclaration d'achèvement des travaux. Ce constat est exclusif de l'allégation que mon projet n'aurait été qu'un leurre pour obtenir un permis pour un projet qui se limiterait à la construction de mon domicile", indique-t-elle.

De son côté, Jean-Luc Brault n'a pas souhaité répondre aux questions que nous lui avons adressées par mail, le 13 octobre. Lors d'une relance, quelques jours plus tard, il confirme résider sur la propriété avec son épouse.

Élu et chef d'entreprise

Jean-Luc Brault est un personnage méconnu du grand public. C'est pourtant une figure incontournable du Loir-et-Cher. Maire de la ville de Contres (puis du Controis-en-Sologne après la fusion de cinq communes), entre 1995 et 2022, l'élu a été vice-président au Conseil départemental du Loir-et-Cher et président de la communauté de communes du Val de Cher-Controis jusqu’au 16 octobre dernier.

Car c'est désormais à Paris, au Palais du Luxembourg, que l'homme de 72 ans va poursuivre sa carrière. Élu sénateur le 24 septembre dernier sous l'étiquette LIRT (groupe Les Indépendants - République et Territoires), il se présente comme un "gaulliste de gauche".

En parallèle de ses mandats, l'homme est aussi un entrepreneur. Sa société, Brault Développement, dont il est le seul actionnaire, déclare comme activités principales : "Opérations immobilières, conseil en matière de ressources humaines, gestion du patrimoine et des entreprises". 

Jean-Luc Brault possède effectivement plusieurs terrains au Controis-en-Sologne, comme l'indique le registre des hypothèques 2023, un document consultable sur demande auprès des impôts. L'élu - chef d'entreprise possède également des parcelles sur la commune via une autre structure : sa société civile immobilière (SCI) La Croix st L'Homert qu‘il partage avec ses enfants.

C'est avec cette SCI qu'il va acquérir, en décembre 2017, plusieurs parcelles de la commune sur un terrain classé en zone naturelle située rue de Doulain, au Controis-en-Sologne. Comme le montre le document des hypothèques, la valeur totale de l'achat pour l'ensemble des parcelles représente un peu plus de 30 000 euros.

Une vente sur laquelle la communauté de Communes du Val de Cher-Controis, présidée alors par Jean-Luc Brault, n'a pas souhaité utiliser son droit de préemption, comme l'indique une délibération votée à l'unanimité par le Conseil communautaire un mois avant l'acquisition des parcelles par la SCI St L'homert. La collectivité estimant "ne pas avoir de projet" sur ce terrain. 

Quoi qu'il en soit, l'achat de ces parcelles classées en zone naturelle est la première étape d’un projet que porte "depuis très longtemps" l'épouse de l'actuel sénateur, Isabelle Côme-Brault : la création d’un jardin pédagogique et touristique. "C'est la raison pour laquelle une SCI familiale [La SCI Saint L’homert de Jean-Luc Brault, ndlr] a fait l’acquisition de terrains voisins des zones commerciales et d'activité de Contres afin qu'ils soient à proximité des écoles et collèges du Controis ", indique-t-elle par mail.

Il s'agit d'un projet de vie ce qui explique que j'ai souhaité vivre au milieu de ce jardin pour que je puisse le présenter au public, principalement aux scolaires et personnes âgées, y compris au temps de ma retraite qui n'est pas si éloignée.

Isabelle Côme-Brault

Projet pédagogique et touristique

La notice de présentation, téléchargeable sur le site de la Communauté de communes du Val de Cher-Controis, détaille les enjeux de ce projet : "Il est envisagé que cette ferme propose plusieurs types d'activités de découverte à destination de groupes d'enfants, les scolaires, les centres de loisirs, ainsi qu'à destination des adultes sous la forme de court séjour". Des bâtiments doivent ainsi être construits afin d'accueillir du public, de créer un hall d’accueil, mais également une loge de gardien.

Au moment où le projet est porté, le plan local d'urbanisme du Val de Cher-Controis n'autorise pas la construction de bâtiments pour un tel programme sur ce terrain protégé. Isabelle Côme-Brault va donc devoir demander une mise en conformité du plan local d’urbanisme, un document qui permet à la collectivité qui en a la charge d’aménager son territoire. 

" Intérêt général "

Pour y parvenir, une enquête publique est réalisée afin de s'assurer que le projet est conforme aux  spécificités du terrain. Les services de l'État, le Département, la Chambre d'agriculture ou encore la Chambre de l'industrie et du commerce donnent leur feu vert.

S’appuyant sur ces avis, la Communauté de communes du Val de Cher-Controis adopte la mise en conformité du PLU le 18 décembre 2018. Dans le délibéré, voté à l’unanimité en conseil communautaire (et sur lequel Jean-Luc Brault a pris soin de se déporter), la collectivité reconnaît "l'intérêt général" du projet d’Isabelle Côme-Brault.

Ainsi, il devient également possible de faire construire une habitation sur le terrain, à en croire le rapport d'enquête publique du projet. Selon ce document : "La construction d’habitation nouvelle nécessaire à l’activité agricole ou de tourisme vert " est autorisée sur le terrain. 

Près de deux mois plus tard, le 13 février 2019, un permis de construire est accordé à la conjointe du sénateur par la mairie de Controis-en-Sologne pour la construction d’un hall d'accueil au public de 72 m², un hébergement hôtelier de 95 m² et une habitation de 78 m², comme l'indique la délivrance du permis de construire. 

"J'ai déposé en 2018 et obtenu en 2019 le permis nécessaire, qui n'est légalement pas contestable et qui n'a pas été judiciairement contesté malgré la quérulence processive des adversaires de mon mari ", précise Isabelle Côme-Brault, par mail. Ce permis de construire a ensuite été transféré à la SCI familiale de Jean-Luc Brault, la Croix st L’homert, selon un document public que nous nous sommes procuré. 

Un retard sur les travaux, selon Isabelle Côme-Brault

Depuis, les principaux bâtiments ont été construits, comme l'indiquent les images satellites du site de l'Institut national géographique et forestière (IGN), disponibles librement en ligne. Sur ces photos, il est possible de constater où en était les travaux du jardin en 2021 et de voir l'évolution du terrain au fil des années.

"Les aménagements nécessaires ont été réalisés aux quatre cinquièmes. [..] Le verger, le jardin pédagogique, le potager, le jardin des simples, la serre, les principaux bâtiments nécessaires sont réalisés. Les ruches bourdonnent, les poules picorent et les moutons paissent ", indique Isabelle Côme-Brault par mail.

Pour autant, elle précise que les travaux ne sont pas tout à fait terminés en raison de la crise de la Covid-19 : "La survenance du Covid m'a conduit à les suspendre partiellement ne sachant pas jusqu'il y a peu si mon projet avait des chances de rencontrer le public", explique-t-elle. "Fort heureusement, le retour du public dans les musées, les salles de spectacle et les cinémas a démenti cette crainte."

Projet introuvable sur Internet

En tout cas, le jardin pédagogique semble, aujourd’hui, introuvable sur Internet. France 3 Centre-Val de Loire n'a pas été en mesure de mettre la main sur un site vantant ce projet. Idem, concernant les hébergements touristiques. 

Le site Internet de la mairie ne semble pas non plus en faire mention, et la devanture de la propriété n'affiche aucune étiquette, comme nous avons pu le constater sur place. À notre connaissance, il n'existerait pas non plus à ce jour, d'association ou de société créée pour faire vivre ce lieu.

L'actuel remplaçant de Jean-Luc Brault à la tête du Controis-en-Sologne, Antoine Lelarge, ne semble pas mieux informé : "Je n'ai pas d'informations à ce sujet. Je sais seulement que la structure a été faite", raconte-t-il, en nous renvoyant vers le couple Brault. 

Nous avons sollicité Isabelle Côme-Brault et Jean-Luc Brault pour savoir si une structure juridique avait été créée pour le jardin pédagogique ou pour les hébergements touristiques. Ils n'ont pas répondu à cette question. 

"Je n'en ai jamais entendu parler"

Nous avons également contacté les six écoles du Controis-en-Sologne pour savoir si leurs élèves s'y étaient déjà rendus, au moins pour visiter la partie du jardin qui est terminée. Nous avons pu joindre quatre d'entre elles, mais aucune ne semble avoir connaissance du projet. "Je n'en ai jamais entendu parler", glisse une directrice. "Ce qui est sûr c'est qu'il n'y a jamais eu de sortie pédagogique là-bas", assure une autre. 

Qu'en est-il alors ? Des visites ont-elles été organisées avec des scolaires ou des centres de loisirs depuis la fin du confinement en mai 2021 ? Des touristes ont-ils été hébergés sur le lieu ? Et si oui, à quelle période ? Ni Isabelle Côme ni Jean-Luc Brault n'ont répondu à ces questions.

Même silence quand on interroge le sénateur sur une éventuelle date d’ouverture du projet.  Mais selon Isabelle Côme-Brault, il faudra encore du temps : "L'évolution des coûts de construction en raison de la crise internationale et de l'inflation nécessite également des adaptations et de nouvelles négociations avec les entreprises. J'y travaille actuellement et espère pouvoir rapidement déposer la demande de permis modificatif intégrant les évolutions nécessaires ", indique-t-elle sans donner plus de détails.

Une bonne affaire immobilière

En l'espace de trois ans, aucune démarche d'ampleur ne semble avoir été faite pour faire connaître ce jardin auprès du public. Seul le couple Brault semble avoir, pour l'heure, tiré bénéfice de ce projet d'intérêt général. Car entre-temps, le couple y a élu domicile comme le confirme Jean-Luc Brault par mail : "Nous habitons ensemble à Doulain", écrit-il. 

Il semble également qu’une piscine y a été construite en face de la maison entre 2019 et 2021, selon les images satellites de l'IGN. Contacté brièvement par téléphone quelques jours plus tôt, le sénateur semble peu apprécier que France 3 Centre-Val de Loire se penche sur ce projet : "Mon jardin n'intéresse personne [...] en tant que sénateur je vais porter plainte", a-t-il indiqué, avant que des problèmes de réseau ne coupent court à la discussion. 

Au-delà du jardin, ce pourrait être aussi une bonne affaire pour la société civile immobilière familiale du sénateur, La Croix St-L’homert. Comme nous l’ont confirmé une avocate et une juriste toutes deux spécialistes de l'urbanisme, un terrain en zone naturelle, sur lequel s'installe un projet comme celui d'Isabelle Côme-Brault, prend de la valeur. En cas de vente, la SCI de Jean-Luc Brault et de ses enfants pourrait espérer une intéressante plus-value par rapport au prix d'achat.

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