Nous avons demandé à Thierry Prazuck, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital d'Orléans de revenir sur la crise sanitaire liée au coronavirus.
Thierry Prazuck est chef du service des maladies infectieuses et tropicales au Centre Hospitalier Régional d'Orléans. Dans un entretien qu’il nous a accordé par téléphone, il revient sur l’épidémie et les enseignements qu’il en a tirés.
Actuellement, il y a deux malades "Covid -19" soignés dans le service de réanimation. C'est très peu, et le chiffre est très encourageant pour Thierry Prazuck. Pour le chef du service des maladies infectieuses, il n’y a pas de reprise de l’épidémie. Pour autant, le virus circule toujours. Actuellement à l'hôpital d'Orléans, on effectue une centaine de tests par jour : "Il y a, de temps en temps, un cas positif mais ce qui apparaît, c’est que sur les cas observés, les formes cliniques sont très bénignes. Dès qu’il y a un cas positif, l’entourage est testé. Il peut y avoir des cas positifs asymptomatiques. Le virus a évolué vers une forme moins agressive en France. Le virus circule dans un environnement, il passe d’un individu à l’autre, il se modifie un peu".
En début de semaine, l’Human Journal of Medicine a décrit qu'en Italie et en Espagne, au plus fort de la crise, des cas sévères présentaient une mutation qui conféraient une agressivité supplémentaire : "Il faut analyser si les souches qui circulent actuellement en France ont cette mutation. Il semble que non. Quelles sont les couches qui circulent au Brésil, aux Etats-Unis et en Inde ? Dans ces pays, il y a une mortalité qui est beaucoup plus forte que celle qu’on observe en France, et qui est plutôt équivalente à celle qu’on a connu au mois de mars, au pic de l’épidémie en France. Le virus qui circule en France est moins agressif. Et même chez les personne âgées, il est moins agressif qu’il ne l’a été. Si le virus qui circule actuellement en Inde, aux Etats-Unis ou au Brésil revient en France, cela pourrait être sous la forme agressive. On observe la situation à un instant "T" en France. Que se passera-t-il dans un ou deux mois si les virus agressifs qui circulent ailleurs reviennent dans une population qui est peu immunisée ? 17 % de la population du Grand-Est est immunisée, 12 % en région parisienne et seulement 5,4 % en moyenne sur le territoire."
Le comportement des français
Pour ce spécialiste, il y a deux types de comportements : il y a les personnes exagérément anxieuses qui restent confinées, qui ne veulent pas sortir et qui reprendront une vie "normale" en septembre. "C’est peut-être un peu exagéré" estime Thierry Prazuck. Il rappelle qu’à partir du moment où on respecte les gestes barrières, qu’on porte un masque quand la distanciation physique, ne peut être respectée et qu’on se lave les mains régulièrement, il n’y pas de risque. L’autre type de comportement, ce sont tous ces français qu’on a vus dimanche dernier lors de la fête de la musique : "Quelles seront les conséquences de tels comportements ? Réponse dans une dizaine de jours… S’il y a une flambée des cas, on saura pourquoi… car seuls les gestes barières, la distanciation physique, le port du masque et le lavage des mains sont les recommandations à suivre... pour éviter la contamination."
Nous avons des tests PCR en quantité importante et dès qu’il y a un cas dépisté, l’entourage est testé dans les 24 heures et les cas avérés sont mis en quatorzaine immédiatement pour couper nette la chaîne de transmission.
Les tests PCR
Aujourd'hui, nous avons une autre gestion de l'épidémie par rapport aux tests et cela fait toute la différence : au début, lorsqu’il n’y avait pas assez de tests, on ne dépistait que les personnes très symptomatiques et celles qui avaient un risque d’aller en réanimation et/ou avec des comorbidités. Beaucoup de personnes n’ont pas été testées et donc, pas mises en quarantaine. Par ricochet, elles ont continué à transmettre. Désormais, nous avons les outils pour intervenir beaucoup plus tôt. Il faut donc que les personnes qui ont un gros rhume, mal à la tête, de la fièvre (mais pas nécessairement) ou de la toux, n’hésitent pas consulter leur médecin pour se faire tester "pcr covid".
Optimiste mais avec un bémol
Thierry Prazuck n'envisage pas une seconde vague dans les prochaines semaines. Sans l'exclure tout à fait... Il craint que le virus, qui circule en ce moment en Inde, aux Etats-Unis et au Brésil et qui tue, arrive sur le territoire français. "Il ne devrait pas y avoir de poussée durant l’été mais quid de l’autome ? Que se passera-t-il quand les frontières vont être totalement rouvertes et que les touristes viendront sur notre territoire ? C’est toute la question. Il faut être vigilant."
Et les soignants ?
"Pour faire face à l’épidémie, le personnel soignant a été sur le pont. Les soignants se sont impliqués, ils ont beaucoup donné pour soigner les malades. La fatigue se fait sentir et le personnel a besoin de vacances : pour se reposer mais aussi pour être d’attaque si une deuxième vague venait à arriver. Les personnels des service réanimation, pneumologie et maladies infectieuses ont été très sollicités. Les équipes qui sont allées sur le terrain pour faire des prélèvements aussi. Il leur faut reprendre des forces."
Quels enseignements ?
"Nous avons fait face, nous avons montré notre capacité à nous mobiliser." C’est le premier enseignement qu’il tire et il est positif : "Comme dans toute crise, il y a ceux qui ont peur et qui vont se cacher, c'est une minorité et il y a ceux et celles qui restent au front et qui assument."
"Nous avons été souvent sur le fil du rasoir en terme d’approvisionnement en matériel, en blouses, en casaques, en masques et en gants mais les services de la logistique et de la pharmacie et des achats de l'hôpital ont été exemplaires dans la gestion des stocks. Tout le monde a fait du bon travail !". C'est le deuxième enseignement.
Du troisième enseignement qu'il tire de cette crise, il espère qu'il apportera des changements : "On nous a fait confiance, on nous a donné les moyens de travailler et nous avons fait le job. Nous savons ce dont nous avons besoin pour soigner nos patients. Le système qui consiste à comptabiliser les recettes et les dépenses, ça ne peut plus durer. Il ne faut pas vouloir faire du rendement à tout prix. Il nous faut suffisamment de postes de soignants pour faire notre travail et il faut payer davantage le personnel : cela passe par une revalorisation des salaires. Il faut arrêter de se demander combien un patient rapporte à l’hôpital. Nous attendons beaucoup du Ségur de la santé. De plus, il faut revoir l’organisation de l’hôpital : les médecins doivent avoir plus leur mot à dire sur les moyens à mettre en œuvre pour s’occuper du patient."
La vigilance doit rester de mise. Il ne faut pas hésiter à se faire tester même en cas de symptôme léger. L’objectif est que l’épidémie reparte pas. Personne n’a envie d’un second confinement.