Croisade d'un député de l'Indre contre l'écriture inclusive, la linguiste Laélia Véron nous explique l'enjeu

L'écriture inclusive est-elle "illisible et discriminante" ? C'est ce que pense, en tout cas, François Jolivet, élu LREM dans le département de l'Indre. Il est à l'origine, à l'Assemblée Nationale, d'une proposition de loi soutenue par plusieurs dizaines de députés de la droite et de la majorité.

Mon objectif, c'est d'interdire aux personnes en charge d'une mission de Service Public d'utiliser l'écriture inclusive dans les documents écrits. L'intérêt général, c'est notamment l'égalité d'accès à l'information et certaines personnes n'arrivent pas à lire cette écriture.

François Jolivet, député de l'Indre

 

"Je pense notamment aux dyslexiques, poursuit M. Jolivet. Mais aussi aux malvoyants qui n'ont pas les outils logiciels pour lire l'écriture inclusive, ou aux personnes âgées qui s'en trouvent désorientées. Cela met à part beaucoup de Français, et c'est insupportable," explique le député de la majorité.

Mais de quoi parle-t-on, au juste? Pour le député de l'Indre, il s'agit de l'usage récent du point médian, ainsi que des raccourcis (ielles pour ils et elles, par exemple). Mais l'écriture inclusive prend bien d'autres formes, comme le rappelle Laélia Véron, linguiste, maîtresse de conférence à l'Université d'Orléans

"Il existe différentes modalités de représentation égale des hommes et des femmes dans la langue, de non-invisibilisation des femmes. Certaines sont en usage et ne font plus débat, d'autres en revanche, créent la polémique."

Parmi les formes acquises, Mme Véron cite la féminisation des métiers et fonctions (autrice, préfète), et l'emploi de mots épicènes (élève, linguiste) qui s'écrivent de la même façon dans les deux genres. Mais aussi l'utilisation de la double flexion, comme dans à toutes et à tous ou dans Françaises, Français (qui a fait scandale lorsque le général de Gaulle l'a employé pour la première fois !).

"Le point médian est une mise à égalité"

"Le point médian, dont l'invention est récente, fait polémique, reprend Mme Véron. Il s'agit d'une abréviation, étudiant.e.s signifie étudiantes et étudiants à l'oral. On n'y est pas habitué, on ne sait pas forcément comment le lire ou l'utiliser. Il remplace en fait la parenthèse que l'on trouve par exemple sur les cartes d'identité, avec né(e) le... La parenthèse laisse penser que c'est supprimable, accessoire. Le point médian est une mise à égalité."

La maîtresse de conférence estime que le député de l'Indre n'est pas clair dans ses intentions avec cette proposition de loi : "s'il est question du masculin générique, l'idée que l'on n'a pas besoin d'une forme féminine, que le masculin englobe hommes et femmes, alors le propre texte de ce député, lorsqu'il s'adresse à ses "chères collègues et chers collègues", devrait être censuré!"

L'emploi du masculin générique (par exemple les ouvriers au lieu de les ouvrières et les ouvriers) est-il sexiste ? C'est peut-être excessif, estime Laélia Véron, mais il y a bien des conséquences :

Ne pas nommer les femmes...Des chercheurs, comme Pascal Gygax, ont montré que les filles se projettent moins dans certains métiers si la forme n'est qu'au masculin. On peut donc parler d'invisibilisation plutôt que de sexisme. Et il y a aussi un souci de précision. Qu'entend-on au juste par "les Droits de l'Homme" ?

Laélia Veron, linguiste et maîtresse de conférence à l'Université d'Orléans

L'écriture inclusive, un combat pour les féministes

"Oui, l'écriture inclusive est un combat pour les féministes, estime pour sa part Valérie Costeja, co-présidente d'Osez le Féminisme 37. Il s'agit bien de la société patriarcale, ce sont bien des hommes qui ont décidé de mettre le masculin en priorité sur le féminin. Autrefois l'adjectif s'accordait au nom le plus proche, on disait ces hommes et ces femmes sont belles. On appliquait la règle de proximité, arbitrairement supprimée par l'Académie française. Pour moi, ça a une importance que l'on arrête de parler au masculin dans une assemblée où il y a 30 femmes et un homme !"

Il n'est pas question pour autant de vouloir imposer l'écriture inclusive du jour au lendemain :

"Une langue, ça évoue, ça bouge, tout doucement, reprend Mme Costeja. On ne souhaite pas imposer à qui que ce soit l'usage de l'écriture inclusive, mais laisser librement à ceux qui le souhaitent la possibilité de l'inclure dans leurs documents. Vouloir l'interdire nous semble une position très agressive, il n'y a aucun danger, aucun péril. Il y a juste des personnes qui souhaitent tranquillement la mettre en place. Cette nouvelle polémique me semble bien triste, il me semble qu'il y a mieux à faire."

Ce qui semble bien être aussi l'avis du gouvernement, puisque son porte-parole, Gabriel Attal, a estimé, évoquant cette proposition de loi, qu'il y avait "d'autres priorités".

Le député Jolivet n'en a cure : "Les membres du gouvernement peuvent dire ce qu'ils veulent, il s'agit d'une proposition de loi, présentée par des parlementaires, nous sommes près de 100 aujourd'hui, je crois. Le gouvernement fait ce qu'il veut, le parlement aussi. Puisqu'il va falloir s'habituer à vivre avec le virus, les vrais sujets remontent."

L'élu de l'Indre n'en démord pas : "Je ne dis pas que la langue doit être figée, mais il faut bien des principes. Aujourd'hui, il y a des auto-entrepreneurs de la langue. Pour moi, qui suis élu LREM, le "en même temps", ce n'est pas laisser tout faire!"

La linguiste Laélia Véron, elle, constate les réactions virulentes et passionnées que suscite la question de l'écriture inclusive :

"Il y a forcément quelque chose derrière ce débat linguistique, des enjeux sociétaux et politiques. L'attachement à notre langue ne suffit certainement pas à expliquer la virulence des échanges. Et quant à la complexité de l'écriture inclusive qui rendrait l'apprentissage de notre langue encore plus difficile, là ausssi je m'interroge : la complexité du Français est souvent présentée comme une richesse, un argument, justement, pour refuser les simplifications de l'orthographe!"

POUR ALLER PLUS LOIN

Quelques liens pour approfondir la question de l'écriture inclusive :

1 : Le texte de la proposition de loi

2 : Le point sur l'état de la recherche concernant les différentes formes d'écriture inclusive

3 : Faut-il démasculiniser notre cerveau? Un podcast de Laélia Véron avec Pascal Gygax.

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