Comme tous les établissements recevant du public, le domaine national de Chambord, en Loir-et-Cher, est fermé depuis le 15 mars. Et ce n’est pas la première fois que les grilles du château restent closes.
Les images sont étonnantes car rares : le château de Chambord en période de confinement, vidé de son flux de visiteurs. Le tout sous un ciel radieux et survolé par un drone qui nous offre une vue imprenable sur ce bijou du Centre-Val de Loire.
C’était le projet un peu fou de François Ier. Le plus vaste château de la Loire. Dans le monde entier, le château de Chambord incarne le joyau architectural de la Renaissance. Il joua pourtant un rôle très particulier au moment de la Seconde guerre mondiale.Des images et vidéos de Chambord ont été réalisées en période de confinement, afin de permettre au plus grand nombre de profiter d’images inédites d’un Chambord désert et majestueux. Des images pour rêver et s'évader.
— Château de Chambord (@domainechambord) March 31, 2020
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Chambord, un château en temps de guerre
Pendant plusieurs années, avant même le début du conflit, le domaine fut fermé au public. Entre montée des tensions internationales et prétentions territoriales de l'Allemagne nazie, tout semble indiquer qu'une guerre est proche. Le monde de l'art est sur le qui-vive : il faut agir rapidement pour éviter la catastrophe.
À partir de 1936, le château est devenu un lieu de refuge pour les chefs d’œuvre de l’humanité, explique Virginie Berdal, historienne au domaine national de Chambord.
Avec la crainte des bombardements et la peur de voir les nazis s’emparer de ces pièces pour les détruire ou les dérober, l’administration des Musées nationaux décide très tôt de mettre à l’abri peintures, sculptures, archives, mobilier ancien, objets d’art et archéologiques. "Il fallait trouver un lieu qui réunisse plusieurs critères : un lieu isolé et éloigné de Paris, des nœuds de communication et de transport, mais également un endroit qui ait les moyens de lutter contre les incendies", raconte Virginie Berdal.
Chambord fera l’unanimité : il dispose de nombreuses et vastes salles vides dans lesquelles il sera facile d’entreposer des pièces de grands formats. De plus la rivière du Cosson toute proche offre une ressource en eau précieuse en cas d’incendie. Des œuvres quittent le Louvre dès septembre 1938 pour rejoindre le domaine. La déjà célèbre Joconde fait partie du voyage. Mais la guerre semble ne pas être sur le point de se déclarer, les accords de Munich sont signés, le convoi regagne Paris dès le 1er octobre. "Ce premier déménagement aura été une sorte de répétition générale pour toute l’équipe, avant un nouveau mouvement d’œuvres l’année suivante".
Car en 1939, le musée du Louvre prépare le plus grand déménagement de son histoire. Un convoi de huit camions met le cap sur Chambord. A leur bord, des centaines d’œuvres d’art : le cabinet des dessins du Louvre parmi lesquels ceux de Léonard de Vinci et de Raphaël, le mobilier du château de Versailles, des œuvres des châteaux de Compiègne et de Fontainebleau, les peintures du musée du Jeu de Paume… Entre le 28 août et le 28 décembre 1939, 5446 caisses remplies d’œuvres d’art majeures, soit 6000 m3, sont déplacées des Musées nationaux vers des dépôts de province.
Chambord, sorte de gare régulatrice, accueille temporairement certains trésors qui seront ensuite déplacés vers d’autres dépôts dans le Centre et l’Ouest de l’hexagone, dont les châteaux de Cheverny et Valençay. Les œuvres sont en provenance d’une vingtaine de musées et collections, parmi lesquels le musée Guimet et celui des Arts Décoratifs.
Au domaine de Chambord, une trentaine de personnes est mobilisée au chevet de l’Art : des gardiens du château et du personnel des musées français. Tous logent au château ou dans des villages à proximité. Des travaux de commodités sont même mis en œuvre afin de rendre les lieux habitables par ses nouveaux locataires.
Dès la Libération, le rapatriement des œuvres est enclenché. Les premiers départs ont lieu en août 1945. Le déménagement dans le sens retour durera jusqu’en avril 1946. Le château rouvre au public le 13 avril 1946, pour Pâques. "Aucune perte ni dommage n’a été à déplorer, à l’exception de quelques œuvres issues de collection privées qui ont été spoliées par les Nazis", indique Virginie Berdal.
« Le Cosson en sa folie… » : Chambord à l’heure de la crue
Un autre événement plus récent obligea le domaine de Chambord à fermer ses portes. Du 31 mai au 6 juin 2016, la rivière du Cosson sort de son lit et inonde tout sur son passage. "Tout a commencé par de violents orages, puis l’eau a tout envahi. C’était effrayant !", se souvient l’historienne du domaine. Pendant plusieurs jours, Virginie Berdal et sept de ses collègues décident de rester sur place. Aucun d’entre eux ne se résout à quitter les lieux :
Quand on ouvrait les portes extérieures, on avait une mer devant nous. Chambord était devenu le Mont Saint-Michel…
Le château, encerclé par les eaux, offre alors un spectacle féérique qui n’aurait peut-être pas déplu à François Ier, malgré son caractère dramatique. Car lors de la construction de Chambord, le monarque rêvait de détourner le cours de la Loire toute proche afin que le fleuve royal vienne baigner Chambord jusqu’aux pieds de ses murs.
L’eau s’infiltre partout, jusque dans la cour du château où elle atteint 30 cm du côté de l’aile royale. Rapidement, elle se retire, mais les dégâts sont nombreux : "L’eau avait pénétré les systèmes électriques, le sol de la boutique… Impossible de rouvrir au public dans ces conditions", se remémore Virginie Berdal. Quelques semaines après la décrue, l’équipe du domaine se rend compte que le sol de l’aile royale a été déstabilisé, il est déformé et menace de faire s’écrouler les superstructures du château.
Depuis, une campagne de gros travaux a été lancée. L’urgence a d’abord été de bétonner complètement le sous-sol de l’aile royale pour venir soutenir ses fondations fragilisées. Les jardins à la française, également touchées par l’arrivée soudaine des eaux, auront besoin d’être rénovés, ainsi que les murs de soutènement qui se sont effondrés en certains pans. "Nous sommes partis pour des années de réparation…" prévient Virginie Berdal. Le prix à payer pour que le domaine national de Chambord retrouve de sa superbe et continue de traverser les siècles.
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Sauver du pillage et de la destruction les plus grands chefs-d’œuvre du patrimoine artistique français. Face aux innombrables dangers, chaque joueur doit opérer des choix stratégiques pour protéger les œuvres du Louvre de la convoitise nazie… et rester en vie !