Fausses accusations d'enlèvements d'enfants, mais vraies violences contre la communauté Rom. Depuis plusieurs jours, la Seine-Saint-Denis est le théâtre d'une rumeur délétère, qui rappelle celle d'Orléans, en 1969, contre des commerçants juifs .
Une vingtaine de gardes à vue, des policiers blessés, des Roms mollestés, des incendies, tout cela est le fruit d'une rumeur qui s'est répandu ces derniers jours à travers le nord-est de l'Ile-de-France et tout particulièrement la Seine-Saint-Denis. En dépit de multiples démentis officiels, la communauté Rom est soupçonnée de rapts d'enfants et de nombreux témoignages se propagent sur les réseaux sociaux pour tenter de crédibiliser cette thèse mensongère.
Un fait-divers dû à l'emballement des réseaux sociaux et qui rapelle la plus célèbre rumeur de l'histoire contemporaine, celle d'Orléans.
Le grand Edgar Morin analyse la #rumeur des #Roms kidnappeurs d'enfants : "Ça ranime les croyances et les préjugés que les Roms sont des voleurs. S’ils volent des poules, on se dit qu’ils volent aussi des enfants." - https://t.co/fJjSxWZ7Wd via @le_Parisien
— Stéphane Perret (@stperret) 28 mars 2019
La rumeur d’Orléans
En avril et mai 1969, des "bruits" évoquent la disparition de femmes dans des cabines d’essayage de plusieurs magasins du centre-ville d'Orléans. La particularité de ces magasins est d'être détenus par des juifs.
La rumeur est rocambolesque puisqu'elle se répand avec des précisions risibles : les jeunes femmes enlevées seraient droguées puis conduites, par des sous-terrains, jusqu’à la Loire, où les attendraient des sous-marins !! Ces pauvres victimes présumées étaient ensuite "emmenées vers de lointaines contrées pour être livrées à la prostitution…".
Le journaliste Henri Blanquet, qui travaillait alors à la République du Centre, avait rapidement qualifié la rumeur de "grotesque" et avait publié des articles démentant toutes les allégations.
Une rumeur issue d'un livre
En dépit d'écrits et de démentis, notamment de la Préfecture qui publie un communiqué expliquant qu'aucune disparition n'a été signalée à la police, cette "rumeur d'Orléans" enfle pendant tout le mois de mai 1969. Elle va même se répandre dans d'autres villes, Paris, Amiens, Tours, Poitiers et quasiment toujours à l'encontre de la communauté juive de France.
A Orléans, la rumeur s'éteint, progressivement, au cours du mois de juin 1969 et ce n'est qu'à la fin de cette année là qu'on s'apperçoit, grâce aux travaux de sociologues dirigés par le romancier Edgar Morin, que la "Rumeur d'Orléans, s'est entièrement construite sur le scénario d'un livre. Un ouvrage publié en français au début de l'année 1969, "L'esclavage sexuel" aux Presses de la Cité, du journaliste britannique Stephen Barlay, qui décrit un fait-divers survenu en 1968 à Grenoble.
Autre vidéo diffusée sur l'antenne de France 3 Centre-Val de Loire en novembre 2009. Un magazine long format qui retrace la rumeur d'Orléans :
Bibliographie :
Edgar Morin, La rumeur d’Orléans, Seuil, collection « L’histoire immédiate », Paris, 1969. Présentation, INA.