"Aujourd'hui, j'angoisse à chaque mammographie" : exposés à un gaz cancérogène, les ex-salariés de Tétra Médical bientôt devant les prud'hommes

25 des 47 anciens salariés de Tétra Médical à Saint-Cyr-en-Val (Loiret), ont déposé en décembre 2023 un recours devant le tribunal des prud'hommes d'Orléans. Ils craignent d'avoir été exposés toute leur carrière à l'oxyde d'éthylène, un gaz cancérogène utilisé pour la stérilisation de matériel médical. L'audience doit se tenir le 30 mai 2024.

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Jusqu'à sa fermeture en 2022, Tétra Médical fabriquait des dispositifs médicaux à usage unique (compresses, masques…). Olivier Gérier y a travaillé durant 33 ans. Il intervenait sur les stérilisateurs dans lesquels était utilisé de l'oxyde d'éthylène."Après la stérilisation, les palettes étaient sorties et on intervenait à l'intérieur à mains nues soit pour les nettoyer, soit pour changer des organes mécaniques ou électriques, et donc est-ce qu'on n'a pas été exposés dangereusement à l'oxyde d'éthylène ?" s'interroge-t-il.

Il fait partie des 25 salariés qui ont déposé un recours devant les prud'hommes d'Orléans et sera présent le 30 mai prochain à l'audience. "Le but c'est d'être là pour porter la parole des salariés. Pour l'instant, j'ai la chance d'être en bonne santé, je n'ai pas de soucis qui peuvent être liés à l'oxyde d'éthylène mais on se dit tous : "et si ça se déclare dans 5 ans, dans 10 ans ?"

Comme lui, Béatrice* a aussi déposé un recours devant les prud'hommes après avoir passé 33 ans à l'usine de Saint-Cyr-en-Val. Cette technicienne de laboratoire faisait partie des salariés les plus exposés. Elle se rendait quotidiennement dans la zone de stérilisation pour prélever des échantillons de fournitures médicales et en contrôler la qualité. "Quand on fait un contrôle, on prélève au cœur des cartons qui dégazaient de l'oxyde d'éthylène. Cette odeur on la sentait bien. J'ai toujours dit que c'était entre l'éther et la pomme pourrie. Bien souvent les palettes étaient encore chaudes", relate-t-elle avec émotion.

Béatrice est en bonne santé mais avoue dormir très mal et avoir dû recourir un temps aux antidépresseurs pour l'aider à apaiser son stress. "J'ai eu trois enfants et jusqu'à 7 mois et demi de grossesse, je travaillais et continuais d'aller en zone de stérilisation. Je l'ai dit à mon employeur mais à aucun moment il ne m'a proposé d'arrêter de faire des contrôles. Aujourd'hui, j'angoisse à chaque mammographie et j'ai peur pour mes filles. Si l'une d'entre elles doit un jour développer un cancer, je me poserai toujours la question de savoir si c'est à cause de l'oxyde d'éthylène".

Nous voulons aussi voir reconnaître la responsabilité de Tetra Médical

L'un des enjeux de cette audience, c'est précisément de faire reconnaître le préjudice d'anxiété de ces ex-salariés, c'est-à-dire la crainte de voir un jour se développer chez eux ou chez leurs enfants une maladie cancéreuse.

" Nous voulons aussi voir reconnaître la responsabilité de Tetra Médical qui est à l'origine d'une exposition fautive à l'oxyde d'éthylène, c’est-à-dire sans que les salariés aient été informés du risque qu'ils encouraient et sans qu'ils aient été préservés de ce risque", explique Me Elisabeth Leroux, l'avocate des anciens salariés de Saint-Cyr-en-Val.

Mais elle tient aussi à prévenir qu'il y a un risque que l'audience soit reportée : "Il n'est pas certain que cette audience se tienne, car il n'y a pas encore d'avocats constitués pour le mandataire de Tetra Médical et pour le CGEA" (NDLR : l'assurance de garantie des salaires chargée de verser les indemnisations lorsqu'une entreprise est en liquidation judiciaire)."

Ils ne bénéficiaient ni de protections collectives ni individuelles, pas de système de captation des vapeurs et pas de masques mis à leur disposition lorsqu'ils étaient exposés.

Elisabeth Leroux

Avocate des ex-salariés de Tétra Médical Saint-Cyr-en-Val

Au moins trois plaintes déposées au pénal par d'anciens salariés de Saint-Cyr-en Val

L'oxyde d'Ethylène utilisé dans certaines procédures de stérilisation, est un gaz classé cancérogène, mutagène et reprotoxique par l'institut national de recherche et de sécurité. En d'autres termes, il a pu non seulement toucher les anciens salariés de Tétra Médical mais également leur descendance. Parmi les 25 salariés qui ont déposé un recours, 3 ont par ailleurs lancé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie : deux pour des cancers du rein et une pour un cancer du sein.

Ce sont les ex-salariés d'Annonay en Ardèche, où l'entreprise avait son siège social, qui ont été les premiers à s'inquiéter d'une possible intoxication à l'oxyde d'éthylène après la multiplication parmi eux de cas de cancers, d'asthme et même de malformations congénitales chez certains de leurs enfants. Des analyses de sang pratiquées sur 19 d'entre eux ont révélé des taux d'oxyde d'éthylène parfois 25 fois supérieurs aux normes. Bien avant leurs collègues orléanais, 152 d'entre eux ont donc déposé des recours devant les prud'hommes d'Annonay. La décision sera rendue le 28 mai prochain soit deux jours avant l'audience d'Orléans.

En parallèle, une information judiciaire pour mise en danger de la vie d'autrui est également en cours, ouverte en octobre 2023 par le pôle de santé publique du parquet de Marseille. Dans le cadre de l'enquête, un officier de police judiciaire est d'ailleurs venu auditionner les ex-salariés de Saint-Cyr-en-Val en février 2024 et, selon nos informations, au moins trois d'entre eux ont déposé une plainte au pénal, dont Béatrice. "Je voudrais que Tétra Médical prenne conscience de ses erreurs et surtout, que ça serve pour tous ceux qui travaillent avec de l'oxyde d'éthylène, pour que toutes ces sociétés ne refassent pas la même erreur".

*Le nom a été modifié

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