Première cause d'infertilité, cette maladie chronique qui cause des douleurs aiguës invalidantes touche une femme sur 10 en France. Dans le Loiret, un programme d'accompagnement des patientes a été lancé en décembre 2023. Élodie Torrès, "patiente experte" à l'origine du programme raconte son expérience et dresse le bilan deux ans après le lancement de la première stratégie de lutte contre l'endométriose.
"Il aura fallu arriver jusqu'à l'opération pour qu'enfin le diagnostic soit posé. Mais avant ça, mon adolescence a été très compliquée", raconte Elodie Torrès. À 33 ans, cette Montargoise connaît bien cette maladie. Elle vit avec l'endométriose depuis qu'elle a 14 ans et n'a été diagnostiquée qu'à 21 ans.
Apprendre à vivre avec...
C'est une maladie avec laquelle beaucoup de femmes ont dû apprendre à vivre souvent dès l'âge des premières règles en attendant la plupart du temps très longtemps avant d'avoir un diagnostic. 7 ans en moyenne...Douleurs au quotidien très vives qui obligent à rester allongées, des saignements interminables, des vomissements, des vertiges parfois jusqu'à l'évanouissement. L'endométriose est une maladie gynécologique inflammatoire qui touche une femme sur 10 en âge d'avoir des enfants et qui s'inscrit profondément dans la vie sociale professionnelle et intime des patientes.
"J'étais très absente à l'école. Tous les mois j'étais en crise sans savoir pourquoi. On est jugé de la part des enseignants et des camarades. J'avais très mal au ventre quand j'avais mes règles et comme j'osais le dire je passais pour "la chochotte" de service. Mais quand on se vide de sang pendant trois jours on n'est pas au top pour suivre les cours", se souvient la jeune femme.
Élodie Torrès intervient souvent dans des établissements scolaires et elle rencontre de nombreuses adolescentes qui se sentent encore jugées à cause de leur absentéisme "non justifié". "J'ai connu ça. En plus, les professionnels de santé banalisaient mes symptômes. Quand on dit à votre mère que si ça ne va pas c'est que c'est dans la tête. C'est très dur".
Pour mieux comprendre, elle explique le processus physiologique de cette maladie qui peut apparaître à n'importe quel âge. "Quand vous avez vos règles l'endomètre va couler avec le sang des règles. En cas d'endométriose, des fragments de cellules semblables à de l'endomètre vont migrer et aller tapisser la paroi extérieure de l'utérus. Tous les mois quand ce processus se fait, le tapis s'épaissit et va parfois venir coller certains organes entre eux. Donc en plus de souffrir de votre utérus, si votre intestin se colle à votre utérus, les douleurs peuvent être extrêmes. Il suffit d'avoir un ovaire ou une trompe bouchée pour avoir des difficultés à avoir un enfant."
Élodie Torrès, heureuse maman d'une petite fille de trois ans et demi tient à préciser : "C'est la première cause d'infertilité mais ce n'est pas une fatalité".
Pour partager son expérience et aider les femmes et les jeunes filles à mieux vivre avec leur maladie, la jeune femme créée l'association A.I.M.E endométriose il y a 8 ans.
Un programme unique en Centre-Val de Loire pour une meilleure prise en charge des malades
Forte de son expérience d'errance médicale, Elodie Torrès est devenue une "patiente experte" ou "patiente ressource". Elle a voulu aller encore plus loin en créant un programme d'accompagnement des femmes souffrant d'endométriose dans le Montargois. C'était il y a trois ans. Accompagnée de professionnels de santé formés à l'endométriose, elle a lancé le programme en décembre. "Je suis très fière que nous soyons les premiers de la région alors qu'il y a un CHRU à Tours et à Orléans. Il y a une vraie attente des patientes."
Initié par l'association d'Elodie Torrès, A.I.M.E Endométriose, ce programme est porté par une Communauté professionnelle territoriale de santé, la CPTS du Gâtinais-Montargois en lien avec l'Agence régionale de santé.
Il s’agit d'un projet d'éducation thérapeutique du patient (ETP) dont l'objectif est de proposer une meilleure prise en charge des malades. "Grâce à ce programme, les patientes peuvent avoir accès gratuitement à des consultations chez des professionnels de santé spécialisés et formés aux problématiques de cette maladie", explique Elodie Torrés.
Les femmes diagnostiquées ou en cours de diagnostic contactent la CPTS du Gâtinais -Montargois. Puis la patiente réalise un bilan initial avec un infirmier avant d'assister à un atelier collectif obligatoire animé par Elodie Torrès et le Dr Anne Coffineau : "C'est le premier pas qu'elles font. Comme c'est une maladie qui isole, cela leur permet de se rencontrer et de se rendre compte qu'elles ne sont pas seules face à cette maladie".
L'alimentation : premier médicament contre l'endométriose
Ensuite, les patientes peuvent choisir trois autres ateliers individuels auxquels assister. Ce projet thérapeutique est mené avec des infirmières, gynécologues, kinésithérapeutes, diététiciennes et sophrologues. "L'alimentation est le meilleur médicament contre l'endométriose", a l'habitude de dire Elodie Torrès. "Comme il s'agit d'une maladie inflammatoire, le diététicien aide la patiente à réapprendre à s'alimenter sainement pour éviter de manger des aliments qui aggravent l'inflammation comme les pâtes, le riz, le pain, certains légumes ou certains fruits, les laitages... "
La sophrologue permet d'apprendre à mieux gérer sa douleur et ses émotions avec des exercices de respiration. "La sophrologue donne les clés et la patiente l'adapte à ses besoins".
Ce projet thérapeutique a vu le jour grâce au soutien financier de l'Agence régionale de santé Centre-Val de Loire qui a attribué un financement de 12.800 euros pour aider à son démarrage. Ce qui devrait permettre un accompagnement de 150 femmes par an. "L'idée est de dire à la patiente qu'elle doit prendre en main son propre suivi. Elle aura rencontré des professionnels de santé qu'elle pourra solliciter demain pour un suivi plus complet."
Après la première session de décembre, le bilan est positif pour Elodie Torrès : "Elles se sentaient isolées et en se rencontrant elles sont rentrées dans une dynamique de prise en charge constructive. Elles sont accompagnées et un peu cocoonées. Ça reste de l'individuel. Et c'est financé à 100% par l'ARS. C'est super parce qu'on sait ce que ça coûte."
Les deux prochaines sessions de janvier et février qui peuvent accueillir jusqu'à 10 patientes sont complètes. Il est prévu une dizaine de sessions sur l'année 2024. Un programme similaire devrait voir le jour à Orléans.
Deux ans après le lancement du plan de lutte, avancées et blocages
Si Elodie Torrès se réjouit qu'un programme d'accompagnement ait réussi à voir le jour dans le Montargois "c'est toujours un combat pour que les patientes ne soient plus confrontées à des années d'errance médicale avant d'obtenir un diagnostic."
Le 11 janvier 2022, Emmanuel Macron déclarait que "l'endométriose, ce n’est pas un problème de femmes, c’est un problème de société". Le Président de la République avait alors lancé la première stratégie de lutte contre l'endométriose. "La stratégie nationale que nous lançons porte l’espoir d’une meilleure qualité de vie pour des millions de filles et de femmes."
L'endométriose.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) January 11, 2022
Ce n’est pas un problème de femmes, c’est un problème de société. La stratégie nationale que nous lançons porte l’espoir d’une meilleure qualité de vie pour des millions de filles et de femmes. pic.twitter.com/86IJj005wU
Toujours pas reconnue comme maladie chronique
Selon Elodie Torrès, il s'agissait d'un effet d'annonce, "d'un coup de pub". Deux ans après, elle estime les avancées très insuffisantes notamment sur la prise en charge.
L'endométriose n'est toujours pas reconnue comme maladie chronique par la CPAM alors que ça avait été annoncé il y a deux ans.
Elodie Torres, "patiente experte"
"Cela signifie que le parcours de soins peut coûter très cher aux patientes. Certaines ne vont plus consulter à cause du prix. Moi par exemple je devais aller voir une spécialiste à Paris. Pour chaque consultation c'était en moyenne 90 euros. De là à parler d'un congé menstruel on en est très loin...", souffle Elodie Torrès.
Côté médecins, Elodie Torrès note des améliorations. "Si certains professionnels continuent de dire que c'est normal d'avoir mal pendant ses règles, la formation avance et de plus en plus de médecins sont sensibilisés". La jeune femme a été surprise d'être sollicitée par l'école d'infirmiers d'Orléans pour venir témoigner de son expérience de patiente. "Ils préfèrent que ce soit des patients que des professionnels de santé parce qu'ils ont besoin d'entendre notre point de vue. Et ça, c'est encourageant. Je me suis dit enfin ! Il y a des professionnels de santé qui prennent le sujet au sérieux".
La Haute autorité de santé opposée au remboursement du test salivaire
Mais des blocages persistent notamment pour le diagnostic.
Pas plus tard que ce lundi 8 janvier, Elodie Torrès est tombée sur une publication de la Haute autorité de santé qui annonce refuser pour le moment le remboursement du test salivaire Endotest. "Ce test salivaire permettrait de poser un diagnostic rapide sans que ce soit invasif pour la patiente. Et je pense notamment aux adolescentes pour qui aller chez un gynécologue se faire diagnostiquer une endométriose peut être compliqué", raconte la jeune maman qui souffre d'endométriose depuis ses 14 ans.
Dans ses conclusions, l'HAS explique que si "Endotest présente un caractère novateur indéniable, une étude diagnostique comparative et interventionnelle complémentaire d’impact avant/après le résultat du test sur la décision et la prise en charge des patientes (notamment en termes de réduction du nombre des cœlioscopies inutiles) s’avère maintenant nécessaire pour démontrer l’utilité clinique du test et ainsi pouvoir répondre aux attentes importantes des patientes et des cliniciens, quant à son usage dans la pratique". Il faudra donc attendre des informations complémentaires avant une vente en pharmacie et un remboursement.
"Je suis indignée", ajoute Elodie Torrès. "Ce test est une avancée majeure de la recherche. On ne l'imaginait même pas, il y a deux ans. Il est utilisé et remboursé dans plein de pays notamment la Suisse depuis plusieurs mois et en France, la Haute autorité de santé souhaite qu'il y ait un complément d'information. Avec ce test, la patiente pourrait intégrer un protocole de soins pour éviter que l'endométriose ne se développe davantage. C'est n'importe quoi."