On a longtemps décrié (souvent à tort) leur mauvaise influence sur les jeunes. Pourtant, le jeu vidéo peut aussi se révéler comme un outil dans l'établissement d'une relation entre patient et thérapeute et, au-delà, comme un véritable objet de soin.
Dangereux, le jeu vidéo ? Depuis que l’OMS a fixé une définition de ce qu’elle appelle le “trouble du jeu vidéo”, on pourrait le croire. Lors de cette semaine d’information de la santé mentale, plusieurs conférences sont d’ailleurs consacrées aux “risques” constitués par les nouveaux usages du numérique.
Pourtant, ce même univers numérique qui fait si peur peut aussi être une cheville ouvrière des soins psychologiques. Les outils technologiques sont ainsi utilisés en psychiatrie, comme dans le programme RECOS, notamment au centre hospitalier George Sand à Bourges. Des “serious games” ont également été exploités dans un but pédagogique auprès des patients et de leurs proches.
Quand le jeu vidéo devient un outil thérapeutique
Arnaud Sylla est psychologue clinicien. Depuis une dizaine d’années, ce Tourangeau a intégré avec succès des jeux vidéo grand public à son approche du soin. Au Centre d’accueil Oreste, à Tours, il reçoit des adolescents qu’il décrit comme “en marge”, ou “en rupture”. Parmi eux, certains souffrent de phobie scolaire, de phobie sociale ou encore d’anorexie mentale. Des jeunes pour qui la relation avec un psychologue peut paraître intimidante.“L’enjeu, c’est de créer un espace d’accueil, sécurisant, pour leur permettre de s’exprimer”, explique le soignant. Dans son bureau décoré d’affiches de films, Arnaud Sylla consacre entre une demi-heure et une heure à cet “espace intermédiaire” avec ses patients. Des jeux de toutes sortes, choisis ou proposés par le jeune.
Parmi ceux-ci, on retrouve des jeux d’énigmes et d’aventure, comme Machinarium, ou la trilogie Syberia de Benoît Sokal. Certains autres sont des jeux de combat, comme Naruto Shippuden, inspiré du célèbre manga, ou TowerFall Ascension. D’autres encore font parler par les émotions qu’ils provoquent, comme Life is Strange, des français de Dontnod, Celeste, ou encore le superbe jeu de plateforme espagnol Gris.
Une pratique encore minoritaire
Au coeur de la démarche : le rétablissement d’une connexion et d’une confiance entre le jeune et son entourage, grâce au jeu. Il n’est pas ici question de remplacer par le jeu l’ensemble du suivi ou de la prise en charge, mais bien de s’en servir comme d’un outil thérapeutique parmi d’autres. Comme avec ce jeune homme qui parvient à exprimer ses émotions en incarnant dans Euro Truck Simulator un chauffeur routier, le métier de son père.Malgré ses vertus, le jeu vidéo est encore loin de faire l’unanimité parmi la profession : ils ne sont encore qu’une cinquantaine de professionnels à l’utiliser, comme par exemple au CESAME d’Angers. Pratiqué par une large majorité de la population sous une forme ou une autre, le gaming reste cependant relégué au rang de sous-culture.Co-auteur sous la direction de Marion Haza de "Médiations numériques : jeux vidéo et jeux de transfert" (Érès poche 2019), Arnaud Sylla est en conférence au Muséum d'histoire naturelle de Bourges ce vendredi 22 mars.