Loiret : audience réservée aux violences conjugales à Montargis, "juger autrement pour enrayer la récidive"

C’est une audience inédite qui s’est déroulée lundi au tribunal de Montargis. La première entièrement dédiée aux violences conjugales. Il y en aura désormais une tous les deux mois. Récit d’une audience particulière où se côtoient prévention et jugements.

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Le fonctionnement de cette audience correctionnelle est pour le moins différente de celles auxquelles on a l’habitude d’assister. Si le jugement des dossiers reste inchangé, les débats de ce lundi 14 octobre étaient précédés d’une présentation. Le Procureur de la République, Loïc Abrial, s’est d’abord adressé au public afin de présenter les partenaires de l’institution judiciaire présents dans la salle et dire un mot sur la politique pénale conduite dans ce tribunal. Des partenaires, pour la plupart, associatif (ADAPEI, AVL…) qui luttent contre les violences intra-familiales. Si au cours de cette après-midi les associations ne se sont pas exprimées, car les affaires ne s’y prêtaient pas, elles pourront à l’avenir, être sollicitées pour intervenir.

Ces audiences d’un nouveau genre, qui se déroulent pour la première fois dans un tribunal de la taille de Montargis, s’inscrivent dans un cadre plus large, celui du protocole destiné à prévenir et lutter contre les violences conjugales signé en mars dernier avec les partenaires sous l’égide du préfet du Loiret et du procureur d’Orléans. Mais aussi dans le cadre du dispositif EVVI lancé cet octobre pour le suivi et la protection des victimes.

Lorsque la démarche de créer une audience entièrement réservée aux violences conjugales a été ébruitée, le procureur de la république de Montargis raconte que des propos plutôt décourageants lui ont été adressés :"Prendre toute une audience pour les violences conjugales, quelle perte de temps ! Cela stigmatise les auteurs. C’est contre-productif " raconte t-il. Mais Loïc Abrial se veut rassurant : "Aujourd’hui on ne stigmatise personne, ce sont des personnes que j’ai choisi de poursuivre" explique t-il. "On voit bien que ce n’est pas un contentieux tout a fait comme les autres et les dossier d’aujourd’hui illustrent bien qu’il y a un phénomène global. On doit en rechercher les mécanismes et tenter d’accompagner tout le monde, auteurs comme victimes, pour éviter que ces situation se renouvellent."


Le constat est là, on note à Montargis une augmentation de 55% des comparutions immédiates avec notamment des affaires de violences conjugales : "L’objectif c’est que tout le monde, victimes, auteurs et chacun d’entre nous prenne conscience de sa responsabilité pour que l’on arrive a enrayer cette progression (..)"

"L’objectif, c’est de juger autrement, dans une autre approche pour enrayer la récidive et faire en sorte qu’auteurs comme victimes aient les moyens de passer a autre chose, être réintégrés dans une vie normale, sans cette pression qui conduit a ce type de phénomène et qui conduisent devant le tribunal correctionnel."

Avec ces audiences spécifiques, le tribunal de Montargis souhaite également associer la pédagogie aux débats, tant pour les auteurs et les victimes, que le public présent: "Ce phénomène vient tous nous interroger en nous disant: qu’est ce que moi, ça vient me dire? En quoi ça m’interroge?"

"Qu’est ce que je fais si je suis témoin de violences verbales, psychologiques ou physiques? Comment j’agis par rapport a la violence et la bannir ? "

A chacune des audiences réservées aux violences conjugales, le procureur de la république de Montargis prévoit ainsi une introduction préventive associée si besoin et comme c’était le cas ce lundi, à une vidéo de sensibilisation. L’extrait de 4 minutes présenté au public mettait en scène de jeunes adultes se remémorant les violences parentales dont ils ont été témoins enfants.
  

Violences tristement ordinaires dans cette audience extra-ordinaire

Car les enfants sont souvent les premiers témoins des violences conjugales. Présents dans la salle, les parents en conflits ont peut-être ainsi pu mesurer l’impact sur ces victimes collatérales des coups qu’ils se sont portés et des mots qu’ils se sont jetés. Et si les paroles du procureur et la vidéo n’étaient pas suffisants, la présidente n’a pas hésité, au cours d’un jugement, à rappeler à un père violent que le traumatisme d’un enfant exposé aux violences conjugales était équivalent à celui d’un enfant exposé à une situation de guerre.
 
  •  Noël et Irina
Dans presque chacune des 6 affaires traitées ce jour-là, les enfants étaient au coeur d’histoires familiales où la violence a provisoirement ou régulièrement pris une place. C’est notamment le cas dans l’affaire qui opposait Noël à Irina (Les prénoms ont été modifiés). Noël est séparé de sa femme et entretient une relation avec Irina depuis plus de deux ans. Selon les mots de l’avocate de la victime: " Irina souhaitait une relation durable, pas des visites ponctuelles au milieu de la nuit. Elle voyait en Noël un père pour ses enfants mais elle s’est rendue compte de l’alcoolisme grandissant de monsieur et de l’impact sur leur couple. Elle lui a conseillé de diminuer mais il n’en a pas tenu compte."

La relation se dégrade. Les violences verbales sont de plus en plus importantes si bien qu’Irina finira par vivre selon ses mots "une nuit de cauchemar". Dans sa déposition, Irina raconte que le 8 mai 2019, Noël est entré dans son appartement et s’est introduit dans la chambre où elle dormait avec sa fille de 11 ans. Alcoolisé, ll l’a réveillée, lui a mis une gifle, l’a mordue et l’a frappée avec un téléphone portable. Irina a alors tenté de fuir par le balcon, mais sa fille paniquée s’est interposée pour l’en empêcher. Dans la confusion, elle a pris un coup donné par Noël, à l’origine destiné à sa mère. Noël parti, mère et fille se recouchent mais l’homme réapparaît dans la chambre quelques heures plus tard. S’en suit un second épisode de violence où l’homme saisit Irina par les cheveux, la traine sur le canapé et menace de la tuer si elle le quitte. Irina se rendra aux urgences le lendemain et aura une ITT de 3 jours.

Craignant pour elle et ses enfants, la mère de famille quitte son appartement et se réfugie chez des amis. Noël l’apprend et en son absence, s’introduit dans son appartement le 6 aout. Il y détruit des meubles et divers objets. Informée par la voisine, Irina ira déposer plainte le lendemain.

Entre ces deux dates, l’homme a appelé et envoyé des textos à la victime de manière démesurée: à 1107 reprises.

"Si tu ne reviens pas a la maison, si tu refais ta vie, je vais te tuer ! Tu ne me quitteras jamais",

lui aurait-il dit entre deux requêtes pour la supplier de ne pas le quitter. Durant l’audience, Noël ne reconnait pas le coup donné avec le téléphone, et n’a pas la même chronologie des faits que son ex-compagne ce qui a tendance à agacer la présidente: "Que vous l’ayez fait une heure avant ou après, vous pensez que ça fait une grande différence sur le traumatisme qu’a subit madame ?" l’interroge t’elle. Il nie par ailleurs avoir saccagé son appartement et minimise les menaces de mort : "Quand on est fâché, il y a des choses qu’on dit et qu’on ne pense pas vraiment, on ne va pas forcement le faire" justifie t-il.

Irina qui s’est constituée partie civile, souhaite que ce passage devant le tribunal provoque un déclic chez Noël: "Ce que je veux, c’est qu’il prenne conscience que ce qu’il a fait est grave. Je suis sensée être la personne qu’il aime et on ne tape pas la personne qu’on aime" dit-elle.

Elle évoque le traumatisme de sa fille, sa déception de voir agir ainsi celui qu’elle considérait presque comme un père. Malgré tout, Irina souhaite pardonner à Noël et pense même lui redonner une chance: "J’envisage dans un premier temps qu’on puisse se voir. Voir comment il évolue s’il se fait soigner". "Vous avez conscience qu’il peut recommencer ?" lui demande la juge. "S’il essaie de me retaper, là je ne lui ferais pas de cadeau" promet-elle.

Noël a été condamné à 10 mois de prison avec sursis assorti de 2 ans de mise à l’épreuve et d’une obligation de soins pour son addiction à l’alcool. Il a également l’interdiction d’entrer en contact avec la victime et sa fille.
   
  • Nathan et Emilie

L’affaire suivante oppose Nathan à Emilie (les prénoms ont été modifiés). Au moment des faits, le couple était séparé depuis 15 mois. Emilie était enceinte lorsque son compagnon l’a quittée pour l’une de ses amies. Le 26 novembre 2018, Nathan s’est rendu à son domicile. En l’absence de jugement sur le mode de garde de leurs deux enfants, il affirme qu’il voulait simplement récupérer sa plus jeune fille. Mais Emilie a une toute autre version. Quelque temps auparavant, elle avait informé son ex-conjoint qu’elle avait, elle aussi, refait sa vie. Pour elle, c’est ce qui aurait motivé la visite de son ex. Dans sa déposition, elle raconte qu’ils se sont disputés:

"Je vais t’enlever tes filles. Tu ne les reverras plus jamais", lui aurait-il lancé.

Selon le témoignage d’Emilie, Nathan a alors commencé à monter l’escalier pour aller chercher la fillette âgée de moins d’un an. Emilie a tenté de le retenir en l’attrapant par la manche de son manteau. Nathan l’aurait poussée et lui aurait asséné un coup. Ce n’est que lorsque leur fille se serait mise à pleurer que Nathan est parti. Emilie a déposé plainte et eu un jour d’ITT.  Des douleurs dorsales, des bleus à l’oeil, à l’épaule et aux cuisses ont été constatés. "Je sais qu’un jour il va me tuer et s’en prendre a mes filles " a t’elle déclarée à la police, évoquant une précédente agression, une gifle que Nathan lui aurait donné lorsqu’elle était enceinte.

Nathan reconnaît la dispute mais affirme que le coup de coude dans l’escalier était involontaire, donné en tentant, déséquilibré, de se rattraper. Pour les autres blessures, il évoque le sport ou la réception maladroite de son ex-compagne dans un meuble.

"C’est quand même incroyable comme les meubles peuvent traîner dans une maison et c’est incroyable comme les femmes victimes de violences peuvent atterrir dessus",

ironise l’avocate d’Emilie. Il est également reproché à Nathan d’avoir envoyé plusieurs sms à Emilie dans lesquels il fait état d’excuses. Pour le procureur, c’est la preuve que les coups étaient intentionnels. Mais pour l’avocate de Nathan, il s’agit là de regrets pour avoir brisé leur relation.

Nathan a été condamné à 4 mois de prison avec sursis. Il a également l’obligation de suivre un stage de sensibilisation aux violences conjugales.
 
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