Jean Bertin, ingénieur visionnaire a imaginé et conçu l'aérotrain qui a battu des records de vitesse sur son célèbre rail de béton. Que reste-il de cet engin futuriste des années soixante, sur coussins d'air et aux allures de Batmobile ? Pourrait-il renaître de ses cendres ?
Le documentaire de Corinne Bian Rosa "Aérotrain, la vie d'après", s'appuie sur des images d'archives inédites, des témoignages et des rencontres avec les acteurs de cette incroyable épopée, aux multiples rebondissements.
Testé sur un rail près d'Orléans dans les années 60, avant de faire rêver l'Amérique, l'aérotrain garde une place particulière dans la mémoire collective. Chaque année, ils sont nombreux à braver les interdits pour caresser de la main et marquer de leurs pas ce long rail bétonné qui traverse la Beauce.
Le prototype a bien existé, certains l'ont vu passer, d'autres l'ont conduit ou sont montés à bord. Ont-ils rêvé ?
Patrick se souvient de cette apparition, à toute allure, alors qu'il n'était qu'un enfant. Depuis, il n'a plus revu cette flèche mouvante dans le paysage Orléanais ou même ailleurs. Que s'est-il passé pour qu'un tel engin disparaisse ainsi sur sa lancée ?
Ce tour de passe aurait pu être mis en scène lors d'un épisode de retour vers le futur avec Marty Mc Fly ou Doc aux commandes, mais il n'en est rien. Les causes de la disparition de l'aérotrain sont bien plus terre à terre puisqu'elles sont politiques, financières et économiques.
Une histoire qui commençait si bien
Jean Bertin, ingénieur de l'École Nationale Supérieure de l'Aéronautique et licencié en droit, consacre sa vie à l'innovation. De 1943 à 1955, il est directeur adjoint chargé des Études Spéciales sur les moteurs et la propulsion à la SNECMA (Société nationale d'étude et de construction de moteurs d'aviation). Le 27 février 1956, persuadé que la technologie aéronautique peut servir dans d'autres secteurs de l'industrie, il quitte la SNECMA et crée la Société Bertin et Cie.
Avec son équipe, il redéveloppe un concept né au 19e siècle, le coussin d'air. Le principe est d'emmagasiner la puissance de l'air pour soulever des masses. Il suffit alors de rajouter un moteur et n'importe quel engin peut se mouvoir à quelques centimètres de l'air ou de l'eau. Un concept original et performant qui allie toutes les qualités pour révolutionner le monde des transports.
"C'était un aviateur de formation, et comme tous les aviateurs, quand il est dans le ciel, il pense à beaucoup d'autres choses."
Philippe Bertin, fils de Jean Bertin
En 1965, pour développer ces appareils, il fonde la Société de l'Aérotrain et la SEDAM (Société d'études et de développement des Aéroglisseurs Marins).
Aller plus vite, toujours plus vite, pour gagner du temps, tout en gommant les distances. "La France de l'époque est la France extrêmement visionnaire, la France qui construisait le Concorde, la France qui avançait."
Jean Bertin, a besoin de l'aide de l'état, il obtient un rendez-vous à l'Élysée pour présenter la maquette de l'aérotrain à Georges Pompidou. Nous sommes après mai 68, c'est l'époque de tous les possibles. L'entretien qui se termine par un accord ne va pas aller à contresens. L'aérotrain est sur la bonne voie.
"Je crois que c'était tout sauf un rêveur, mais en revanche, on ne fait pas le parcours qu'il a fait sans avoir certains rêves dans la tête."
Philippe Bertin, fils de Jean Bertin
Une ère nouvelle s'ouvre pour les transports maritimes et terrestres. L'homme marche sur la lune, Concorde relie l'Europe à l'Amérique et l'aérotrain de Jean Bertin va rapprocher les humains à la vitesse grand V.
Maurice Berthelot, ancien ingénieur chez Bertin, se souvient : "On a commencé au bureau d'études à faire des dessins et on s'est aperçu que le coussin d'air était quelque chose de relativement simple qu'on pouvait utiliser. Tout d'abord, en l'utilisant sans suspension, sans rien. On a vu qu'effectivement ça marchait et petit à petit, on a apporté des suspensions pour améliorer le confort. Mais l'idée, c'était effectivement, qu'on pouvait soulever quelque chose, donc la possibilité d'un train."
Au début des années 60, ce véhicule aux allures futuriste est testé en Essonne sur une piste de 6,6 km, entre Gometz-la-Ville et Limours.
Il y a 50 ans, l'aérotrain battait le record sur rail à 430,2 km/h.
Jean Bertin qui vient d'obtenir du gouvernement, un financement pour la première vraie ligne d'aérotrain se lance dans la construction d'un rail de ciment de 18 kilomètres de long, à 7 mètres au-dessus du sol. Pourquoi si haut ? Pour ne pas diviser les terres et entraver la circulation de la Beauce. En forme de T inversé, la haute ligne de béton est composée de 900 poteaux espacés de vingt mètres chacun.
Le premier aérotrain grandeur réelle sort des hangars d'UTA au Bourget. Le 5 mars 1974, l'aérotrain baptisé Orléans bat le record mondial de vitesse d’un véhicule terrestre sur coussin d’air en atteignant une vitesse moyenne de 417,6 km/heure et effectue même une pointe à 430 km/h.
Pendant 18 km, le long de la ligne de chemin de fer, à quelques kilomètres au nord d'Orléans, l'aérotrain va rapprocher le futur. Entre avion sur rails et train volant, le bolide a de quoi faire rougir son successeur, le TGV, qui réussira à le dépasser. Une course contre la montre avec plus d'une quinzaine d'années de retard, tout de même !
La suite semblait prévisible et déjà, tout un chacun s'imaginait glissant, voletant. Voyageur du temps entre deux destinations opposées, à bord de cette machine aux pouvoirs extraordinaires, en toute sécurité.
Mais tout a basculé. Le rêve s'est brisé et les images du futur ont été classées sans suite. Le lobby du train a eu raison de son rival. Motifs invoqués : Trop bruyant, trop cher, trop compliqué. Les acteurs de l'histoire sont consternés et bien loin d'être convaincus par ces explications, qu'ils considèrent comme une dérobade.
Le contrat signé en juin 1974 pour créer une ligne entre Cergy-Pontoise et la Défense ne tient plus. En juillet les contrats sont annulés.
Valéry Giscard d'Estaing, successeur de Georges Pompidou, va tourner le dos à l'aérotrain au profit du bébé de la SNCF : Le TGV.
L'équipe de l'aérotrain va tout de même poursuivre les voyages de démonstration, mais en 77, faute de commercialisation, le prototype d'Orléans effectue son dernier tour de piste.
La première ligne de TGV, quant à elle, sera inaugurée en 1981.
La SNCF a gagné parce qu'elle a réussi à placer l'aérotrain en situation de concurrence avec le TGV qui était naissant à l’époque."
Philippe Bertin
"Ça n'a jamais été le cas, un TGV transporte, c'est 800 personnes. L'aérotrain n'a jamais eu vocation à transporter 800 personnes. En revanche, il avait certainement vocation à transporter 50, 80 ou 100 personnes à très haute vitesse sur des courtes et moyennes distances parce qu'il était léger, parce qu'il avait été conçu pour ne pas avoir d'inertie. Un train ne fonctionne que parce qu'il est lourd, si vous faites un train léger, il ne marche pas. Il n'accroche pas sur les rails, ça ne fonctionne pas. Tous les opposés."
Les amis de Jean Bertin
Sans financement, le projet de Jean Bertin reste inachevé, mais c'était sans compter sur ceux qui s'accrochent aux rêves comme à des ballons de baudruche qui se battent contre les vents contraires.
Les anciens de l'aérotrain et les plus jeunes, passionnés, se sont regroupés dans une association "Les amis de Jean Bertin". Ensemble, ils continuent de faire voyager cet engin incompris et sacrifié en allant à la rencontre du public, tout en partageant nombre de documents sur le site aerotrain.fr.
L'un d’eux, Thierry Farges n'a pas vu fonctionner l'aérotrain, mais l'engin n'a jamais cessé de le faire rêver : " Enfant, j'étais abonné à une petite revue qui s'appelait Guy L'éclair, il y avait toujours des engins fabuleux avec des hélices, des turbines dans tous les sens, et je me suis aperçu, étant gamin, que ça existait avec l'aérotrain."
Quand bien des années plus tard sa mère lui offre un ancien bout de film, il découvre que le prototype numéro 2 se trouve quelque part, sous un tas de feuilles mortes, alors qu'il le croyait depuis longtemps ferraillé. Il part à la recherche de la carcasse en piteux état et ne revient pas bredouille.
Passionné par cet avion sans ailes, Thierry Farges vient à son secours pour lui redonner son cachet et sa singularité d'autrefois. Une belle marque de respect pour l'œuvre de Jean Bertin dont l'autre prototype a malheureusement brûlé dans un incendie criminel dans un hangar à Chevilly.
Quelques jours plus tard, au lieu de disparaître dans la fournaise, il devait trouver sa place dans un musée consacré à son histoire dans la commune de Saran.
De l'autre côté de l'Atlantique
La notoriété de l'aérotrain dépasse largement les frontières et attise la curiosité des Américains, des Japonais et des Russes. Ce moyen de transport futuriste est une vitrine pour le monde.
Les Américains conquis, décident de construire un aérotrain selon le procédé de Jean Bertin. Ils achètent la licence et la division aérospatiale de la Rorh Compagnie fabrique un prototype en Californie, près de Los Angeles, en 1973.
L'aérotrain Rorh, conçu dans le plus grand secret est prévu pour soixante passagers. Toujours sur coussins d'air, il est alimenté par un système électrique au lieu d'un moteur à essence.
Le Rohr est envoyé dissimulé sous une bâche vers une base du ministère des transports, surveillée par l'armée américaine à 30 km de la petite ville de Pueblo au milieu du désert du Colorado. Le secret est vite mis à jour par la population locale. Il y avait une vraie volonté du pays d'investir dans les transports ferroviaires, tout en réduisant le financement des transports aériens et de la NASA.
Le gouvernement décide de mettre en concurrence trois prototypes de trains futuristes, conçus comme en France, non pas par des entreprises ferroviaires, mais par des avionneurs. Le Garrett, le Grumman et l'aérotrain Rohr. Aucun ne gagnera puisque le projet n’ira pas plus loin. Les finances ne suivent pas.
La base d'essais de Pueblo veut se débarrasser des prototypes devenus inutiles. Mais que faire de ces engins hybrides ?
Les autorités décident de les déplacer dans l'espace disponible du musée de l'aviation. Au milieu des fleurons de L'US Air Force, l'avion sans ailes devient vite importun. Finalement le Rohr sera déplacé sur un terrain désaffecté appartenant au musée du rail.
Comme en France, ce sont des passionnés, regroupés dans l'association du musée du rail de Pueblo dans le Colorado, qui vont pousser les portes de l'oubli pour remettre sous les feux de la rampe cette incroyable invention. L’aérotrain Rohr, mais aussi le Garrett et le Grumman sont désormais sous leur protection. Motivation et efforts sont au rendez-vous. Cette fois encore, ce sont malheureusement les finances qui manquent.
"Mon souhait serait qu'on en construise un nouveau et qu'il marche, ça, c'est mon désir secret. Mon souhait pour celui-là, c'est qu'il soit nettoyé, repeint et qu'il ait de nouveau fière allure. Que les gens et surtout les enfants des écoles puissent monter dedans, s'asseoir. On installerait une télévision et on leur montrerait un film sur ce qu'était le Rohr, enfin, réaliser un projet éducatif pour que les gens sachent ce que c'est. " Ron Roach, ingénieur des chemins de fer à la retraite, responsable du Rohr
Passé, présent et futur sur la même ligne de temps
En Californie, un jeune entrepreneur a repris le flambeau, Elon Musk qui a déjà développé un célèbre site de paiement en ligne et commercialisé avec succès la première voiture de sport électrique. Son nouveau projet "Hyperloop", veut révolutionner le monde du transport.
C'est un croisement entre un concorde et un canon électrique
Elon Musk
"Hyperloop" est un train sans roue qui circulera à plus de mille km/heure sur des coussins d'air avec une propulsion par air comprimé. Il pourrait relier San Francisco à Los Angeles en 30 Mn. Elon Musk devra convaincre l'Etat californien qui projette la construction d'un train à grande vitesse, le grand rival d'Hyperloop.
Le Flop de l'hyperloop
L'histoire se répète, comme l'aérotrain, l'hyperloop est arrêté en plein vol. Fin 2023, l'une des entreprises ayant levé le plus d'argent pour financer le projet ferme ses portes. L'entreprise espagnole Zeleros qui comptait elle aussi investir dans cette aventure licencie la moitié de son personnel et recentre ses efforts sur la mobilité électrique.
Les essais menés ne sont pas à la hauteur des ambitions initiales. Moins de dix ans après les premières esquisses, le train du futur reste à quai.
Des projets futuristes, sans doute, trop en avance sur leur temps mais, qu'en sera-t-il demain ? L'avenir nous le dira.
Le documentaire de Corinne Bian Rosa "Aérotrain, la vie d'après", produit par TGA production et France 3 Centre-Val de Loire sera diffusé ce jeudi 5 septembre à 23.05 sur France 3 Centre-Val de Loire. À voir en avant-première et à retrouver en replay sur france.tv