Craignant d'avoir été intoxiqués par un gaz cancérogène, les ex-salariés de Tétra Médical saisissent les prud'hommes d'Orléans

Jeudi 7 décembre, 21 des 47 anciens salariés de Tétra Médical à Saint-Cyr-en-Val (Loiret), ont déposé un recours devant le tribunal des prud'hommes d'Orléans. Ils craignent d'avoir été exposés toute leur carrière à l'oxyde d'éthylène, un gaz cancérogène utilisé pour la stérilisation de matériel médical. L'alerte avait d'abord été lancée à Annonay en Ardèche.

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 "J'ai travaillé là durant 33 ans, au service maintenance. Mon bureau se trouve juste là à droite", nous montre Olivier Gérier, 59 ans, un ancien salarié de Tétra Médical. Ce n'est pas la première fois qu'il revient aux abords du site aujourd'hui désaffecté de l'entreprise. Mais ce 10 décembre, il découvre un peu étonné mais satisfait que des scellés judiciaires ont été récemment posés sur les portes et les fenêtres.

Car pour l'usine de Saint-Cyr-en-Val comme pour celle d'Annonay en Ardèche où Tétra Médical avait son siège social, une information judiciaire pour mise en danger de la vie d'autrui est en cours. Ouverte par le pôle de santé publique du parquet de Marseille, cette procédure pénale vise à découvrir si les salariés des deux sites ont été intoxiqués à l'oxyde d'Ethylène, un gaz classé cancérogène, mutagène et reprotoxique par l'institut national de recherche et de sécurité.

"Les palettes pouvaient plus ou moins relarguer de l'oxyde d'éthylène dans l'enceinte de l'usine"

Jusqu'à sa fermeture en 2022, Tétra Médical fabriquait des dispositifs médicaux à usage unique (compresses, masques…). Olivier Gérier lui intervenait sur les stérilisateurs dans lesquels était utilisé l'oxyde d'éthylène. "Après la stérilisation, les palettes étaient sorties et on intervenait à l'intérieur à mains nues soit pour les nettoyer, soit pour changer des organes mécaniques ou électriques, et donc est-ce qu'on n'a pas été exposés dangereusement à l'oxyde d'éthylène?"

Olivier s'interroge pour lui, mais aussi pour l'ensemble des anciens salariés de l'entreprise. Tous se demandent s'ils n'ont pas été exposés à ce gaz toxique toute leur carrière sans connaître sa nocivité ni avoir bénéficié de protections adaptées. Il se rappelle que les palettes de compresses ou de masques sorties de stérilisation "n'avaient pas de chambre de résorption active", une salle étanche et non accessible où auraient dû être entreposés les produits fraîchement stérilisés, le temps que l'oxyde d'éthylène avec lequel ils ont été traités, s'en échappe. "Les palettes partaient directement dans le magasin où elles étaient stockées en attendant d''être livrées aux clients. Là, il y avait les agents de contrôle qui travaillaient, les agents de stérilisation, les magasiniers … (…) On les désorbait naturellement, donc les palettes pouvaient plus ou moins relarguer de l'oxyde d'éthylène dans l'enceinte de l'usine."

L'alerte d'abord lancée à Annonay en Ardèche

Ce sont les salariés d'Annonay qui ont été les premiers à s'inquiéter d'une possible intoxication à l'oxyde d'éthylène après la multiplication parmi eux de cas de cancers, d'asthme et même de malformations congénitales chez certains de leurs enfants. Des analyses de sang pratiquées sur 19 d'entre eux révèlent des taux d'oxyde d'éthylène parfois 25 fois supérieurs aux normes.

Un an après la liquidation judiciaire de l'entreprise, en plus de l'enquête pénale en cours, 150 d'entre eux déposent jusqu'à la fin de l'année des recours aux prud'hommes d'Annonay pour faire reconnaître un préjudice d'anxiété. Une première audience a eu lieu fin novembre, une seconde se tient ce 12 décembre. "Aujourd'hui à Annonay, il y a plusieurs cas de cancer du sein, mais également d'asthme professionnel dont on sait qu'ils sont en lien ou qu'ils peuvent être en lien avec l'exposition à l'oxyde d'éthylène", explique Me François Lafforgue, l'avocat des ex-employés. "Ces salariés en ayant été exposés à ce produit toxique peuvent craindre de contracter dans 10,15, 20 ans, 30 ans, une maladie grave, c'est la raison pour laquelle nous demandons une réparation de ce préjudice d'anxiété".

A l'échelle d'une entreprise de cette taille on peut parler de scandale sanitaire même si ce n'est pas un drame sociétal comme on a on l'a connu pour l'amiante avec  plus de 100 000 morts ces 10 dernières années.

Me François Lafforgue - Avocat des ex-salariés de Tétra Médical

21 premiers dossiers déposés dans le Loiret

Les anciens du site de Saint-Cyr-en-Val eux, viennent tout juste de leur emboîter le pas. 21 recours ont été déposés jeudi 7 décembre devant le tribunal des prud'hommes d'Orléans. "Le dossier Tétra Médical, c'est un tout", estime Me Lafforgue. "C'est exactement la même exposition à Annonay et à Saint-Cyr-en-Val. Il y a également des cas de cancer du sein, du rein et d'asthme professionnel à saint Cyr-en-Val. Des procédures de reconnaissance professionnelle vont d'ailleurs être engagées."

Olivier Gérier fait partie de ces 21 premiers salariés loirétains à saisir les prud'hommes. Plusieurs dizaines d'autres devraient suivre. Pour chacun d'entre eux, leur défense demande 20 000 euros de réparation, mais l'indemnisation n'est pas le plus important pour Olivier. "Nous, ce qu'on attend surtout, c'est une reconnaissance de la maladie professionnelle, pour que, si un jour la maladie se déclare sur un salarié ou sur un intérimaire, ça soit reconnu et être aidés."

Contactés, les avocats du liquidateur judiciaire de Tétra Médical nous ont affirmé n'être pour l'instant pas en mesure de s'exprimer sur le fond du dossier. "On commence à peine à avoir des pièces qu'on n'a pas encore eu le temps d'analyser. On devrait être prêts pour argumenter quand se tiendra l'audience orléanaise", explique Me Etienne Masson. Une audience que les anciens salariés espèrent pour début 2024.

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