Deux jours après le placement en redressement judiciaire de l'enseigne La Halle, les représentants de la centrale syndicale Vivarte ont rencontré les salariés du dépot logistique d'Issoudun. Les sites d'Issoudun et Montierchaume dans l'Indre comptent 489 salariés en sursis. Témoignages.
J'enfonce la croix de la galère et j'enterre toutes ces années de travail jamais reconnues. C'est une façon de dire au revoir.
Munie d'un marteau, cette salariée en sursis du dépôt logistique de La Halle plante une des nombreuses croix qui symbolisent les emplois menacés à Issoudun et à Montierchaume par le placement en redressement judiciaire de l'enseigne La Halle.
Ce jeudi 4 juin 2020, les représentants de la centrale syndicale du groupe Vivarte sont venus rencontrer et surtout écouter le désarroi de ces salariés usés et en colère.
Christine Néron, 26 ans d'ancienneté : "Je vais me retrouver sans emploi avec une maison à payer et les études de mon fils à financer"
Christine Néron ne peut retenir ses larmes. Ses sanglots ponctuent chacune de ses phrases. "Je n'ai pas vu grandir mes enfants parce que j'étais sur le créneau 13 heures-21 heures. Aujourd'hui, je pourrais un peu en profiter mais je n'ai plus rien."
Cette salariée a travaillé pendant plus de 26 ans au dépôt logistique de La Halle à Issoudun. Elle élève seule son fils de 18 ans. "Mon fils veut être professeur d'anglais. Je dois financer ses cinq ans d'étude parce que je ne veux pas qu'il travaille en plus de l'Université. C'est ce que j'ai fait et cela a été un échec. Je voulais qu'il ait un meilleur avenir que le mien. Mais comment je vais faire maintenant ? Je ne sais plus."
Corinne Bernard, 36 ans d'ancienneté : "Mon mari, mon fils et moi allons tous les trois nous retrouver au chômage."
Corinne Bernard travaille depuis juin 1984 au dépôt logistique de La Halle à Issoudun. "On s'est donné beaucoup de mal pour ce dépôt. Nous avions des conditions de travail déplorables et pourtant on a travaillé dur. J'ai fait beaucoup d'heures non payées parce que j'aimais mon travail. C'était toute ma vie."
Depuis l'annonce du redressement judiciaire de l'entreprise, Corinne met chaque euro qu'elle peut de côté. "Je ne vis plus. Je n'achète que le strict minimum pour manger. Les mois qui viennent s'annoncent terribles. Nous serons trois à nous retrouver au chômage si le dépôt ferme : mon mari, mon fils et moi."
A 56 ans, Corinne craint de ne pas retrouver un emploi. Sans permis, elle venait au dépôt avec son mari. "Même si par miracle je retrouve un emploi, je vais devoir repartir à zéro avec tous les sacrifices que j'ai fait pour l'entreprise. C'est lamentable."
"Si on ne trouve rien dans le secteur, on déménagera et puis c'est tout"
Sylvie, Denis et Marie-Christine ont déjà vécu un Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) à Montierchaume il y a quatre ans.
"J'y croyais pas. Je pensais finir ma carrière ici. Retrouver un emploi en interim à 50 ans ça va être compliqué", nous confie Sylvie Ardelet, 27 ans d'ancienneté. "Je suis en colère. On nous a raconté plein de choses qui ne se sont jamais faites. On nous a menés en bateau. Ils nous font travailler mais on ne sait pas pourquoi. Ils nous disent que l'argent sera pour nous mais on n'y croit plus."
Juste à côté de Sylvie, Denis Perrot, 25 ans d'ancienneté, essaie de relativiser et de penser à l'après : "Ma femme travaille ici et mes deux fils sont intérimaires. On va donc prendre un bus ensemble pour aller à Pôle emploi. S'il n'y a rien dans le secteur, on déménagera et puis c'est tout. De toute façon, la boîte ne nous aide pas à rebondir. Elle ne nous aide qu'à partir plus vite."
Marie-Christine Compain est venue soutenir ses collègues : "A l'époque, j'ai pu rebondir en retrouvant un poste ici. Maintenant je dois subir un second plan de sauvegarde de l'emploi. Pour moi encore ça va parce que je pars à la retraite le 1er octobre mais je pense à tous les autres."
La centrale syndicale exige une prime supra-légale pour les salariés licenciés
"C'est important de leur montrer qu'on sera avec eux jusqu'au bout et de leur apporter notre soutien. Beaucoup de salariés sont dans une grande détresse psychologique."
Hélène Heinrich est la déléguée centrale de l'intersyndicale du Groupe Vivarte, propiétaire de La Halle. Elle est venue ce jeudi 4 juin à Issoudun avec plusieurs membres de la Centrale syndicale expliquer aux salariés d'Issoudun leur combat :
"On voudrait que les pouvoirs publics fassent pression sur nos actionnaires pour qu'ils assument leurs responsabilités. Ils doivent payer aux salariés une prime supra-légale en plus des indemnités de licenciement ainsi que des formations et des congés de reclassement. Nous exigeons des mesures d'accompagnement décentes et méritées pour ces salariés qui ont sacrifié leur vie et qui ont pour beaucoup des pathologies importantes dues à leurs conditions de travail souvent très difficiles."
Une réponse sur les possibilités de reprise le 9 juin 2020
La Halle qui compte 5 391 salariés en France a été placée en procédure de sauvegarde le 21 avril 2020 et en redressement judiciaire le 2 juin 2020.
Parmi les offres de reprise partielle, la plus importante est celle du groupe Beaumanoir (propriétaire de Morgan) qui reprendrait 2 500 salariés soit moins de la moitié du personnel.
ais aucun repreneur ne semble s'intéresser au sort des dépôts logistiques d'Issoudun et de Montierchaume qui comptent 489 emplois.
"Les candidats qui se sont manifestés pour la reprise de nos magasins ont déjà leur propre logistique. Nous aurions aimé vendre en même temps nos centres logistiques mais de toute évidence, cela ne se fera pas. On va donc chercher une offre séparée pour nos sites. Nous avons des pistes sérieuses mais il est encore trop tôt pour les évoquer", a commenté Patrick Puy, président de Vivarte, groupe auquel appartient encore La Halle.
Un nouveau dépôt d'offres de reprise a été lancé auprès des repreneurs. Le tribunal de commerce de Paris a fixé au 9 juin le dépôt de leur offre définitive.
"Le dossier de La Halle devrait être clos début juillet, a annoncé Patrick Puy. Il y aura alors un délais d'un mois pour la négociation du Plan de sauvegarde de l'emploi concernant les salariés qui ne seront pas repris. Les premiers licenciements interviendront début août".
Reportage à Issoudun le jeudi 4 juin 2020 d'Antoine Wernert, Stéphane Dosnes et Laurent Vaury :