Sur les réseaux sociaux, les risques qui pèsent sur les adolescents et les jeunes adultes sont légion. Alors que débute la journée mondiale contre le harcèlement, comment se protéger, et protéger ses proches, de ces dangers ?
En deux heures, Quentin a vécu un enfer. Ce samedi-là, il a été pris au piège de deux escrocs, au point de mettre fin à ses jours. Tout commence sur Skype, où il croit discuter avec une jeune femme de son âge. Face à sa webcam, l'adolescent accepte de se déshabiller. Aussitôt le piège se referme : l'escroc le menace de diffuser les images de lui auprès de ses proches si Quentin ne lui envoie pas de grosses sommes d'argent.
Les échanges, dont la retranscription a été consultée par une équipe de Complément d'enquête en 2021, durent pendant deux heures et demie. L'adolescent de 18 ans finit par se suicider en se plantant un couteau dans le thorax. Ses parents le retrouvent, gisant dans sa chambre, à l'heure du dîner.
Des suicides de mineurs de plus en plus nombreux
Selon Santé publique France, en 2022, "les passages aux urgences pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur se maintiennent à des niveaux élevés, comparables (pour les 11-14 ans) voire supérieurs (pour les 15-17 ans et les 18-24 ans) à ceux observés début 2021".
Cette crise est due à des facteurs multiples et complexes, liés notamment à une atmosphère excessivement anxiogène, entre réchauffement climatique, pandémie et retour de la guerre en Europe. Elle est encore aggravée, expliquent les soignants, par le manque de moyens des services de pédopsychatrie. Et les réseaux sociaux, omniprésents dans la vie de la plupart des ados, sont un lieu où les ados risquent particulièrement d'être exposés à des contenus dangereux.
Un centre dédié pour accompagner les jeunes
À Tours, la santé mentale des jeunes et des ados constitue précisément la mission du centre Oreste, mis sur pieds par le centre hospitalier de Chinon. Son responsable, le docteur Xavier Angibault, nous accueille dans un bureau orné d'hommages à la pop culture et au cinéma. Sur les murs imitation bois, la moto d'Akira côtoie un poster des X-Men, l'affiche du Château dans le Ciel, des planches extraites de comics et ou encore des références à Game of Thrones.
Entre ces quatre murs, des dizaines d'ados défilent chaque année. "On s'occupe de tous les types de problématiques", détaille le docteur Angibault. Depuis les troubles anxieux jusqu'aux épisodes psychotiques, en passant par les troubles de l'attention ou du comportement alimentaire, des jeunes de 14 à 18 ans de tout le département d'Indre-et-Loire sont suivis par la douzaine de soignants du centre Oreste. Ensemble, ils organisent des séances individuelles, mais aussi des ateliers collectifs autour de l'art, du cinéma, ou encore des jeux vidéo.
Ici, "on ne diabolise pas les réseaux sociaux", explique le docteur Angibault. "C'est un outil comme un autre, par lequel les jeunes créent du lien, accèdent à des information, créent du contenu." Pour des jeunes en pleine construction, il s'agit aussi d'un espace de liberté et d'expérimentation, loin du regard et du jugement des adultes. Et par-là même, il comporte ses propres risques.
"C'est une façon de s'exposer au danger, mais de façon moins directe et moins violente que, par exemple, en faisant du scooter sans casque", détaille Xavier Angibault. En outre, "il y a cette idée que 'c'est pas la vraie vie'". Or, en s'exposant sur les réseaux, on prend aussi le risque de recevoir des contenus et des remarques violentes. Jusqu'au cyber-harcèlement, qui n'est sanctionné par la loi en tant que délit spécifique que depuis 2014.
Une clé : établir un cadre de confiance
Xavier Angibault cite, sans le nommer, un cas très proche de celui de Quentin. "Il a été séduit par une jeune femme en ligne, ils ont tous les deux allumé la webcam et débuté une relation sexuelle virtuelle", raconte le pédopsychiatre. Là encore, il s'avère que la petite amie virtuelle n'existe pas : un escroc a utilisé une vidéo vraisemblablement pré-enregistrée pour piéger le jeune homme et tenter de lui extorquer de grosses sommes d'argent.
"Il a immédiatement prévenu ses parents, qui ont déposé plainte", achève le médecin. L'histoire n'est pas allée plus loin. "Il s'est senti écouté, et il s'est senti suffisamment en confiance avec ses parents pour leur en parler", analyse Xavier Angibault. "Mais quand on est tout seul face à ce genre de problème, on peut très bien imaginer que ça tourne mal très vite !"
Pour préserver la santé mentale des jeunes, sur les réseaux sociaux et en dehors, le dialogue est la première ligne de défense. Du côté des parents, rester "authentiquement curieux" et s'intéresser à la vie sur les réseaux sociaux de son enfant, sans en être un intrus, peut offrir des clés pour briser la glace.
Il faut être capable de leur dire : "même si je n'y comprends rien, je sais que c'est important pour toi"
Xavier Angibault, pédopsychiatre au Centre Oreste
Restreindre l'accès aux réseaux sociaux peut être tentant, mais, comme le rappelle le pédopsychiatre, les ados ont très souvent une meilleure maîtrise de la technologie que leurs parents. Pour autant "ce n'est pas un mal en soi de ne pas être présent sur les réseaux sociaux. L'important c'est d'avoir des opportunités de créer du lien. Souvent les familles qui restreignent l'accès aux réseaux donnent à leurs enfants d'autres cadres pour se sociabiliser".
Vous êtes en danger ? Ne restez pas seul
Mais que faire si les parents ne sont pas présents, ou peu enclins au dialogue sur le sujet ? Dans ce cas, "il faut trouver quelqu'un de confiance, ça peut être une amie, un grand frère, un prof, une infirmière scolaire, un psy", énumère le docteur Angibault. "Le plus important, c'est de ne pas rester seul." Santé publique France donne d'ailleurs les mêmes recommandations.
En cas d'urgence ou de difficulté pour trouver une oreille attentive, vous pouvez aussi vous diriger vers une maison des ados. Il en existe généralement au moins une par département, et certaines, comme à Orléans, disposent d'équipes mobiles pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer. Accessibles sans rendez-vous et de manière anonyme, ces structures accueillent et conseillent les jeunes de 11 à 21 ans.
En dernier recours, si vous traversez une crise suicidaire, appelez le 3114 ou l'un des numéros recommandés par le ministère de la Santé et des solidarités.