Au cours d'un banal inventaire mené dans le cadre d'une succession, le commissaire-priseur orléanais Matthieu Semont est tombé sur un bronze exceptionnel signé Camille Claudel. Une œuvre majeure conçue par l'artiste à la fin du XIXème siècle, qui sera vendue aux enchères le 16 février prochain à Orléans.
Trois mois après sa trouvaille, Matthieu Semont semble ne s'en être pas encore remis. L'émotion est toujours perceptible lorsqu'il évoque les circonstances, assez banales, pour un commissaire-priseur, qui l'ont conduit à découvrir un trésor. À la demande d'un notaire d'Orléans, il s'est rendu à Paris en septembre dernier, pour effectuer un inventaire, une "prisée", c'est-à-dire l'estimation des meubles destinée à la déclaration de succession :
"L'appartement, situé au pied de la Tour Eiffel, était inoccupé depuis une quinzaine d'années, plongé dans le noir, sans électricité, la poussière s'y était accumulée... je me suis retrouvé dans cette atmosphère très particulière à mener l'inventaire à la lumière de mon téléphone. En quête d'un éventuel trésor, comme tout commissaire-priseur dans ce genre de situation..."
Posé sur une commode, dans un couloir de l'appartement, le trésor l'attendait, dissimulé sous un drap. Et le commissaire-priseur a très vite saisi la valeur de cette trouvaille :
"Les bronzes présentent l'avantage d'être signés. En soulevant un coin du drap, je suis tout de suite tombé sur la signature de Camille Claudel et sur cette jeune femme qu'on appelle l'implorante. Du temps de Camille, déjà, ce personnage a fait l'objet d'une édition autonome, et il paraît de façon assez régulière sur le marché de l'art..."
"Ici, poursuit Matthieu Semont, la jeune femme fait partie d'un groupe plus important composé de trois personnages. J'avais en fait sous les yeux, à la lumière de mon téléphone, L'Âge Mûr, de Camille Claudel, dans la première version de sa fonte !"
Ce bronze représente sur un même groupe la jeunesse, l'âge mûr et la vieillesse, 3 personnages plus ou moins en déséquilibre. L'âge mûr s'achemine vers la vieillesse dans quelque chose qui est extrêmement poignant pour un homme de mon âge. C'est très impressionnant d'être confronté à l'iconographie de cette jeune sculptrice qui avait à peine 30 ans. Chacun peut s'identifier à cette sculpture qui représente la destinée humaine.
Matthieu Semont, commissaire-priseur
Dans cette œuvre conçue par Camile Claudel au moment de sa Rupture avec Rodin (1892), certains ont vu une représentation autobiographique : le maître sculpteur, écartelé entre sa maîtresse, Camille, et celle qui deviendra son épouse légitime, Rose Beuret.
L'Âge Mûr, quoi qu'il en soit, évoque la destinée humaine, la fuite inexorable du temps. Les trois âges de la vie y sont réunis en une même composition d'une grande tension émotionnelle. L'artiste, qui finira ses jours dans la réclusion, internée d'office à la demande de son frère Paul en 1913, est ici au sommet de son art.
La réapparition du N°1, un "véritable évènement"
Évoqué dès 1890 dans une lettre de l’artiste, L’Âge mûr connaît une longue genèse. La maquette de ce groupe magistral, présentée en 1895, fait l'objet d'une commande en plâtre par l'État. L’œuvre est exposée en 1899 dans un salon artistique, mais n’est pas suivie d’une transposition finale en bronze ou marbre.
L'intervention d’Eugène Blot, l’un des galeristes les plus en vue de Paris, et héritier de la fonderie familiale «Blot et Drouart », va cependant conduire à une édition du sujet, dans une réduction au tiers. Soutien indéfectible de Camille Claudel, Il acquiert la propriété du modèle de l’Âge mûr et en réalise une édition limitée pour l’exposition de 1907. Le groupe y est présenté pour la première fois en bronze, sous le titre "La jeunesse et l'âge mûr".
Et Eugène Blot réalise, lui aussi, un chef-d’œuvre : la fonte, à cette échelle, d'une composition aussi complexe et mouvementée, est un véritable défi.
Une estimation entre 1,5 et 2 millions d'euros
"Cette sculpture était si compliquée à fondre, cela coûtait si cher qu'elle n'a été produite qu'à six exemplaires numérotés, explique Matthieu Semont. Quatre d'entre eux ont été vendus, mais le seul qu'on connaissait jusqu'à aujourd'hui est le N°3, présenté au musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine. Et je suis tombé sur ce bronze extraordinaire, qui plus le premier à être sorti de la fonte, le N°1 ! C'est complètement incroyable ! Les N° 2 et 4 existent peut-être encore, mais nul ne sait où ils se trouvent..."
À n’en pas douter, cette trouvaille est un évènement dans le marché de l'art. Trop longtemps éclipsée par la vie romanesque de l'artiste et les 30 années d'enfermement, la production de Camille Claudel est aujourd'hui très recherchée. L'œuvre dénichée par Matthieu Semont est estimée entre 1,5 et 2 millions d'euros !
"Mais, ajoute le commissaire-priseur, on est là sur une sculpture qui sort de tous les radars. En dehors des exemplaires des musées (il en existe deux de plus grande taille au Musée Rodin et au musée d'Orsay, NDLR) c'est le premier bronze de l'Âge Mûr sur le marché, susceptible d'être acheté par n'importe quel collectionneur ou amateur. Sa valeur en fait, peut être totalement irrationnelle !"
À bon entendeur... La sculpture sera vendue aux enchères le 16 février prochain, dans le salon des mariages de l'hôtel de ville d'Orléans.