Déportation dans le Loiret : pour les 30 ans du Cercil, "l'urgence" toujours intacte du devoir de mémoire

Le Cercil, association fondée pour l'étude et la mémoire des camps de déportation du Loiret durant la Seconde guerre mondiale, célèbre ses trente ans en 2021. Mais pour les personnes qui la font vivre, l'urgence de ce devoir de mémoire est toujours intacte.

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Les lieux ont, pour la plupart, disparu, mais les souvenirs et les archives demeurent. L'année 2021 marquera un triple anniversaire lourd de symbole dans le Loiret. D'abord, il s'agit du trentième anniversaire du Cercil, le Centre d'étude et de recherche sur les camps d'internement du Loiret, créé à l'initiative des familles de déportés en 1991. Ensuite, le Cercil commémorera aussi le dixième anniversaire de la création de son musée à Orléans.

Trois camps d'internement dans le Loiret

Enfin, le mois de mai 2021 marquera la quatre-vingtième année depuis la "rafle du billet vert", la première vague d'arrestation de personnes juives menée par l'administration française sous le régime de la collaboration. 3700 hommes sont internés dans les camps de "transit" du Loiret à Beaune-la-Rolande et Pithiviers. En juillet 1942, alors que deux convois vers les camps d'extermination sont déjà partis du Loiret, 13 000 juifs dont 4000 enfants, sont arrêtés au Vel d'Hiv et parqués à leur tour à Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Sans qu'ils le sachent, il s'agit du premier maillon d'une chaîne qui s'achève, mécanique, à Auschwitz-Birkenau. Dans le même temps, l'ancien camp de réfugiés, puis de prisonniers de guerre de Jargeau devient le "camp des nomades" et accueille 1200 "nomades indésirables", adultes et enfants, auxquels s'ajoutent des prisonniers politiques à partir de 1941. Comme dans les deux autres camps, la sous-alimentation, les insectes et les maladies sont monnaie courante.

C'est pour faire connaître et favoriser l'étude de ces trois camps que s'est constitué le Cercil. Et pour les hommes et les femmes qui continuent de faire vivre l'association, ce 30e anniversaire est marqué par une volonté toujours intacte, malgré les années. Pour Hélène Mouchard-Zay, présidente du Cercil, "l'urgence" qui a présidé à sa création n'a pas diminué d'un iota.

A l'époque, en 1991, on parle rarement de l'extermination des juifs d'Europe, et encore moins de la participation du régime de collaboration mis en place. La responsabilité du régime de l'État français, y compris celle de son institution policière et de ses administrations, ne sera reconnue qu'en 1995 par Jacques Chirac.

"Je veux bien tourner la page, encore faut-il qu'elle ait été lue !"

"C'est une histoire qui était quasiment absente de la mémoire française à ce moment-là", se souvient Hélène Mouchard-Zay. A ce moment, le Cercil est essentiellement porté par les familles de déportés dont plusieurs milliers ont transité par Beaune-la-Rolande et Pithiviers. Avec les premiers membres fondateurs du Cercle, elle doit batailler contre une partie de l'opinion et des pouvoirs de l'époque. "Les gens disaient 'Mais pourquoi avez-vous besoin de remuer tout ça, il faut tourner la page !'. Je leur répondais : oui, je veux bien la tourner, la page. Mais encore faut-il qu'elle ait été lue !"

La "pudeur" de la télévision française des années 70

Fort heureusement, le Cercil compte parmi ses soutiens et ses fondateurs des personnalités importantes, comme Serge et Beate Klarsfled, qui président l'association des Fils et filles de déportés juifs de France, la femme d'État et ancienne déportée Simone Veil, ainsi que des élus locaux, comme le maire d'Orléans de l'époque Jean-Pierre Sueur (PS), aujourd'hui sénateur, qui en fut le premier président. Au même moment, le silence autour des camps du Loiret se déchire : le 27 avril 1990, Éric Conan publie dans l'Express "Enquête sur un crime oublié : comment, en 1942, les autorités françaises ont parqué 3.500 enfants juifs près d'Orléans avant de les diriger vers les camps de la mort".

Pour Serge Klarsfeld, les camps du Loiret, Pithiviers et Beaune-la-Rolande en particulier, représentent "le paroxysme de la collaboration policière avec les Allemands", qui "marque Vichy d'un sceau indélébile". C'est bien cette France, "dirigée par un Maréchal de France et un Premier ministre de la IIIe République", des hommes considérés en 1941 comme "éminemment respectables", "qui a envoyé dans les camps du Loiret des milliers d'enfants qui allaient être ensuite exterminés par les Allemands." Le tout, sous la supervision de la préfecture du Loiret, qui refuse par exemple les projets d'équipement sanitaire du camp des "indésirables" de Jargeau en 1941.

Et cette reponsabilité, cette proximité dans le dessein génocidaire entre le Loiret et Auschwitz, est peut-être l'une des causes, selon Jean-Pierre Sueur, de "l'oubli collectif" de ce "souvenir pénible, douloureux". Le projet d'étude et de mémoire porté par le Cercil se heurte à l'inertie, voire à l'opposition locale. A Jargeau, par exemple, sur le site du camp des nomades se tient aujourd'hui un lycée agricole. Et dans les années 90, le maire (UDF) de la commune François Landré a dû "beaucoup se battre" contre une partie du conseil municipal pour faire poser une simple plaque commémorative.

Trente ans d'efforts

Mais à l'heure où les voix des derniers rescapés de la Shoah se taisent une à une, le travail de mémoire n'a jamais été autant d'actualité pour Annaïg Lefeuvre, la nouvelle responsable du Musée-mémorial de la Shoah depuis 2020. 80 ans après les faits, explique-t-elle, des photographies ou des documents continuent à apparaître. Comme par exemple cette plaque de bois gravée portant l'inscription "Beaune-la-Rolande, juillet 1942" découverte par un historien dans une brocante, dans le sud de la France. Malgré une année marquée par le covid-19, le Cercil a continué son travail de médiation au travers de conférences et d'expositions, y compris en ligne.

 

"On pourrait considérer que ce travail est plus facile aujourd'hui", quatre-vingts ans après les faits, poursuit Annaïg Lefeuvre, mais avec ce qu'elle recèle à la fois d'horreur et d'effarante proximité, "cette histoire met au défi la pensée". Et ce n'est parfois qu'en se confrontant à elle, aux quelques lieux et aux objets qui ont traversé cette histoire, qu'on en prend la mesure. C'est également ce que retient l'actuel maire d'Orléans, Serge Grouard (LR), citant notamment "cette pièce terrible" où sont exposées les photos d'enfants déportés, retrouvées en grande partie grâce au travail de Serge Klarsfeld. "Je souhaite que toutes les écoles d'Orléans puissent venir", notamment celles qui accueillent des enfants dont les familles ne transmettent pas forcément ces références historiques, afin que "ces enfants voient ce qui a été fait à d'autres enfants", poursuit le maire, qui n'a aucun doute sur le soutien continu de la Ville au Cercil à l'avenir.

Parler d'histoire, c'est agir

Toucher du doigt cette histoire, c'est ce qu'on fait les collégiens de l'établissement Claude Debussy de la Guerche-sur-l'Aubois ce 19 mars, en visitant le Cercil. Leur enseignante, Laurène Martin-Douyat, essaie d'organiser une sortie tous les ans pour ses élèves de 3e sur ce sujet, souvent "délicat du point de vue de l'émotion". Et pour elle aussi, l'éloignement temporel des faits ne rend que plus nécessaire le fait de dépasser les photos et les témoignages filmés pour se rendre physiquement sur les lieux. "Je commence à remarquer une vraie cassure temporelle" avec cette période, constate-t-elle. "Il y a encore quelques années, leurs grands-parents étaient nés pendant ou après la guerre, et pouvaient transmettre les histoires de leurs propres aînés. Il y a encore trois ou quatre ans, la génération de leurs grands-parents avait encore des souvenirs, des objets de cette époque. Ça commence à se tarir."

Pour lutter contre ce tarissement, le Cercil prévoit de redoubler ses efforts en cette période charnière et, elle aussi à sa manière, troublée. Ces efforts visent d'abord à maintenir l'activité culturelle et pédagogique de la structure. Fin avril, le Cercil doit ainsi inaugurer une exposition temporaire intitulée "Sortir de l'oubli", qui donnera à voir non seulement les archives collectées par le musée au fil des ans, mais aussi sa méthode et son cheminement pour les collecter et les étudier. L'inauguration du lieu de mémoire de l'ancienne gare de Pithiviers doit aussi avoir lieu cette année. Avec, toujours apparent, ce terrible constat : il suffit finalement de peu de chose pour qu'une société apparemment moderne et cultivée, visiblement dirigée par des gens respectables, sombre dans la violence. "Au début de tout génocide, il y a un terrain qui le rend possible. Des propos, des attitudes, des actes de violence." "La mémoire", achève Annaïg Lefeuvre, "pour ne pas être instrumentalisée, doit s'articuler avec l'histoire. Avec une recherche de la vérité".

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