"Priorité à la téléconsultation, les cas suspects reçus l'après-midi" : le témoignage d'une médecin d'Indre-et-Loire

Caroline Brousse Favelle exerce à Saint-Etienne-de-Chigny en Indre-et-Loire, à quelques kilomètres de Tours. Rationnée en masques, elle se protège mais ne peut pas en proposer à tous les patients suspects qu'elle reçoit l'après-midi. Ils doivent attendre dans leur voiture sur le parking.

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  • Comment vivez-vous cette période ?
Pour l'instant on arrive à s'organiser. Dans la région on a anticipé l'afflux de patients mais nous sommes démunis par rapport au manque de matériel : nous n'avons pas assez de masques, en particulier les FFP2, ni de gel hydroalcoolique. Heureusement, il me reste des masques H1N1 de 2009 (période de la grippe aviaire) qui sont des FFP2. Il a fallu aller chercher les informations soi-même au début mais, depuis quelques jours, l'Agence Régionale de Santé et le Conseil de l'Ordre nous envoient des éléments. Le délégué à la sécurité sociale nous a appelé jeudi dernier pour nous dire que l'on pouvait faire de la téléconsultation remboursée à 100 % par l'Assurance Maladie.
 
  • Comment se déroule une journée depuis le début du confinement ?
J'annule tous les rendez-vous qui ne sont pas importants, les patients sont rassurés et le comprennent. Habituellement, j'ai entre 20 et 25 patients par jour mais, depuis mardi dernier (NDLR : le 17 mars), le chiffre est tombé à 8 au cabinet car j'ai commencé les consultations par téléphone. Cela est possible en téléconsultation avec l'aide de WhatsApp en vidéo : ça concrétise la consultation et cela rassure les patients. Au cabinet, je scinde les journées en deux : le matin, je reçois les patients non infectés et l'après-midi ceux potentiellement infectés covid-19. Mais je leur demande d'attendre dans leur voiture sur le parking. En revanche, je dois faire face à beaucoup d’appels de patients inquiets. Sur demande de l'Assurance Maladie, j'ai décidé d'accepter les patients dont je ne suis pas le médecin généraliste référent. Et puis, je fais partie de la réserve sanitaire : je suis "mobilisable" pour une dizaine de jours quelque part en France, si la situation s'aggravait mais cela reste sur la base du volontariat. Comme on ne sait pas comment cela va évoluer au cabinet et comme mon mari est médecin et que nous avons trois enfants sans mode de garde, ça risque d'être compliqué si je suis appelée.
 
  • Avez-vous eu des suspicions de patients atteints du Covid-19 ?
Oui depuis plusieurs semaines déjà. Un couple, que je vois rarement par exemple, est venu me consulter après un week-end passé à Paris avec de la fièvre et de la toux mais sans complications respiratoires, j'ai appelé le 15, ce qui était préconisé il y a 15 jours, qui m'a dit qu'on ne pouvait pas les tester. On ne teste que les patients qui ont séjourné dans un "cluster" (un foyer identifié comme ceux de Mulhouse ou de l'Oise) ou ceux qui sont hospitalisés. D'ailleurs, les tests sont effectués uniquement à l'hôpital. Je les ai donc mis en arrêt de travail. Ils ont peut-être eu le Covid-19. Pour tous les cas suspects que j'ai rencontrés, je me suis fait une fiche : je les rappelle au bout de 6-7 jours pour les orienter si besoin vers la cellule du SAMU 15. Mais concrètement il est impossible de tester tout le monde, il n'y a pas assez de tests et pas assez non plus en production. On fait tester ceux qui sont fragiles et ceux qui ont séjourné dans un cluster.
 
  • Comment réagissent les patients ?
Ils sont enfin compréhensifs mais il y a deux semaines, ils plaisantaient tous ou presque. "On ne va pas tomber dans la psychose" me disaient-ils. Les gens sont inquiets. Je les rassure mais je leur précise qu'en cas de complications respiratoires, leur état pourrait s'aggraver : c'est une réalité qu'il ne faut pas occulter. Je constate cependant une forme de solidarité. J'ai des patients qui m'ont appelée l'autre jour, ils travaillent dans le BTP : ils m'ont fait don de leurs masques FFP3 !
 
  • Quelles sont désormais les facilités techniques proposées par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ?
Quand les patients sont des parents, les arrêts de travail sont directement réalisés par les employeurs sur le site ameli.fr. Si le patient est fragile et en situation d'ALD (Affection de Longue Durée), il peut le faire lui-même sur ce même site. Pour la téléconsultation, c'est avec une feuille de soin dégradée, il n'y a pas besoin de passer la carte vitale et la consultation est prise en charge à hauteur de 100% par l'Assurance Maladie, donc les patients ne règlent rien. C'est une très bonne décision de prise. ça permet aux médecins de suivre leurs patients sans prise de risque.
  • Comment jugez-vous la gestion de cette crise ?
Je trouve que l'on n'a pas bien pris la mesure de cette crise sanitaire. J'ai commencé à mettre des masques début mars et les gens me regardaient de travers. Tout le monde est désormais bien mobilisé mais cela n'a pas été bien centralisé au départ. Comme il y a une prise en charge de 100% par l'Assurance Maladie depuis jeudi, les médecins vont pouvoir continuer à donner des consultations. Pour les renouvellements de traitements, la décision de prolonger la validité des ordonnances pour les pharmaciens va nous soulager. Mais le jour où cette crise sera réglée, il faudra s'intéresser de près au travail et aux missions du Comité national de santé publique qui aurait dû anticiper et voir la crise arriver. Je n'en veux à personne mais il faudra déterminer qui savait quoi et à quel moment. 
 
 
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