Le ministre de l'Éducation nationale Gabriel Attal a annoncé vouloir interdire le port de l'abaya, longue robe traditionnelle du Maghreb et du Golfe, dans les établissements scolaires français. Une revendication des syndicats de chefs d'établissements, qui ne fait pas que des heureux.
L'annonce a fait beaucoup parler d'elle sur les réseaux sociaux. En direct dans le journal de TF1 ce dimanche 27 août, le nouveau ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal, a été des plus clairs : "On ne pourra plus porter d'abaya à l'école." Une prolongation de la loi de 2004, restreignant le port de signes religieux dans les établissements scolaires.
L'abaya est une robe longue, répandue notamment dans le Maghreb et dans les pays du Golfe. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a estimé en juin que l'abaya "n'est pas" un signe religieux musulman. Interrogé par l'AFP, Haoues Seniguer, maître de conférences à l'IEP de Lyon et spécialiste de l'islamisme, estime que l'abaya, "c'est beaucoup plus ambivalent qu'un voile". "En contexte arabe ou dans les pays du Golfe", l'abaya "n'est pas fondamentalement ou initialement un vêtement religieux", rappelle-t-il.
Au bon cœur du chef d'établissement
Si bien que, jusqu'à présent, une grande latitude était laissée à l'appréciation du chef d'établissement. Notamment dans une circulaire du ministère, datée de novembre 2022, selon laquelle l'abaya n'est pas "une tenue religieuse par nature", mais son port "peut revêtir un caractère religieux éventuel".
"On était seuls en première ligne", estime Stéphane Bolo-Lumbroso, secrétaire départemental du syndicat des personnels de direction de l'Éducation nationale dans le Loiret (SDPDEN-UNSA 45). Pour lui, cette interprétation pouvait le mettre, ses collègues et lui, dans "une position inconfortable, voire intenable dans des établissements où le port de l'abaya est répandu".
Il explique avoir lui-même, en tant que directeur du lycée professionnel Paul-Gauguin à Orléans, entamé un dialogue avec des élèves qui portaient l'abaya. Finalement, il n'a pas proscrit le vêtement, après avoir reçu "l'assurance de la jeune élève qu'elle changeait de vêtements régulièrement".
"Si la famille a un discours rassurant, qui explique que c'est juste culturel, vous entendez ce que vous deviez entendre pour ne pas l'interdire", lance Stéphane Bolo-Lumbroso. Qui soupçonne certaines familles de "savoir quelles questions ils auraient" et de "répéter des éléments de langage". Si bien que l'interdiction de l'abaya de manière générale a pour lui le mérite de la clarté, et satisfait une revendication de son syndicat.
Politique de la surrenchère
Pour Aline Pasnon, co-secrétaire du syndicat FSU en Loir-et-Cher, le problème est justement sur la caractérisation religieuse ou non du vêtement. "Est-ce un signe distinctif de religion ? À ma connaissance non, donc le débat est clos", assène-t-elle. La professeure des écoles estime que "chacun doit mettre de la discrétion dans sa croyance pour que chacun vive le mieux possible tous ensemble", mais accuse le ministre Attal de "raviver les tensions entre les différentes communautés de notre pays".
La syndicaliste critique ainsi la "surenchère" du gouvernement, et de manière plus générale "des politiques qui renvoient les individus à leur origine" : "Ce n'est pas comme ça qu'on va faire société."
Priorités à droite
Côté parents aussi, on doute. Martine Rico, coordinatrice régionale de la fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) du Centre-Val de Loire, émet l'hypothèse que "M. Attal a certainement besoin d'exister sur ce sujet-là". Car il y a, selon elle, "d'autres urgences, comme l'inclusion des personnes en situation de handicap, ou le harcèlement" (qualifié de priorité par le ministre en conférence de presse ce lundi). "Pourquoi offrir un sujet polémique à la rentrée, alors qu'on en a déjà plein ?"
Martine Rico s'interroge d'ailleurs sur la mise en application de cette annonce, alors que le précédent ministre, Pap Ndiaye, avait refusé de réglementer "les longueurs des robes". "Comment on va faire ? Pour déterminer ce qui est abaya ou pas ?"
Stéphane Bolo-Lumbroso concède lui aussi un doute dans la mise en œuvre de la mesure, et demande "des écrits, une circulaire, sans ambiguïté pour nous et pour les familles". Ce qui est, pour lui, "la marche la plus compliquée à franchir".
Selon une note des services de l'Etat, dont l'AFP dit avoir consulté une copie, les atteintes à la laïcité ont augmenté de 120% entre l'année scolaire 2021/2022 et 2022/2023. Le nombre de signalements pour port de signes et de tenues, qui constitue la majorité de ces atteintes, a quant à lui augmenté de plus de 150% tout au long de la dernière année scolaire. Difficile en revanche de distinguer hausse des signalements, due à la sensibilisation des personnels, et hausse réelle des faits.