"Ce n'est pas rien dans notre culture occidentale de prendre quelqu'un dans ses bras " Le slow, une danse en sursis ?

Slow, une histoire d'amour raconte comment une danse, en voie de disparition, a codifié les rencontres amoureuses depuis la seconde moitié du vingtième siècle.

Le slow, le nom à lui seul donne le rythme. Doucement, tout doucement. Un contact rapproché avec l'autre, le temps d'une danse. De la fin des années 50, jusque dans les années 90, cet enchaînement de musiques douces est une invitation à la rencontre. Un prélude, peut-être, à une relation naissante.

Dans son documentaire, "Slow, une histoire d'amour", Gaël Bizien, donne la parole à des artistes, chorégraphes, historiens, pour faire un pas en toute intimité, sur la piste des souvenirs.

Pour ceux qui se souviennent, des danses "joue contre joue", pour ceux qui ne savent pas ce qu'être enlacés sur une piste signifie, j'ai eu envie de faire ce film.

Gaël Bizien

Combien de jeunes des générations précédentes ont ressenti ce contact avec l'autre, ces premières émotions dans les bras de son partenaire de danse ? Combien de jeunes d'aujourd'hui n'ont jamais dansé le slow ? L'artiste Orlan lance un cri d'alarme : "Il faut danser le slow, le sauver et rapprocher les corps. "

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Orlan, artiste ©France télévisions

Le déclin du slow commence à partir des années 90. Certains considèrent que c’est la danse du patriarcat. Parler à une inconnue, l’inviter à danser, cette manière d’approcher l’autre et de découvrir son corps est remis en cause aujourd'hui. Le slow a codifié les rencontres amoureuses depuis plusieurs générations, il n'est plus d'actualité. 

Le slow, est-il mort ou va-t-il renaître de ses cendres ?

À l’origine

Sophie Jacotot, historienne et danseuse, retrace le cheminement qui mène à l'apparition du slow et à son enlacement.

"Au XVIII ° siècle, on se tenait uniquement par la main en dansant le menuet. Avec la valse, le couple se referme sur lui-même, en contact avec les deux bras et les deux mains. Au début du XX ° siècle, avec le tango, le buste rentre en contact. Le slow vient parachever quelque chose du rapprochement des corps. "

L'origine du slow est méconnue, mais il pourrait s'agir d'un dérivé du slow fox-trot, beaucoup plus technique. Il voit le jour aux États-Unis avant de gagner l'Europe. 

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Américan Bandstand, émission TV aux Etats-Unis ©France télévisions

Dans nos villes et nos campagnes, combien de couples éphémères, mais aussi d'une vie, se sont formés en dansant sur une piste de bal ?

Parents, grands-parents, arrière-grands-parents de la génération d'aujourd'hui, ont connu leurs premiers émois amoureux dans les bras d'un garçon ou d'une fille qui les faisaient danser. Une rencontre, des premiers pas, pour avancer petit à petit dans une relation plus intime.

Ferions-nous partie de cet arbre généalogique sans la magie du slow ?

Racontez-moi le slow

Le slow se dansait dans les bals au rythme des orchestres, dans les salles des fêtes, parfois à l'extérieur quand il faisait beau ou sous un chapiteau pour se protéger de la pluie. Toutes les générations confondues pouvaient se lancer sur la piste.

Les garçons, les plus hardis, invitaient les jeunes filles quand la musique se faisait plus douce et la lumière, tamisée.

Plusieurs apprentis prétendants essuyaient des refus. Puis, quand timidement, celui qu'elles attendaient se présentait, elles acquiesçaient et ils se dirigeaient ensemble vers le centre de la salle, au milieu des autres couples.

La rougeur, le cœur qui bat, les tremblements, l'enjeu, c'est de savoir où mettre les mains, comment prendre l'autre dans ses bras.

Christophe Apprill, sociologue de la danse.

Synchroniser ses mouvements pour positionner ses mains autour du cou ou de la taille. Adapter la distance selon l'intimité et se laisser porter par la langueur de la musique. Trois ou quatre minutes d'osmose pour ces deux corps de plus en plus enlacés. Un langage des sens qui les conviait à poursuivre l'instant sur une nouvelle danse, au son d'une chanson tout aussi romantique.

L'invitation en elle-même était un véritable challenge pour ces jeunes garçons. Oser traverser la pièce, "Quelque chose de très fort se passait avant le slow". Une prise de risques qui pouvait être un exercice très dur, surtout quand ils prenaient un râteau. Un acte manqué alors qu'une autre jeune fille, faisait tapisserie, en attendant toute la soirée que l'un d'eux fasse le premier pas.

Ça a pu être une catastrophe, pour plein de gens dans une soirée. Mais le moment de base, il est beau !

Charlotte Rousseau, chorégraphe

Un corps-à-corps qui parfois aussi, faute d'affinités, voire d'incompatibilité restait sans suite. Chacun regagnait alors sa chaise ou d'autres bras après le tout premier slow. "

Quand la magie opérait, elle menait parfois au tout premier baiser, souvent maladroit mais tellement important. Les explications sur la rotation de la langue lues dans le magazine OK faisaient rarement leurs preuves ! Pourtant, les prochains, plus maîtrisés, n'auront certainement pas eu la saveur unique et l'innocence de ce premier baiser.

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Le début des boums ©France télévisions

Les plus jeunes ont organisé des surprises-parties, rebaptisées "boums" pour danser entre copains dans les garages, les chambres ou toute autre pièce à investir, libérée de la présence des parents. Au son des chaînes hi-fi ou des mange-disques pour les vinyles, tout ce petit monde s'amusait sur les chansons à la mode, avant le fameux rituel des slows.

Le slow devient une forme de normalité, un rituel adolescent tout à fait conventionnel.

Christophe Apprill, sociologue de la danse

Dans les mémoires, le souvenir est intact et se rejoue au présent, comme pour les personnages du film iconique de la Boum. Les parents faisaient le taxi à tour de rôle, fixaient des heures à ne pas dépasser, pour que ces jeunes en voie d'émancipation rentrent en toute sécurité. La maîtresse et le maître de maison faisaient le guet discrètement, tout en respectant l'intimité de la soirée.

Le slow accompagnait les premiers pas des adolescents dans leur rapport à l'autre puis il s'émancipait avec eux sur le chemin de la maturité et de la sensualité. 

Entre adultes

Le slow a un avantage certain sur les autres danses en couple puisqu'il ne nécessite aucune technique. Pas besoin de compter les pas, d'exceller dans une chorégraphie ou de faire virevolter sa partenaire comme dans Grease ou Dirty Dancing. 

Le slow, c'est la lenteur qui annule toute forme technique. Il faut juste aller lentement et pivoter sur un axe imaginaire.

Thomas Guillaud-Bataille, créateur sonore et metteur en scène

Les odeurs, le souffle, le grain de peau, un sens du toucher dans une douce ambiance musicale qui se prête à l'intimité et à la séduction. Une synchronisation, un tempo et un léger balancement qui invitent à fermer les yeux. Une sensorialité, tout un flux émotionnel en éveil.

Le temps d'un slow, un rapprochement qui va crescendo et qui peut donner naissance à un baiser si les deux danseurs en éprouvent le désir. Le slow ne permet pas de se dissimuler derrière la vitesse ou derrière la performance. C’est un face-à-face sans artifice, qui s'exprime avec le langage du corps.

On ne dansait pas le slow pour le plaisir de la danse, exclusivement. On a quelque chose derrière la tête.

Christophe Apprill, sociologue de la danse

Une manière de pouvoir parler entre les gens du désir et de la sexualité. Une contre-culture née dans les années 60 pour faire différemment de ses aînés, notamment sur le plan des relations amoureuses.

Le déclin du slow

Dans les années 90, début 2000, le slow commence son déclin. Aujourd'hui, il est en voie de disparition.

Certains avancent qu'il serait trop associé à un parcours de séduction imposé, qui ne leur correspond plus. Devenu obsolète, il n'aurait plus lieu d'être. Ils mettent en avant que le contact avec l'autre est plus délicat aujourd'hui et que le protocole du slow pourrait être perçu comme une agression. Ils supposent que la peur des maladies serait aussi une explication plausible puisqu'elle jouerait un rôle dans la distanciation.

J'associe le slow à des stéréotypes romantiques très hétéronormés qui imposent des rôles en fonction de leur genre. Une injonction à forcément être dans la séduction avec l'autre.

Mathilde Roussin, danseuse

Le slow ne demande qu'à être dansé, peu lui importe l'amplitude des âges et la diversité des genres. Il est prêt à s'adapter, à évoluer. Il veut juste renouer le contact entre les êtres humains. Petit à petit, les aider à se rapprocher à leur rythme pour ouvrir cette bulle de solitude où beaucoup se sont enfermés.

Quel que soit son devenir, il continue d'exister dans la mémoire de ceux qui l'ont dansé et ressenti à fleur de peau.

"Slow, une histoire d'amour", un documentaire de Gaël Bizien, produit par Ana Films et France 3 Bretagne, à voir ce jeudi 15 février à 23 h sur France 3 Centre Val-de-Loire. Documentaire déjà disponible sur france.tv.

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