Témoignage. Victime d’un viol jugé aux assises, elle raconte son parcours et dénonce le manque de prise en charge

Publié le Mis à jour le Écrit par Barbara Gabel
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En plein milieu de la nuit, Carole* s’est fait violemment agresser et violer chez elle. Condamné, son agresseur a fait appel de son jugement. Un deuxième procès va avoir lieu. Pour France 3, Carole revient sur ce drame et regrette le manque de prise en charge des victimes après un traumatisme.

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Carole* est une jeune femme de 37 ans qui vit en Touraine. En juin 2017, elle rentre chez elle après une soirée entre amis. Quand elle ouvre la porte de sa chambre, elle aperçoit une silhouette. Un homme cagoulé est en train de cambrioler son appartement. Celui-ci se jette sur elle, la violente et l’attache. "J’ai d’abord essayé de me débattre mais je n’ai rien pu faire", s’émeut la jeune femme en se rappelant les faits. Les yeux bandés, elle vit un calvaire. L’individu la viole.

"J’ai tout perdu en une nuit", explique Carole. Le traumatisme de cette soirée, elle doit apprendre à vivre avec. Mais se reconstruire est un parcours du combattant. S’y faire aider aussi. Et elle le comprendra très vite. Assise au bord de son canapé, les jambes croisées, Carole cherche ses mots. Elle trouve finalement le courage nécessaire pour nous livrer un témoignage bouleversant.
 

« La police a eu du mal à me croire »

Après la scène de violences, l’agresseur la laisse et repart avec sa carte bancaire et quelques objets. Elle appelle son père et un ami qui préviennent la police. Pour elle, le cauchemar n’est pas fini. "La situation était tellement violente et inimaginable, c’était digne d’un film… Forcément, la police a eu du mal à me croire au départ", raconte-t-elle, la gorge nouée.

"Certaines de leurs questions me donnaient l’impression que j’avais une part de responsabilité dans ce qu’il m’était arrivé", poursuit la jeune femme. "J’ai compris plus tard que c’était pour lever le doute sur mes propos."

L’individu a filmé une partie du viol. C’est cette vidéo qui a permis aux policiers de retrouver sa trace. Les empreintes ADN de l’individu sont également retrouvées partout dans l’appartement. Il s’agit de son voisin, âgé de 20 ans.
 

La prise en charge après l’agression "pas assez régulière et efficace"

Carole est d’abord emmenée à l’hôpital Bretonneau de Tours. Les médecins pratiquent sur elle des examens médicaux pendant deux heures. "Ils m’ont laissée toute seule dans une pièce avec la fenêtre ouverte… J’ai paniqué", se rappelle-t-elle. Plus tard dans la journée, à l’hôpital Trousseau cette fois-ci, Carole est reçue par une psychologue qui met un mot sur ce qu’elle vient de vivre : un viol. "Je n’avais pas réalisé. Tout ce à quoi je pensais, c’était la peur qu’il revienne me faire du mal".

À ce moment, Carole prend conscience qu’elle ne va pas s’en sortir seule. "Je sentais que j’avais besoin d’une aide", raconte-t-elle. "Et c’est pour cela que j’ai mis toute ma confiance dans la prise en charge des praticiens". On lui conseille alors de se tourner vers la clinique psychiatrique de Saint-Cyr-sur-Loire. Et, dans le même temps, vers l’hôpital Trousseau. Des soins pris en charge, mais aux résultats limités :"J’allais mieux, la peur ne prenait plus le dessus. Mais les séances n’étaient pas assez régulières et efficaces."
 
 

Le parcours de la reconstruction

L’association France Victimes 37, qui accompagne les victimes d’infractions pénales, va lui apporter un soutien psychologique important. "La psychologue de l’association a tout de suite compris ce que je ressentais et les difficultés que je traversais", se souvient-elle, avant d’ajouter : "j’avais vraiment l’impression d’avancer… mais je ne la voyais qu’une fois par mois".

L’aide la plus bénéfique que Carole trouvera est au centre régional de psychotraumatologie du CHRU de Tours. Avec une nouvelle psychologue, elle y découvre l’EDMR (EyeMovement Desensitization and Reprocessing), une méthode qui associe les mouvements des yeux de la personne aux images mentales qui lui rappellent la scène traumatisante. "Cette thérapie s’est révélée être une réelle aide pour moi", assure-t-elle. Carole bénéficiera ainsi de 10 séances hebdomadaires.
Financé par une enveloppe spéciale du ministère de la Santé, le centre régional de psychotraumatologie de Tours propose 10 à 15 séances avec un psychologue ou un psychiatre. "Si nos patients ressortent de nos thérapies avec des symptômes moins présents, nous n’effaçons jamais ce qu’ils ont vécu", reconnaît le Pr. Wissam El Hage, psychiatre responsable du centre. "Le but est de les aider à mieux vivre avec le traumatisme. Nous voulons les forcer au mouvement, à l’amélioration, nous ne voulons pas les inscrire dans une thérapie de longue durée".

Au-delà de ce que le centre régional de psychotraumatologie propose, le travail thérapeutique doit être poursuivi. Une situation que Carole n’a pas bien vécue : "J’avais la sensation d’être laissée tomber.

On me demandait de tout recommencer avec quelqu’un d’autre en payant cette fois-ci de ma poche. 

Aujourd’hui, Carole ne bénéficie plus d’aucune prise en charge ni de suivi psychologique. "Je ne peux pas me le permettre financièrement", assure-t-elle. "Si je n’arrive pas à m’en sortir seule, je réfléchirai à faire une nouvelle thérapie. Mais cela signifie de recommencer mon récit à zéro".


L’impression d’être oubliée par la justice

Carole tient à dénoncer un manque de prise en charge sur la durée des personnes ayant vécu un événement traumatique : 

Ce qui est révoltant, c’est qu’en tant que victime on n’a pas assez d’aide, ni d’écoute suffisante. Par contre, notre agresseur en prison, on lui offre une aide psychologique.

Pour l’avocat de Carole, maître François-Antoine Cros, "ce sentiment que la justice se préoccupe plus de l’accusé que de la victime est très courant. Pourtant, ni la justice ni l’avocat n’omettent cette dimension psychologique qu’endure une victime : on s’assure que celle-ci est bien suivie. Par ailleurs, 

le suivi socio-judiciaire du coupable n’est pas un cadeau que la justice lui fait. C’est une condamnation.

 
Pendant de longs mois, la jeune femme n’arrive plus à rester seule : "sortir de chez moi, conduire, faire les courses, c’était l’angoisse permanente". Elle quitte son travail, son club de sport, vend son appartement pour s’installer en colocation avec une amie. "En tant que victime, c’est à nous de changer de vie pour aller mieux", regrette celle qui assure avoir perdu beaucoup d’argent à cause de tous ces changements.
 

"Je me sentais coupable de n’avoir pas réussi à me défendre et à me libérer"

Se reconstruire reste un combat de tous les jours. Longtemps, Carole a revécu ces scènes d’horreur. "Je me sentais coupable de n’avoir pas réussi à me défendre et à me libérer", avoue celle qui aurait aimé qu’on lui dise que la culpabilité est un sentiment normal. "Mais il m’a agressée par surprise et la peur qu’il s’en prenne à ma vie m’a stoppé… Je me suis laissée faire et c’est cela que j’ai eu du mal à accepter. C’est peut-être le fait de me laisser faire qui m’a sauvée ; aujourd’hui je ne serai peut-être plus là." L’émotion est encore très présente chez Carole.

Pendant longtemps, je me suis dit qu’il aurait peut-être mieux valu qu’il me tue, lance-t-elle, entre deux sanglots. Cela aurait été mieux pour moi. Je n’aurais pas eu à souffrir pendant toutes ces années. Je ne trouvais plus rien qui valait le coup d’être vécu. Je n’avais plus goût à rien. Un événement comme celui-ci, ça vous marque à tout jamais. Aujourd’hui, j’essaie de vivre du mieux possible, sans jamais oublier ce qu’il s’est passé. Je me dis que la vie n’est pas finie et que je peux continuer à avoir malgré tout des moments sympas.
 

Le temps du procès, une nouvelle douleur

Deux ans et demi après, vient le temps du procès. Carole pensait que celui-ci allait la libérer. Cela a été tout le contraire. "Aucun psychologue ne m’avait préparée à la violence du procès, et surtout de l’après", regrette-t-elle. "Le procès a ravivé des blessures que je pensais avoir réparées". Même pour un avocat, le visionnage de la vidéo du viol, à la Cour d’Assises, est insoutenable : "La robe n’est plus du tout une protection de l’émotion et des affects face à cette vidéo d’horreur", témoigne l’avocat de Carole, maître François-Antoine Cros.

L’accusé a été condamné à 12 ans de prison. Mais a fait appel. "Il ne me laissera jamais tranquille !", s’agace la jeune femme.

Pour Carole, le soutien de ses proches est irremplaçable. "Au départ, j’allais voir un professionnel en me disant que ce qu’il m’apporterait aurait plus de valeur que ce que pouvaient me dire mes proches", se souvient-elle. "D’accord, les praticiens nous donnent des outils. Mais ce sont mes amis et ma famille qui m’aident à tenir le coup. Ce qu’ils me disent a en réalité beaucoup plus d’impact."

Carole a besoin d’aller plus loin. Pour la suite, elle réfléchit à ce qu’elle pourrait faire pour permettre à des personnes ayant vécu un traumatisme analogue au sien de vivre mieux : "Pourquoi ne pas offrir aux victimes d’agression un lieu où elles puissent se rassembler et en parler ensemble ?"

* le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée.
 
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