Le village de Maillé, en Indre-et-Loire, commémore ce 25 août le 76e anniversaire du massacre de sa population perpétré par les nazis en 1944. Une commémoration au coeur des enjeux et des luttes mémorielles, quelques jours après les dégradations commises à Oradour-sur-Glane.
Ça s'est passé un 25 août 1944. Ce matin-là, le jour de la libération de Paris, l'histoire s'écrit dans le sang. Depuis plusieurs mois, les Allemands qui occupent la France opèrent un repli stratégique vers le Rhin. Les Alliés débarqués en Normandie le 6 juin débouchent au cours de l'été au nord de la vallée de la Loire et dans le bassin parisien. De leur côté, les réseaux de la résistance font de leur mieux pour harceler et ralentir l'armée allemande en pleine débâcle.
124 villageois tués, dont 48 enfants
Le Mans est libéré le 9 août. Le 16, le combat frontal pour Blois est entamé par des résistants après plusieurs jours d'embuscades, et la Wehrmacht évacue vers la rive sud de la Loire. A Orléans, les Allemands évacuent la ville dans la nuit du 17 au 18 août face à l'avancée du 137e régiment d'infanterie américain. Le 19 août, la bataille pour Paris débute sous le commandement d'Henri Rol-Tanguy.Mais l'Indre-et-Loire reste largement occupé. Dans le sud du département, là où la Creuse se jette dans la Vienne, le petit village de Maillé voit arriver une colonne de soldats allemands. A leur arrivée dans le village, ils tirent à vue sur les habitants, bloquent les accès et mettent systématiquement le feu aux maisons. A leur départ, ils laissent des sentinelles pour abattre les civils qui tenteraient de fuir l'incendie, puis utilisent deux canons antiaériens de 88mm pour pilonner le village, le rasant presqu'entièrement.
"On estime que 80 à 100 obus ont été tirés" indique Éric Alary, historien spécialiste de la Seconde guerre mondiale et enseignant-chercheur en classe préparatoire à Tours. "124 des 500 habitants sont tués, soit un quart de la population." Parmi les victimes, on compte "48 enfants de moins de 14 ans".
La plus jeune victime avait 3 mois, la plus vieille avait 89 ans.
"Pendant longtemps on n'a pas su quelle unité était responsable", commente l'historien. Le consensus historique désigne depuis 2008, avec une forte probabilité, un "bataillon de réserve de la 17e SS-Panzergrenadier-Division stationné à Châtellerault". Une division qui appartient à la Waffen-SS, composante idéologique et politique des forces armées allemandes, complétement soumise au parti nazi. Au mois de juin 44, c'est une autre division SS, la 2e SS-Panzer-Division "Das Reich", qui s'est rendue coupable d'autres massacres à Argenton-sur-Creuse, dans l'Indre, ainsi qu'à Tulle et Oradour-sur-Glane.
Le contexte de l'attaque
A Maillé, "on se trouve à 40 kilomètres de l'ancienne ligne de démarcation", précise Éric Alary, "on se trouve près d'axes de communications essentiels, à savoir la nationale 10 et la ligne ferroviaire Paris-Bordeaux". "Entre le 12 ou le 15 août et la fin du mois, le secteur voit passer entre 100 000 et 150 000 soldats allemands en train de se replier." L'importance stratégique du secteur n'échappe ni aux Alliés ni aux résistants, qui sabotent à trois reprise la ligne de chemin de fer au mois d'août, et déclenchent plusieurs accrochages avec les forces d'occupation.Par ailleurs, les Allemands soupçonnent les habitants de coopérer avec les Alliés et les FFI. Début août, un aviateur canadien est caché par la population locale, qui l'aide à s'enfuir. "Les réseaux de résistances sont très présents, ce qui inquiète parfois les populations qui craignent les représailles d'ailleurs", poursuit Eric Alary. "Des prêtres sont souvent fédérateurs de ces réseaux, comme l'abbé Henri Péan de la commune voisine de Draché, qui est tué quelque temps avant le massacre de Maillé."
Le matin du 25 août, les Allemands sont excédés : la veille au soir, un nouvel accrochage avec huit maquisards fait un mort et un blessé côté allemand. L'officier visé par l'attaque, le sous-lieutenant Gustav Schlüter, est furieux. Il en rend compte au lieutenant-colonel Stenger, le Feldkommandant de Tours, et demande la permission d'exercer des représailles. La colonne de plusieurs centaines de soldats part accomplir sa funeste besogne avec l'aval de sa hiérarchie. Lorsqu'il informe le préfet de Tours du carnage deux jours plus tard, Stenger affirme cependant que ses ordres "ont été outrepassés".
Condamné à mort par contumace par le tribunal militaire de Bordeaux en 1952, Schlüter s'éteint paisiblement à Hambourg en 1965. Le bataillon responsable du massacre n'est identifié, avec quasi-certitude qu'en 2008, après le passage dans la région du procureur allemand Ulrich Maas, chargé d'une unité spécialisée dans la traque d'anciens nazis.
"Il n'y a de bonne mémoire que s'il y a une bonne connaissance de l'histoire"
Soixante-seize ans plus tard, Maillé continue de se souvenir. Après la guerre, le village a été reconstruit à l'identique, "une démarche différente de celle qui a été adoptéeà Oradour-sur-Glane, où l'ancien village est conservé à l'état de ruines", note Éric Alary. Massacré le 10 juin 1944 par une autre division SS, le village d'Oradour est devenu un symbole des exactions nazies pendant la Second guerre mondiale. Un symbole désacralisé par des tags négationnistes le 21 août dernier, la mention "Martyr" du village rayée d'un trait de peinture blanhce et remplacée par "Menteur". Et il ne s'agit pas d'une première. En 2018, un Allemand résidant en Moselle a été mis en examen après avoir élevé une stèle en l'honneur de la 17e SS-Panzegrenadier.Malgré les années, ou peut-être à cause d'elles, le négationnisme reste fermement implanté en France. "Il y a une permanence du phénomène négationniste dès les années 50" note Eric Alary, qui cite comme exemple le militant antisémite Robert Faurisson, décédé en 2018. "Chaque décennie a ses actes de négation des massacre, mais cette fois-ci il ne s'agit pas de nier la Shoah pour des raisons antisémites, mais de nier un massacre de civils sans lien avec le génocide. J'ai le sentiment qu'on a franchi un palier supplémentaire"
Les négationnistes du 21e siècle, qui s'appuient largement sur les réseaux sociaux, "ont intérêt à faire penser à une partie de la population que les historiens se trompent, voire leur mentent, qu'ils ne donnent que 'leur' version de l'histoire" note l'historien qui, sans les mettre sur le même plan, estime "gênants" les déboulonnages de statues qui ont créé la polémique au mois de juin. "Là bien sûr c'est différent : on ne peut pas nier que Colbert ait fait la promotion de l'esclavage." Le fait que l'histoire, comme toute recherche scientifique, avance prudemment et se voit parfois contrainte de reconnaître les erreurs du passé, ne facilite par toujours son acceptation par les amoureux de la mythologie nationale.
"Le négationnisme fleurit en Europe à chaque crise sociale", conclut Éric Alary. Et historiens comme politiques doivent, face à ce mouvement, rester humbles et sincères. "On a l'impression d'une distorsion entre l'histoire et la mémoire. Or il n'y a de bonne mémoire que s'il y a une bonne connaissance de l'histoire"
Pour en savoir plus : "Histoire et mémoire d’un massacre: Maillé, Indre & Loire", de Sébastien Chevereau et Luc Forlivesi, pp. 65-71 in La répression en France à l'été 1944
Retrouvez ci-dessous l'enquête de C. Bian Rosa, G. Grichois, H. Tiercelin et A. Malaurie ou cliquez ici