Entre enjeux environnementaux et sociaux, l'avenir du "tout voiture" semble de plus en plus intenable sur le long terme. Vivre sans voiture : une utopie, ou avançons-nous, lentement mais sûrement, vers la mobilité douce ? Sommes-nous tous égaux face à cette mutation, aux multiples impacts sur notre quotidien ?
Quatre mots, une question : le titre du documentaire d'Hervé Brèque et Lucie Mizzi suscite déjà un vif intérêt. La vie sans voiture ? Si certains ont déjà franchi le pas en modifiant leurs habitudes de déplacement, la plupart d'entre nous ne veulent, ou ne peuvent pas, s'en passer.
La voiture, synonyme d'autonomie et de liberté, semble avoir encore de beaux jours devant elle, notamment pour les usagers vivant en milieu rural. Cependant, de nouvelles alternatives, offrant des solutions de déplacement faciles et économiques, pourraient sans doute changer la donne.
La voiture, meilleure ennemie ?
Elle est la principale alliée des déplacements des Français, à disposition à tout moment, que ce soit pour se rendre au travail, partir en vacances ou simplement pour le plaisir d'une sortie improvisée ou programmée. Une autonomie qui coûte cher sur le plan économique, environnemental, social et financier, avec des conséquences sur notre santé.
Aujourd'hui, la voiture est utilisée pour huit déplacements sur dix, avec des enjeux environnementaux liés à la pollution de l'air et aux nuisances sonores.
Le secteur des transports reste le premier émetteur de gaz à effet de serre. La voiture en représentant près de la moitié.
Valentin Desfontaines, Responsable mobilités durables, Réseau Action Climat
Un constat implacable qui, pourtant, ne pèse pas lourd dans la balance lorsqu’aucune alternative de mobilité n’est viable. Des projets émergent pour proposer des solutions, tout en cherchant à éloigner les modèles les plus nocifs des centres urbains. Ces dernières années, les automobiles sont devenues plus grandes et plus lourdes, nécessitant davantage d’énergie et de matériaux.
Les véhicules plus anciens dégradent la qualité de l'air, contribuant à l’augmentation des maladies respiratoires. En parallèle, le manque d’exercice chez les enfants, transportés d'un point à un autre sans effort, renforce les comportements passifs à l’origine de l’obésité.
Se déplacer en voiture est onéreux : en moyenne, 400 € par mois. Cette dépendance contraint une grande partie de la population à économiser dans d’autres domaines.
Le tableau est sombre, et pourtant, ce mode de transport reste perçu comme indispensable, une extension de notre liberté. Aujourd’hui, seuls 16 % des Français vivent sans voiture. Alors, comment sortir de ce paradoxe ?
La voiture électrique, solution miracle ?
Les lois visent désormais à réduire la pollution automobile. D'ici 2035, les véhicules thermiques devraient complètement disparaître au profit des modèles électriques. Pourtant, d'un point de vue environnemental, cette technologie n'est pas exempte de critiques. Cobalt, nickel, manganèse, lithium... Les batteries sont extrêmement gourmandes en matières premières rares.
Le véhicule électrique est pertinent pour les petits trajets. Sinon, il faudrait des batteries énormes pour garantir une autonomie suffisante.
Marie Huygue, docteure en urbanisme - Consultante
Une opinion partagée par Thomas Uthayakumar, directeur des programmes à la Fondation pour la Nature et l'Homme, qui souligne que : "Basculer 38 millions de voitures à essence vers l'électrique serait une fausse bonne idée. Électrifier une partie du parc automobile est une option, mais cela doit s'accompagner d'une densification de l'offre de transport public et d'une promotion de la mobilité douce."
"La voiture, on peut faire sans !"
Seulement 5 % des Français ont opté pour une vie sans voiture : principalement les personnes âgées qui ne peuvent plus conduire et les personnes en situation de précarité économique.
Pour certains, vivre sans voiture commence par une nécessité financière, mais cette contrainte se transforme souvent en choix et en plaisir. Une fois les avantages expérimentés, de plus en plus d'individus, que ce soit en solo, en couple ou en famille, adoptent la mobilité douce comme véritable mode de vie.
À Tours, en Indre-et-Loire, la famille Geneix, qui vit dans un petit faubourg près du centre-ville, utilise principalement les vélos et les transports en commun pour se déplacer.
Un choix initial souvent contraint par des raisons budgétaires : une voiture dont la mécanique laisse à désirer, qui ne passe plus au contrôle, ou des frais trop importants peuvent être à l'origine du changement. La proximité du centre-ville constitue également un atout majeur pour franchir le pas.
Cela fait maintenant huit ans que la famille Geneix a abandonné la voiture lorsqu'il a fallu la remplacer. Ce choix, dicté par des considérations économiques, a également été motivé par la facilité de stationnement, les réparations moins coûteuses et les trajets sans embouteillage. Cette transition a nécessité une réorganisation, mais aujourd'hui, ils s’y retrouvent en toute sérénité.
À pied, à vélo, en bus ou en drive, les courses sont gérées selon les besoins et planifiées pour éviter les allers-retours inutiles. Ce gain de temps compense largement les trajets répétés en voiture.
Pour les déplacements plus longs ou inaccessibles en transports en commun, la famille Geneix loue un véhicule. Le bilan est largement positif.
Pour des trajets de moins de 1 km à pied et jusqu'à 4 km à vélo, 43 % des automobilistes pourraient abandonner leur voiture.
Thomas Uthayakumar, dir. des programmes Fondation pour la Nature et l'Homme
Mélanie et Florent, un couple de jeunes artistes installés à Pocé-sur-Cisse, près d'Amboise en Touraine, se déplacent essentiellement à vélo. Il y a trois ans, leur voiture, qu'ils utilisaient très peu, a cessé de fonctionner. Ils ont choisi de ne pas la remplacer, étant donné que la gare et les commerces sont proches, ce qui a motivé leur choix de résidence. En forme, ils apprécient la liberté de mouvement que leur offrent leurs compagnons de route.
On estime à 2, voire 3 %, la proportion des ménages qui, ces dernières années, ont partiellement ou totalement abandonné la voiture.
Nicolas Oppenchaim, Sociologue Laboratoire Citeres - Université de Tours
Cette estimation repose sur des études du Laboratoire Citeres, qui montrent que la proximité des activités quotidiennes facilite l'abandon de la voiture. Cependant, pour beaucoup, surtout dans les zones éloignées ou mal desservies par les transports en commun, cette option reste compliquée, voire impraticable. La transition vers des modes de transport alternatifs est donc encore limitée par les infrastructures disponibles et les besoins spécifiques de chaque ménage.
Entre le "tout voiture" et le "tout sans voiture", trouver un compromis adapté aux besoins et aux options disponibles peut offrir une option efficace. De nombreux ménages privilégient le vélo ou les transports en commun pour leurs déplacements quotidiens, tout en conservant une voiture, peu utilisée mais précieuse en tant que solution de secours.
L'intermodalité : le transport pluriel en pratique
L'intermodalité permet de combiner différents modes de transport au cours d'un même trajet, mais elle se heurte souvent à la complexité de l'offre disponible. Les problèmes de maillage et de correspondance peuvent rendre difficile la fluidité des voyages.
Pour ses allers-retours quotidiens, François Sassier utilise quatre systèmes de circulation différents, et cela lui convient parfaitement.
L'intermodalité, qui permet de combiner différents types de déplacements au cours d'un même voyage nécessite une bonne forme physique, des correspondances ponctuelles, des infrastructures sécurisées et, si possible, une météo clémente.
Souvent, la complexité des déplacements multimodaux constitue un frein, surtout pour les trajets longs et inhabituels. Une billettique unique et simplifiée pourrait faciliter l'intégration de tous les moyens de mobilité dans une seule application. Aux Pays-Bas, un titre unique est en place depuis près de vingt ans. En Allemagne et en Autriche, un abonnement mensuel à prix fixe permet de couvrir tous les trajets quotidiens en transport collectif, sans souci.
Cet été, selon France Info, le Pass Rail à 49 euros, destiné à 700 000 jeunes de 16 à 27 ans pour voyager en TER ou en Intercités partout en France, n’a pas rencontré le succès escompté. Avec seulement 235 000 abonnements vendus, le bilan du Pass Rail est mitigé.
La voiture, vitrine sociale
Longtemps, et encore souvent, symbole de liberté et de réussite sociale, la voiture en location ou en partage devient une alternative de plus en plus pertinente.
Un véhicule en autopartage peut remplacer de 5 à 8 voitures, réduire de 10 à 20 000 km de trajet par an, et libérer de 1 à 3 places de stationnement en voirie.
Thomas Uthayakumar, dir. des programmes Fondation pour la Nature et l'Homme
En optimisant l’utilisation des véhicules, ce système contribue à une réduction significative de l'empreinte carbone et des besoins en espaces de stationnement. À l'instar des vélos ou des trottinettes, les voitures en autopartage se louent facilement. Ce système de facturation au kilomètre influe sur la fréquence d'utilisation, offrant flexibilité tout en incluant le kilométrage, l'assurance et le carburant.
D'autres initiatives émergent. À Montlouis-sur-Loire, par exemple, la collectivité a encouragé sa chargée de mission à faire preuve d'innovation. Amélie Esnault a ainsi lancé Rézo pouce, une solution de covoiturage local basée sur l'entraide et la solidarité communautaire.
Le vélo pour tous ?
Économique, léger et bon pour la santé !
Contrairement aux idées reçues, se déplacer à vélo n’est pas nécessairement plus lent. Une étude de l'Ademe révèle qu’en région parisienne, les cyclistes roulent à une vitesse moyenne de 15 km/h contre 14 km/h en voiture. Cependant, la circulation urbaine nécessite un apprentissage pour maîtriser les règles de sécurité et éviter les dangers.
Actuellement, 2 % des adultes ne savent pas faire de vélo, et 15 % se sentent mal à l'aise face à la circulation. Pour surmonter ces obstacles, des associations proposent des ateliers destinés aux enfants et aux adultes, favorisant une mobilité responsable et autonome à bicyclette.
Dans le milieu professionnel, la petite reine s’impose également. L’association nationale les boîtes à vélo encourage l'entrepreneuriat à vélo en France, promouvant ce mode de transport comme une solution viable et écologique pour les entreprises.
Je suis passé au vélo-cargo, plus remorque, qui permet de transporter, pratiquement jusqu'à 300 kilos de charge par transport.
Adrien Pitault, Chef d'entreprise à Vélo 37
Les livraisons à vélo présentent certaines limites en termes de volume transporté, mais offrent également des avantages notables. Le vélo circule plus librement et plus facilement qu'un camion, souvent bloqué dans les embouteillages, tout en respectant l'environnement et en minimisant les nuisances sonores.
Et demain ? L'Avenir de la mobilité durable
De nombreux projets sont en cours pour repenser les déplacements. Parmi eux, un train léger innovant de trente mètres, décarboné et avec une desserte très renforcée, pourrait offrir des passages toutes les quinze minutes. Ce concept est envisagé comme une extension future des RER de province, actuellement en phase d’imagination autour des grandes villes.
À la SNCF, Draisy, un petit train de la taille d’un bus, entièrement électrique et sur batterie, pourrait réduire les coûts et permettre de proposer un plus grand nombre de trains dans les campagnes.
La navette rail-route Flexy, quant à elle, est destinée aux lignes moins fréquentées. Ce train d’un nouveau genre, de quatorze places, 100 % électrique et sur batterie, utiliserait la route pour faciliter l'intégration du ferroviaire.
Enfin, testée en circuit fermé à Châteauroux, la flotte de navettes autonomes Keolis devrait être déployée fin 2026 ou début 2027.
La vie sans voiture ? Vouloir et pouvoir
La transition vers une mobilité durable exige de revoir nos mentalités et de transformer les infrastructures disponibles. Pour que cette évolution soit efficace et touche le plus grand nombre, il est crucial d'adopter de nouvelles habitudes de déplacement tout en améliorant les alternatives au transport automobile.
Il reste encore du chemin à parcourir, et la voiture ne disparaîtra pas de sitôt. Cependant, en ajustant nos comportements et en développant les options de transport, nous pouvons ouvrir la voie à un avenir plus durable.
Le documentaire "La vie sans voiture ?" d'Hervé Brèque et de Lucie Mizzi, coproduit par Tandem Image, France 3 Centre-Val de Loire et TV Tours-Val de Loire sera diffusé le jeudi 19 septembre à 23.05 sur France 3 Centre-Val de Loire. À voir en avant-première et à retrouver en replay sur france.tv.