Dans le Centre-Val de Loire, les vétérinaires inquiets face à la désertification médicale

L'Ordre national des vétérinaires s'alarme depuis plusieurs années d'une baisse préoccupante du nombre de vétérinaires en milieu rural. Capables de s'occuper des animaux d'élevage, ces derniers souffrent de la crise agricole, mais aussi du manque de vocation.

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Le 29 septembre dernier, un ancien éleveur de Sologne a été condamné par le tribunal correctionnel de Blois pour avoir, en 2014, castré dans l'urgence un cheval de son élevage blessé au niveau des testicules. A la barre, l'homme s'est défendu en expliquant que son vétérinaire habituel était en week-end, et qu'aucun autre ne pouvait se déplacer. De fait, les vétérinaires ruraux s'inquiètent depuis plusieurs années de voir leur nombre décliner, et l'accès au soin pour les propriétaires de chevaux ou les éleveurs bovins devenir de plus en plus compliqué.
 

Un secteur agricole malade

Le docteur Hervé Denis est vétérinaire à Château-Renault, spécialisé dans les animaux de rente, c'est-à-dire des bêtes élevées pour leur production agricole, comme les vaches à lait, les moutons ou les porcs. Il est également président du Conseil régional de l'ordre des vétérinaires en Centre-Val de Loire. Habitué à s'occuper d'animaux d'élevage, il a progressivement vu ses journées se rallonger à mesure que d'autres praticiens partaient en retraite ou se détournaient des animaux d'élevage. "La situation est compliquée sur l'ensemble de la France, mais il y a des zones où il y a davantage de tension : le nord de l'Eure-et-Loir, une partie du Cher, de l'Orléanais..."

En cause, la déprise agricole de ces zones, où les élevages, notamment bovins, se font de moins en moins nombreux, et où de plus en plus de cliniques vétérinaires se tournent vers le soin aux animaux de compagnie. Avec la baisse de l'activité, les vétérinaires de la région ont plus de mal à continuer à desservir les élevages. A Blois, la clinique de Bel-Air soigne chiens et chats, mais ses vétérinaires se déplacent aussi pour les équins et les animaux de rente. "On a vu partir beaucoup de vétérinaires équins autour de nous", déplore Déborah Doumenjoud, l'une des praticiennes du cabinet. Et de fait, la clientèle de ces derniers s'est reportée sur sa clinique. "Cela signifie qu'on s'est retrouvé en sous-effectif, avec parfois des gardes très pénibles."

Conséquence : de plus en plus de praticiens déjà installés préfèrent abandonner les animaux de rente, et le domaine attire de moins en moins de jeunes diplômés. "Il arrive un moment où la clientèle rurale est tout simplement trop peu nombreuse", expliquait à France 3 Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral, dont la clinique se trouve au nord de l'Indre. "Pas mal de mes confrères font désormais jusqu'à 85% d'animaux de compagnie."
 

Sans compter la difficulté à dégager une marge financière, le métier de vétérinaire rural n'est pas de tout repos. "On travaille le plus souvent avec des animaux qui font entre 700 kilos et une tonne", poursuit Hervé Denis, dont la plupart des "patients" se trouvent dans des élevages laitiers ou des élevages à viande situés dans un rayon de 25 kilomètres, ainsi que de quelques centres équestres. "En moyenne je fais environ 50 000 kilomètres par an", soit 200 kilomètres par jour travaillé. Et chaque heure passée sur la route est une heure où le vétérinaire ne fait pas son coeur de métier, mais qu'il est néanmoins contraint de facturer aux éleveurs. 
 

L'effectif des vétérinaires ruraux en chute libre

De fait, l'édition 2020  de l'Atlas démographique de la profession vétérinaire s'alarme d'une "baisse très nette du nombre de vétérinaires pour animaux de rente". Ainsi, les vétérinaires spécialisés dans les animaux d'élevage "ne représentent plus que 19% du nombre d'inscrits au Tableau de l'Ordre".
 

En cinq ans, le nombre de vétérinaires déclarant une activité exclusive ou principale au profit des animaux de rente est passé de 4 123 à 3 518, ce qui représente une baisse de 14,7% de l'effectif (605 vétérinaires). Cette baisse désormais très marquée et préoccupante n'est plus compensée par un basculement de l'activité exclusive animaux de rente au profit de l'activité mixte à prédominance animaux de rente.

Ordre national des vétérinaires

A l'échelle de la région, tous les départements ne sont pas égaux face à cette fuite des vétérinaires ruraux. Alors que leur nombre est en légère augmentation dans le Loiret et l'Eure-et-Loir au cours des cinq dernières années, il baisse de 5 à 10% dans le Cher, de 10 à 25% dans l'Indre-et-Loire et de plus de 50% dans le Loir-et-Cher. "La question des déserts vétérinaires devient suffisamment prégnante pour s’imposer à l’agenda politique de manière durable" se désole le document.
 

Où sont les femmes ?

Pour certains vétérinaires, la féminisation du métier serait également en cause dans le manque de vocations. De fait, une très grande majorité de jeunes vétérinaires sont des femmes, et jusqu'à 71% des praticiens de moins de quarante ans sont des praticiennes. "Elles ont en général une attirance pour le monde rural moindre", estime Hervé Denis, citant notamment la difficulté physique du travail.

Pourtant, les statistiques publiées par l'Ordre national des vétérinaires sont plus nuancées. S'il est vrai que les praticiens exerçant auprès des animaux de rente sont en majorité des hommes, à hauteur de 63 %, ces derniers ne sont majoritaires que dans les plus anciennes générations. Chez les vétérinaires trentenaires, ils ne sont plus que 44%, et dans la plus récente classe d'âge, de 20 à 29 ans, ils ne représentent que 33% de l'effectif.
 

En revanche, la pyramide des âges rend bien compte du manque de vocations : la nouvelle génération de professionnels, âgés de 20 à 25 ans, représente 13% des praticiens, toutes spécialités confondues. Parmi les spécialistes des animaux de rente cette proportion s'effondre à seulement 8%. "Le problème vient du recrutement au niveau des écoles", explique Déborah Doumenjoud.

Les études vétérinaires, qui débutent dans les classes préparatoires des centres urbains, sont généralement peu accessibles aux jeunes ruraux, poursuit-elle. A tel point que, de son côté, elle a préféré aller faire ses études en Belgique, où l'accès aux écoles vétérinaires  A l'inverse, la population urbaine et aisée qui parvient à intégrer la filière a tendance à se détourner de la campagne.
 
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