Le 9 novembre, "Ce que je cherche", le livre autobiographique de Jordan Bardella, 29 ans, sera disponible dans les librairies. En Centre-Val de Loire, certaines librairies indépendantes, ont déjà fait savoir qu’elles ne mettraient pas ce livre en avant.
"Ce que je cherche", le livre de Jordan Bardella, président du Rassemblement national, sera disponible dans les librairies le 9 novembre. Édité par Fayard, la maison d’édition du groupe Hachette, détenue par Vincent Bolloré, le livre est lancé à 150 000 exemplaires. Toutefois, en Centre-Val-de-Loire, plusieurs librairies indépendantes ont fait savoir qu’elles refuseraient d’exposer cet ouvrage en raison de leurs convictions idéologiques et de la réticence à soutenir une maison d’édition liée à Vincent Bolloré.
Des choix personnels et politiques
Nicolas Coupez, gérant de la librairie La tasse d’Encre à La Ferté-Saint-Aubin, préfère expliquer son choix en toute transparence : "Je n’ai pas envie de promouvoir un livre qui n’est pas intéressant." "J’ai seulement 3 livres disponibles en magasin, sinon, il est disponible à la commande." Pour lui, ce n’est pas une question de politique, mais de qualité.
J'ai lu quelques pages du livre, il est médiocre, et je ne vais pas pousser à la vente d’un livre inintéressant.
Nicolas Coupez, gérant de la librairie La tasse d’Encre à La Ferté-Saint-Aubin
Tout en précisant qu’il ne refuse pas de le commander pour les clients qui en feront la demande, il insiste sur le fait qu’il n’est pas là pour “faire de la publicité” pour un ouvrage qu’il juge sans intérêt.
"Je sais ce que mes clients recherchent", poursuit-il. "Le Goncourt, des bandes dessinées, mais jamais ce genre de livre. Je ne veux pas le mettre sur mes tables. C’est mon choix." Ce choix, loin d’être anodin, s’inscrit dans une volonté de préserver une ligne éditoriale, sans se laisser influencer par la portée médiatique ou politique du livre.
Le rôle de libraire "implique une responsabilité"
À Saint-Pierre-des-Cors, Fabienne Yvanin, la dirigeante de L’Oiseau Vigie, refuse de posséder le livre dans sa librairie. Pour elle, la décision ne découle pas simplement du contenu de l’ouvrage, mais du contexte plus large de l’industrie du livre. "Depuis que Fayard est racheté par Bolloré, cette maison d’édition a changé de ligne. Je ne veux pas contribuer à faire la promotion de l’extrême droite", explique-t-elle. Elle explique que depuis qu'Isabelle Saporta a été démise de ses fonctions suite à la reprise du groupe Hachette par le milliardaire breton, sa librairie ne travaille plus le programme Fayard à la nouveauté.
Elle se défend cependant de censurer les opinions : "Je ne suis pas contre la liberté d’expression. Si quelqu’un veut ce livre, il peut le commander, c’est la loi Lang de 1981 qui nous y oblige", précise-t-elle. Néanmoins, elle considère que son rôle de libraire implique une responsabilité. "Je ne veux pas que ce livre fasse partie de l’image de ma librairie. J’ai ma conscience et mon intégrité à préserver."
Amandine Laffeach, gérante de La Librairie du Coin à Châteaudun, fait également part de son choix, motivé par des convictions idéologiques fortes. “Je n’ai pas envie de donner de l’argent à Fayard ou à Bardella”, confie-t-elle. “Je suis une libraire indépendante et je choisis les livres que je mets en avant. C’est une forme de résistance à un discours politique qui ne correspond pas à mes valeurs.”
Je ne fais pas un boycott total. Si quelqu’un veut ce livre, il peut le commander. Mais je n’ai pas envie de le voir dans mes rayons. Il a déjà largement assez de visibilité ailleurs.
Amandine Laffeach, gérante de La Librairie du Coin à Châteaudun
À la Librairie Les Temps Modernes de Sophie Todescato à Orléans, le choix est motivé par un autre aspect : celui de la transparence. “On nous a promu un livre sous X, sans nous dire clairement de quoi il s’agissait. C’est rédhibitoire, je veux savoir ce que je décide de commander pour ma librairie”, explique-t-elle. Elle se soucie de l’évolution de la maison Fayard et observe avec inquiétude l’instrumentalisation idéologique qu’elle pourrait subir. “Fayard était une maison avec une histoire. Maintenant, elle est un outil au service de l’extrême droite”, déplore-t-elle. Toutefois, elle assure ne jamais bannir la maison d'édition Fayard.
La librairie, un lieu d’engagement et de culture
Pour ces libraires indépendants, l’acte de choisir les livres qu’ils exposent dépasse la simple question commerciale. Ils sont conscients de l’impact de leurs choix sur la culture locale et sur la société. "La librairie est un lieu de transmission", souligne Sophie Todescato. "Ma clientèle sait ce que je vais leur proposer, tout le monde serait étonné de voir un livre comme celui-ci dans les rayons et ma librairie."
Nous décidons de ce que nous voulons partager avec nos clients. Ce lien est précieux. C’est ce qui nous distingue des grandes chaînes.
Sophie Todescato, gérante de la librairie Les Temps Modernes à Orléans
Dans un marché de plus en plus dominé par des géants de l’édition, et des intérêts économiques puissants, ces libraires se battent pour préserver leur indépendance, leur ligne éditoriale et, pour certains, leurs valeurs politiques. Si la vente du livre de Jordan Bardella ne constitue pas un boycott total, elle représente pour eux un choix moral et intellectuel : celui de ne pas contribuer à un discours qu’ils jugent dangereux et contraire à l’ouverture culturelle qu’ils veulent défendre.