Il y a deux ans, le Grenelle des Violences faites aux femmes suscitait l’espoir d’une prise en compte rapide des problèmes rencontrés sur le terrain, par tous ceux qui luttent contre ce fléau. Aujourd’hui cette vague d’espoir est durement retombée.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En ce jour de Septembre, 81 féminicides sont à déplorer pour combien d’enfants obligés de vivre dans le souvenir de ces drames. Les associations et collectifs continuent leurs missions sur le terrain, aidés parfois par des équipes municipales, mais sans réelle amélioration dans leurs conditions d’intervention, comme elles nous l’ont confié.
Le 25 Novembre 2019, Edouard Philippe alors premier ministre, annonçait 30 nouvelles mesures.
Visant à prévenir les violences, mieux protéger les victimes et mettre en place un suivi et une prise en charge des auteurs de violences.
Un programme ambitieux et chiffré, puisque sur les 1 milliard destinés à l’égalité hommes femmes, 360 millions étaient destinés à ce seul sujet. Depuis, les réunions de suivi ne peuvent que constater l’insuffisance des moyens mis en œuvre, malgré les efforts déployés.
Six nouvelles mesures annoncées
Le 3 septembre dernier, date anniversaire du début du grenelle, le gouvernement publiait les chiffres clés de son bilan :
- Plus 60 % de places d’hébergements dédiées aux femmes victimes de violences depuis 2017
- 4 lois votées depuis cette date pour protéger les femmes victimes de violence - 3000 téléphones grave danger déployés d’ici novembre 2021
- 88 286 policiers et gendarmes ont reçu une formation pour un meilleur accueil et accompagnement des victimes.
Le gouvernement a aussi détaillé six nouvelles mesures, pour un renforcement des dispositifs de protection des victimes :
- Déploiement de 3000 téléphones grave danger.
- Renforcement du recours aux bracelets anti-rapprochement. Pour un meilleur suivi des auteurs de violences conjugales.
- Contrôle des acquisitions et détentions d’armes.
- Création d’un fichier des auteurs de violences conjugales. Une coordination accrue des acteurs locaux en charge des dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes.
- Renforcement de la gouvernance locale de la politique de lutte contre les violences conjugales.
- Renforcement de la mission interministérielle en faveur de la protection des femmes victimes de violences.
En fait, la sixième réunion du comité de suivi des mesures du Grenelle fait état d’un bilan de 76 % de mesures réalisées et donc de 24% en cours de réalisation, soit 10% de plus qu’en février 2021, et le même pourcentage qu’en février et juillet 2021 dates des 4ème et 5ème comités de suivi.
Après un démarrage en flèche puisqu’en février 2020 on était à 61 % des mesures réalisées, le mouvement semble s’essouffler. Pendant ce temps, les chiffres des féminicides eux ne reculent pas.
Les victimes se tournent vers les réseaux sociaux
D’un commun accord le mot d’ordre serait « plus fort, plus vite et avec plus de moyens ». L’impatience et la crainte de devoir affronter un féminicide, en plus des cas quotidiens, souvent complexes à gérer, est dans toutes les têtes.
En Centre-Val de Loire, les associations qui règlent ces situations sont inquiètes. Nous avons écouté deux témoignages en Indre-et-Loire et dans l’Indre. Malgré un territoire et une population qui n’ont rien de commun, leurs situations et l’analyse qu’elles en font se rejoignent dans bien des domaines. Raphaëlle est membre du collectif Nous toutes 37.
Nous, ce qu’on a constaté nationalement, c’est qu’il y a moins de 50% des mesures qui avaient été annoncées en 2019 qui ont été mises en place par le gouvernement. Les dispositifs d’accueil d’urgence sont nettement insuffisants. On a compté qu’il manquait 13 000 places en France, puisqu’on estime le nombre de femmes en danger à 213 000. Il y a aujourd’hui en France 7800 places d’accueil d’urgence...
Mais le constat ne s’arrête pas là. S’appuyant sur le dernier communiqué de la Fondation des Femmes, les ordonnances de protection des femmes, délivrées par la justice seraient notoirement insuffisantes : il faudrait multiplier par dix ce dispositif.
Aujourd’hui il y a 3300 ordonnances de protection en tout et pour tout. D’autres mesures ne sont pas à leur goût « sur Tours les dispositifs de pastilles orange et verte vont être mis en place au commissariat. C’est une mesure qui nous semble assez dérisoire et même dangereuse pour les personnes qui sont victimes de violences sexuelles, puisqu’en quelque sorte elle les stigmatise ».
Le constat que le collectif fait, c’est que de plus en plus les victimes se tournent vers les réseaux sociaux pour dénoncer les faits, car il n’y a pas assez de personnes spécialisées pour prendre leurs plaintes en charge. « En Indre-et-Loire, d’après les témoignages de femmes qui vont porter plainte, après six mois, un an, il n’y a toujours pas de réponse, il y a un délai de traitement extrêmement long. La plupart des féminicides, ce sont des femmes qui avaient déjà porté plainte ».
L’épineux problème d’une prise en charge rapide reste donc d’actualité. Autre manque la prise en charge psychologique. Pour l’heure dans ce département, il existe un service gratuit de prise en charge. Mais il est réservé aux hommes violents, se désole le collectif.
« Dans l’Indre, nous attendons toujours la mise en place de la Maison de Femmes »
Rézina et Olivia appartiennent au collectif Nous toutes de l’Indre.
Olivia commence par un constat général « moi je dirais qu’au niveau national le bilan est très mitigé. Tout est très long. Le grenelle c’était pour parer aux urgences, je pense qu’ils ne comprennent pas ce qu’est une urgence, d’être une femme en danger ou un enfant en danger. Honnêtement aujourd’hui, à part le 3919 qui est en place 24h sur 24, depuis très peu de temps, car on a attendu près de deux ans, dans les faits il n’y a pas grand-chose qui a changé ».
Au niveau des acquis, l’Indre s’est dotée de huit places supplémentaires pour l’accueil d’urgence, mais Rézina souligne « Au niveau national cette réouverture s’est faite avec des places qui avaient été supprimées les années précédentes dans d’autres secteurs, c’est pas de la création c’est de la redistribution en fait » mais ajoute-t-elle on ne va pas se plaindre, ces huit places sont bienvenues.
Tout comme le kit d’accueil remis à l’hôtel quand les femmes arrivent en urgence avec leurs enfants, et qu’elles n’ont rien pour les réconforter. Pour elles, la mise en place d’un code couleur, les fameuses pastilles qui dérangeait en Indre-et- Loire sont ici mieux perçues. Elles déplorent juste que cela se limite au commissariat de Châteauroux et pas ailleurs.
Au Blanc on a une prise en charge psychologique des victimes, qui est plutôt pas mal, grâce au Centre Social et au 115. Des groupes de parole, une psychologue qu’on peut voir à titre individuel et qui nous reçoit même avec nos enfants en cas de besoin. C’est entièrement gratuit, il n’y a pas de liste d’attente, c’est très très bien, ça devrait être développé partout.
Rézina explique : « tout ça est très limité aux volontés micro-territoriales, et l’idée ce serait d’étendre partout les bonnes idées. Ce qui n’est toujours pas le cas. Dans l’Indre, nous attendons toujours la mise en place de la Maison de Femmes, où on pourrait avoir toutes sortes de services à apporter aux victimes, en faire un lieu refuge. Ce lieu là on l’attend. Il devait se faire à Châteauroux. La mise en place d’un comité de pilotage était prévue. Mais voilà, ce comité, on ne le voit pas se constituer. » Son analyse c’est que la marche de 2019 avait éveillé les consciences.
Et fait bouger les choses sous la pression de la rue. « L’année dernière, il n’y a pas eu de marche, alors peut-être pour ça que ça a ralenti la dynamique qui était lancée. Donc cette année il nous faut une marche énorme ».
Toutes les associations se mobilisent d’ores et déjà pour la réussite de cette marche contre les violences sexistes et sexuelles qui se déroulera le 20 Novembre prochain.