L'UDMF, désignée "liste communautaire" peut-elle vraiment atteindre "300 000 voix" ?

Invité de la matinale de CNews, le député du Loir-et-Cher, et vice-président des Républicains Guillaume Peltier a brandi le spectre d'une explosion des listes dites "communautaires". Est-ce réaliste ? 

"Mieux vaut prévenir que guérir ! On ne veut pas attendre que ces listes fassent 100 000, 200 000 ou 300 000 voix dans notre pays pour intervenir..." Le 11 novembre, le député du Loir-et-Cher Guillaume Peltier, également vice-président des Républicains, poursuivant la ligne très à droite de Laurent Wauquiez, est l'invité de la matinale de CNews. Il revient sur un débat qui agite la droite depuis déjà deux mois : les listes dites "communautaires", susceptibles de se porter candidates aux municipales 2020. C'est le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, qui a ouvert les hostilités le 19 septembre en demandant l'interdiction de ces listes aux municipales.

En réalité, le discours vise presqu'exclusivement l'UDMF, l'Union des démocrates musulmans français, comme le montre le discours de l'élu, qui affirme vouloir lutter contre "l'islam politique". 
 

Qu'est-ce que l'UDMF ? 



L'UDMF n'est pas nouvelle dans le paysage politique français. Ce parti qui se classe de lui-même au centre gauche existe depuis 2012, et a participé à ses premières élections en 2014, parvenant à faire élire un de ses membres dans une liste d'union avec l'UDI, à Bobigny. Désenclavement des banlieues, simplification du code du travail, lutte contre l'échec scolaire, accompagnement des personnes âgées... Le programme aborde des thèmes somme toute classiques.

L'islam y est également présent, principalement à travers le prisme de la lutte contre l'islamophobie. Le document prend bien garde de ne pas en faire un combat aux intérêts supérieurs : "l’explosion de l’islamophobie ne doit pas nous faire oublier les autres formes de racisme : négrophobie, antisémitisme…".

Le programme aborde également la finance islamique, définie comme suit par le ministère de l'Economie : "l’ensemble des transactions et produits financiers conformes aux principes de la Charia, qui supposent l’interdiction de l’intérêt, de l’incertitude, de la spéculation, l’interdiction d’investir dans des secteurs considérés comme illicites (alcool, tabac, paris sur les jeux, etc.), ainsi que le respect du principe de partage des pertes et des profits". Elle bénéficie déjà d'aménagement fiscaux en France depuis 2008, "afin d’attirer les investisseurs du Proche-Orient".
 

Peut-il vraiment atteindre les 300 000 voix ?


Même si le député Peltier a introduit cette perspective dans le débat publique, elle reste pour le moment plus probablement liée à un agenda politique qu'à une réelle "menace". Ce qui inquiète Les Républicains, c'est le score réalisé par le parti de Nagib Azergui aux dernières élections européennes. L'UDMF a totalisé 28 469 voix à l'échelle nationale, soit 0.13% des suffrages. 

Avec ce score, il se classe loin derrière l'ensemble des partis politiques classiques. Le parti est aussi battu pêle-mêle par le parti de Francis Lalanne et des gilets jaunes (0.54%), le parti des Artisans, Commerçants, Professions Libérales et Indépendants (0.23%) ou encore le Parti Animaliste (2.16%).

Si dans certains très rares quartiers, notamment à Maubeuge, dans le Nord, l'UDMF a réalisé une véritable percée, ses scores dans la région restent très anecdotiques. Voici les scores réalisés dans les chefs-lieux de région aux Européennes 2019 : 
 
  • Orléans : 1.05% - 314 voix 
  • Tours : 0.25% - 92 voix
  • Blois : 1.06% - 132 voix
  • Chartres : 0.07% - 8 voix 
  • Bourges : 0.27% - 50 voix
  • Châteauroux : 0.05% - 6 voix 

A Joué-Les-Tours, où l'UDMF prévoit de déposer une liste pour les municipales, il avait atteint 1.05%, avec 123 voix. Car c'est bien la perspective des municipales qui crispe le parti Les Républicains, en perte de vitesse. Lors des municipales de 2014, l'UDMF en était à son coup d'essai. Dans les chefs-lieux de département, elle n'apparaît même pas dans le détail des scrutins. Comme le montrent les graphiques, c'est un vote "traditionnel" qui a été plébiscité.
 
Résultats Orléans
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Résultats Tours
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Résultats Bourges
Infogram

Il semble donc peu probable que, sur les terres loir-et-chériennes de Guillaume Peltier comme ailleurs, l'UDMF fasse la percée brandie comme une menace fantôme. Et, même si l'UDMF atteignait un jour les 300 000 voix, il resterait derrière le Parti Animaliste, 490 074 voix aux dernières élections, loin de la prise de siège. 
 

Peut-on interdire à ce parti de déposer une liste ? 


Là encore, la mise en pratique des spéculations de LR semble hasardeuse. D'abord, parce qu'interdire l'UDMF mènerait à se poser la question : qu'est-ce qui fait d'une liste une liste "communautaire" ? Ce parti n'est en effet pas le seul à mettre en avant une conviction religieuse pour attirer des électeurs. Le plus connu dans cette catégorie, c'est le Parti chrétien démocrate, fondé par Christine Boutin et dirigé aujourd'hui par Jean-Christophe Poisson, qui avait participé aux primaires Les Républicains en 2016. La mention religieuse ne semblait alors pas gêner les autres membres et responsables du parti.

Par ailleurs, comme le rappelle FranceInfo, les candidats eux-mêmes n'hésitent pas à faire appel à des convictions religieuses dans un but électoraliste. François Fillon, catholique, l'avais mis en avant à de nombreuses reprises lors de la campagne pour l'élection présidentielle, en 2017.  Au demeurant, aucune loi ni aucun cadre juridique n'interdit à un élu ou un parti de faire état de ses convictions religieuses. La neutralité exigée par le principe de laïcité s'applique en effet principalement aux agents du service public, dont ils ne font pas partie. En 2010, suite à la présence d'une femme portant le voile sur une liste du NPA, le Conseil d'Etat avait saisi et avait autorisé sa candidature, faisant valoir que "la circonstance qu'un candidat à une élection affiche son appartenance à une religion est sans incidence sur la liberté de choix des électeurs et ne met pas en cause l'indépendance des élus."

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, s'est exprimé sur le sujet le 7 octobre, au micro de France Inter. "Il n'existe pas de listes communautaires, personne ne se revendique ainsi" a-t-il assuré, précisant que "si dans le cadre de ces campagnes, il y a le moindre acte, la moindre parole qui mettent en cause les fondements de la République, je serai le premier à les interdire". En effet, empêcher un parti de déposer une liste est possible s'il transgresse la loi ou outrepasse les limites de la liberté d'expression (incitation à la haine, racisme, sexisme...) Interdire l'ensemble des partis "communautaires" impliquerait de modifier la constitution. Une procédure longue, complexe, et exceptionnelle. 
 
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