L'image sexiste d'une femme nue et inconsciente, sur une banderole brandie par des étudiants en médecine de Tours, a choqué et fait beaucoup réagir. Certains défendent encore un "esprit carabin". Les associations féministes déplorent le "rapport au corps des femmes" de ces futurs médecins.
Les regards sont fuyants, devant la faculté de médecine de Tours. La caméra de France 3 effraie, et peu d'étudiants acceptent de se risquer à donner leur avis sur la dernière polémique. Celle de la banderole sexiste, brandie par quelques étudiants en médecine tourangeaux lors d'une soirée alcoolisée le 16 septembre.
Un jeune homme, en première année, accepte de s'exprimer. Il se dit "choqué". "Ce n'est pas l'esprit qu'on devrait avoir en médecine", assure-t-il. "Ce n'est pas quelque chose de sain pour soi et pour les autres", ajoute l'étudiant, considérant que "ça ne donne pas envie" de participer à ce genre de soirées. Comme la sienne, les réactions outrées se sont accumulées depuis la révélation de l'affaire par France Bleu Touraine.
Certains relativisent les faits
Pourtant, certains ne semblent pas voir le problème avec la fameuse banderole. "Je ne suis pas choqué dans le sens où je sais que c'est l'esprit en médecine, que c'est déjà arrivé, que ça arrive et que ça arrivera sûrement encore", tente un autre étudiant en médecine à Tours, au micro de France 3. Il dit "comprendre que ce soit difficile à accepter" pour "les personnes extérieures", mais met en avant "l'esprit carabin".
Des paroles irrecevables, pour Mathilde, militante au sein du Réseau féministe 37. "Ce n'est pas possible de ne pas être choqué devant la violence de cette photo", s'indigne-t-elle. Car la banderole représente une femme dénudée, visiblement inconsciente dans un verre à cocktail géant, au-dessus de laquelle se dresse un pénis en érection. Sous le dessin, est inscrit "GHBites", en référence au GHB, communément appelé "drogue du violeur".
"Ça n'a rien de carabin, c'est la réalité", poursuit Mathilde :
Des hommes droguent sciemment des femmes pour les violer. Ce n'est pas anodin, il y a préméditation. C'est grave qu'un étudiant en médecine puisse dire que c'est carabin.
Mathilde, Réseau féministe 37
Surtout en pleine affaire des viols de Mazan, où la soumission chimique est utilisée pour chaque viol. Et ces étudiants sont les médecins de demain. "Quel rapport au corps des femmes auront-ils quand ils vont les soigner ?"
Un possible effet de groupe dangereux
Âgée de 42 ans, la militante se souvient de ses études en fac d'histoire "il y a 20 ans" : "Quand je voyais les étudiants en médecine débarquer en soirée, je fuyais. Ils étaient déjà hors des clous." Elle y voit les résidus de ce qui est resté un "monde d'homme pendant des décennies", et qui est encore aujourd'hui "baigné de culture de domination par des hommes". Et ce malgré la présence de femmes dans les bureaux des associations. Sur la photo de la soirée, la banderole est tenue aussi par des femmes. Mathilde déplore "un patriarcat ancré", peu importe le genre.
Elle regrette aussi un "backlash", ou retour de bâton, après "le mouvement MeToo et le fait qu'on parle" : "Plus on dénoncera, plus on prendra la place qui est due dans la société, moins ils auront de pouvoir. Et ça, c'est valable aussi chez les jeunes." Ce qui expliquerait, selon elle, la persistance de certains comportements sexistes, y compris chez la jeune génération, théoriquement plus au fait des questions de violences sexistes et sexuelles que leurs aînés.
L'étudiant en médecine interrogé par France 3 dénonce, quant à lui, un "tribunal populaire" : "Les gens extérieurs à ça nous prennent tous pour des agresseurs. Alors que la majorité d'entre nous soit n'était pas au courant, soit n'en avait pas grand-chose à faire. Pour nous, c'est juste une chose de plus." Mais c'est justement cette passivité que reproche Mathilde. "Certains peuvent ne pas être d'accord, mais dans le collectif, ils se taisent, parce que les hommes fonctionnent en meute", lâche-t-elle.
La militante de Réseau féministe 37 espère que les associations concernées ne seront plus subventionnées, et que de véritables sanctions voient le jour. "Sinon, ça ne s'arrêtera jamais."
Enquête pénale ouverte
Dans un communiqué commun, une vingtaine d'associations, mouvements politiques et syndicaux tourangeaux ont dénoncé un comportement qui "n'est pas un cas isolé et n'est que symptomatique de la culture de l'hypersexualisation et du viol".
Hypersexualisation dans les divers logos associatifs liés à la fac de médecine, notamment. Ceux des bureaux successifs de l'Association des carabins de Tours (ACT), figurant toujours le dessin d'une femme hypersexualisée. Ou bien le logo de la fanfare des étudiants en médecine, appelée "La Vaginale", représentant une femme nue se touchant les parties intimes. Ledit logo a d'ailleurs été remplacé, ce 2 octobre sur la page Facebook de la fanfare, par une silhouette recouverte d'un drap blanc.
L'université aussi s'est exprimée, condamnant la banderole, ainsi que d'autres actes de violences sexuelles signalées lors de la même soirée. L'ACT a été contrainte de prendre la parole. Dans une lettre ouverte, elle "condamne fermement tout acte dégradant et toutes les violences sexistes et sexuelles ayant pu avoir lieu au cours de cette soirée". L'association assure avoir été "impliquée dans la sécurisation de cet évènement", mais concède que ses "actions de prévention n'ont pas permis d'empêcher la survenue d'agissements inacceptable". Elle plaide enfin pour un renforcement de "la prévention" et de "la sensibilisation menées auprès des étudiantes et étudiants".
L'ACT affirme vouloir "coopérer" avec l'université "et les instances concernées afin que les responsables de ces violences assument les conséquences de leurs actes". Car une enquête pénale a été ouverte après signalement à la procureure de la République de Tours, et une enquête administrative doit suivre.