Le 13 janvier marque la journée mondiale de la sensibilité. L'occasion d'expliquer ce qu'est l'hypersensibilité. Un terme qui peut faire peur, mais qui n'a rien à voir avec une quelconque pathologie et concerne un Français sur trois.
"Pourquoi les autres peuvent-ils regarder un film d'horreur, et passer à autre chose deux heures plus tard, alors que moi, je rumine pendant des jours ?" Cette question, Stéphanie Debièvre se l'est posée dans de nombreux domaines. Pleurnicheurs, chochottes, personnes qui prennent tout à cœur ou se prennent la tête "pour un rien", les principaux concernés ont souvent entendu ces qualificatifs. Aujourd'hui, il existe une formule consacrée : l'hypersensibilité.
"Hautement sensible" plutôt qu'hypersensible
Pourtant, pour Saverio Tomasella, psychanalyste, il n'est pas exact. Il s'agirait en fait d'une mauvaise traduction du terme "highly sensitive", dans un ouvrage de la spécialiste américaine du domaine, Elaine Aron, par "hypersensible" en français. Ce qui signifierait alors qu'il y a trop de sensibilité chez les personnes concernées .Le risque, explique Saverio Tomasella "c'est de voir l'industrie pharmaceutique se saisir de la terminologie pour créer des médicaments". Lui préfère alors le terme "hautement sensible".
En France, c'est ce spécialiste qui a lancé la journée mondiale de la sensibilité, elle a lieu tous les ans le 13 janvier.
Cette sensibilité décuplée n'est pourtant pas une maladie "c'est un tempérament" insiste le psychanalyste. Et pour cause, environ 30% de la population mondiale est concernée. C'est simplement "un curseur de sensibilité différent". Aucun diagnostic donc, mais un test, développé par Elaine Aron, qui permet par exemple aux psychologues d'accompagner cette spécificité.
À Montlouis-sur-Loire, près de Tours, Stéphanie Debièvre est thérapeute pour accompagner les hypersensibles. Dans une société parfois peu perméable à la sensibilité, elle encourage à accepter ce trait de personnalité. "Au travail par exemple, si une situation nous submerge, il va falloir apprendre à ne pas nier cette émotion, mais à la traiter plus tard, parce que l'on sait que ça risque de ne pas être accepté."
Environnement déterminant
Après une école de commerce, puis du coaching en entreprise, Stéphanie Debièvre n'était pas du tout destinée à cette pratique. Elle s'est d'abord concentrée sur ses enfants pour comprendre leurs réactions, et s'est aperçue qu'ils ont ce tempérament. Elle-même est particulièrement sensible. Et ce n'est pas un hasard pour Saverio Domasella.
Des parents hautement sensibles vont avoir tendance à développer l'expression de la sensibilité chez leurs enfants, qui y deviendront eux-mêmes plus perméables. "On peut développer l'intelligence, mais aussi la sensibilité". Si un enfant particulièrement sensible est accompagné, il aura tendance à être globalement en meilleure santé, contrairement à celui qui se verra nier ses réactions. On parle alors d'héritage familial.
La génétique aussi, a son mot à dire, pour certains, la sérotonine, hormone du bonheur, est moins facilement absorbée : "il y aurait une difficulté chez eux à tout utiliser".
Fonctionnement différent
Mais alors, qu'est ce qui fait que nous sommes plus ou moins sensibles ? Tout se passe au niveau du cerveau. Les personnes hautement sensibles sont souvent plus observatrices, ont le sens du détail. C'est parce qu'elles ont un traitement plus important des informations que la moyenne. Les décisions sont souvent plus longues à prendre.
La stimulation cérébrale est alors presque constante. En clair, ça tourne à plein régime, en permanence, alors "elles saturent plus rapidement" détaille Saverio Tomasella. "Ils ont donc tendance à avoir besoin de plus d'heures de sommeil. Huit ou neuf heures, là où les autres pourraient se contenter de sept".
L'effet "éponge" leur est aussi affublé. Les émotions des autres ont alors des conséquences sur soi. "Un conflit au travail peut vous rendre triste ou de mauvaise humeur alors que vous n'êtes pas concerné" affirme le psychanalyste. "Les neurones miroirs, dans la zone frontale sont davantage activés, ce qui donne une prédisposition à l'empathie." Ajoutez un sens de la nuance approfondi, et voilà des enfants ou adultes qui s'attachent au moindre détail "la manière de dire quelque chose peut parfois avoir plus d'importance pour eux que ce qui est effectivement dit."
Une particularité "à la mode" ?
Il suffit de faire un tour dans une librairie pour voir que les auteurs et éditeurs se sont saisis du phénomène. "Suis-je hypersensible ?", "Fort comme un hypersensible", "Le pouvoir de l'hypersensibilité", les titres ne manquent pas. Sur les réseaux sociaux, aussi, certains influenceurs le revendiquent. Emma CakeUp, désormais "emma.paris", au million d'abonnés sur Instagram, publiait en 2020 un post expliquant son hypersensibilité.
Une popularité du terme qui a obligé les spécialistes à davantage définir cette sensibilité : "on s'est un peu retrouvés piégés, on se doit d'être plus précis pour éviter les dérives" détaille Saverio Tomasella.
Les comptes dédiés sur les réseaux sociaux fleurissent aussi, notamment pour "mieux la vivre", mais aussi, parfois, des thérapies hors de prix, ou des "solutions miracle" à un problème qui n'en est pas un.
