Membre éminent du mouvement Fluxus, fasciné par le concept même d'art, Ben est mort à l'âge de 88 ans. À Blois, l'artiste avait participé à la création de la Fondation du Doute, un musée-autel à sa gloire et à ses camarades de jeu artistique des années 60.
Il faisait partie de ces artistes dont l'oeuvre était parvenue à rentrer dans la culture populaire, voire à devenir une marque, sans pour autant que son nom où son visage ne devienne connu de tous. Ben, nom d'artiste de Benjamin Vautier, est mort ce 5 juin 2024, à l'âge de 88 ans. Selon BFMTV, l'artiste a été retrouvé mort chez lui, à Nice.
L'artiste avait fait partie des fondateurs du mouvement Fluxus, aux côtés de figures comme Robert Filliou ou Yoko Ono, dans les années 60. "Pas réellement un mouvement artistique", mais plutôt "un état d'esprit, une façon de penser le monde, le lien entre la vie et l'art", expliquait en septembre 2022 Alain Goulesque à France 3.
Lui est directeur de la Fondation du Doute, musée ouvert à Blois en 2013 et consacré à Fluxus, à partir d'une collection alimentée par Ben. En 2022, l'artiste était revenu à Blois pour fêter les 60 ans du mouvement, difficilement identifiable. "Je comprends que certains disent : 'C'est n'importe quoi !' Comment des étudiants peuvent étudier ça ?", ne riait qu'à moitié Ben en parcourant les allées de l'exposition permanente du musée. Où les trois quarts des oeuvres sont de lui.
Exhibitionniste
Né le 18 juillet 1935 à Naples, Ben hérite de racines françaises et suisses par son père, irlandaises et occitanes par sa mère. Après avoir quitté l'Italie à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, la famille s'installe à Nice à la fin des années 1940. Il se définit à l'époque comme "cosmopolite et universaliste".
Il assure être "né exhibitionniste", assumant parfaitement son désir de célébrité. Jusqu'à faire de l'égo une thématique commune à une bonne partie de son oeuvre, sans qu'il soit réellement capable de poser des mots dessus jusqu'aux années 2010. "Je me suis toujours demandé pourquoi je voulais qu'on parle de moi", assurait-il à France 3 en 2022, en promouvant un livre sur sa théorie de l'égo.
Si son objectif était, dès le départ, d'être célèbre, alors il est indéniable que Ben a réussi sa vie. À Nice, son magasin de disques devient "un lieu de rencontre pour tous les jeunes qui font du nouveau", explique son autobiographie, consultable sur son site internet, à l'onglet... "égo". Une boutique devenue une œuvre "psycho-tactile". Une accumulation fantasque aux parois recouvertes de ses mots. Son idée de l'art : "apporter un choc et être nouveau".
N'importe quoi
À Londres, il fait la connaissance de George Maciunas, qui fait déjà à l'époque partie des balbutiements de Fluxus. Les membres du mouvement se réunissent, créent ensemble, en viennent à "parler de la vie en tant qu'œuvre d'art", se souvenait Ben. Ils se mettent à donner des concerts peu conventionnels, comme manger devant des spectateurs affamés. "Ils faisaient à peu près n'importe quoi sur scène, pour provoquer un choc chez les spectateurs, qui ne savaient d'ailleurs pas bien s'ils devaient rire ou pas", racontait Alain Goulesque, le directeur de la Fondation du Doute de Blois. Le mouvement se fait un nom en Allemagne, à New York, et à Nice.
Ben se positionne alors dans un art "de l'appropriation", et commence à signer à peu prêt tout ce qui lui tombe sous la main. Y compris les tableaux des autres dans une galerie new-yorkaise. Il définit a posteriori la notion "Vie/Art" comme "l'épine dorsale" de son action artistique du début des années 1960. Il épouse là toute la philosophie de Fluxus, qui brouille la frontière entre art et quotidien, entre lieu de vie et musée. La recherche du beau est rendue obsolète.
Comme avec cette œuvre de George Brecht exposée à Blois : une table, deux chaises, sans estrade, au milieu d'une pièces aux murs blancs. "Je peux m'assoir sur cette chaise. C'est radical parce qu'il a réussi à transformer son œuvre en vie." Ben avait, de son côté, créé Je signe la vie, un grand carton percé d'un rectangle vertical, derrière lequel les passants pouvaient se présenter. Devenant eux-même de l'art en entrant dans le champ l'œuvre.
L'artiste se met aussi à produire ce qui deviendra sa marque de fabrique : des petites phrases plus ou moins drôlatiques, écrites à la main sur un fond de couleur unie. Généralement, en blanc sur fond noir. C'est le temps des grandes expositions, au Grand Palais de Paris, à Lucerne, au Guggenheim de New York, jusqu'à l'inauguration du Centre Pompidou en 1977. Il y expose son magasin niçois.
Discret symbole blésois
Ces petits mots devenus art consumériste, volontairement ou nom, se pavanent désormais sur des cartes postales, des couvertures de livres et bon nombre de cahiers de textes vendus dans les années 2000 et 2010. Ils s'affichent même en (très) grand sur le symbole de la Fondation du Doute : sa façade, autrement appelée Mur des mots. Une commande passée en 1995 par la ville de Blois, dirigée à l'époque par Jack Lang. Et que l'artiste considère comme "l'une de ses meilleures œuvres".
Ses messages, tantôt amusants, tantôt proches de la maxime, et parfois totalement ésotériques, ont une vocation profonde et commune : "réfléchir". De la manière la plus accessible possible. L'un de ses plus célèbres : "Tout est art". Un bon résumé de son approche artistique, de son désir permanent de "poser des questions sur l'art", expliquait-il au magazine de France 3, "Renversant", en 2019.
"J'aurais adoré être un philosophe de bar, de bistro", riait Ben. "Qui trouve la vérité." À défaut d'y être parvenu, il aura voulu que chacun puise se poser les mêmes questions, et trouve ses propres réponses. Une mission qui est devenue celle de la Fondation du Doute de Blois. Jusqu'à exhiber la notion de doute dans sa titulature.