Une mère dépose plainte pour violences intrafamiliales et se fait retirer la garde de sa fille

Le tribunal des enfants d'Orléans a ordonné en mai dernier le placement de Louise, 2 ans et demi, après que sa mère a porté plainte contre son ex-compagnon pour des soupçons de violences sexuelles sur sa fille, puis pour harcèlement et violences conjugales.

"C'était une petite fille très épanouie, sociable, avec beaucoup d'humour, toujours pétillante." Pauline Bourgoin* se souvient avec émotion des mois qui ont précédé le début de son cauchemar. Une époque où, séparée de son ex-compagnon, elle gardait quasi exclusivement leur fille Louise*. Et puis une succession d'évènements aboutit à ce que, le 24 mai, le tribunal des enfants d'Orléans décide de placer l'enfant, 2 ans et demi, loin de ses deux parents.

Cette histoire, Pauline Bourgoin l'a d'abord racontée dans les colonnes de L'Humanité, avant de recevoir ce mardi 13 septembre une équipe de France 3 Centre-Val de Loire. Les raisons de cette médiatisation : faire entendre la voix d'une mère désemparée face à la justice, et à une décision de "placement abusif", selon les mots de son avocate, maître Pauline Rongier. 

Soupçons de violences sexuelles

Au mois de janvier 2022, Pauline Bourgoin est séparée du père de sa fille. La naissance de cette dernière lui avait donné "la force de le quitter", explique-t-elle. À cette époque, le couple semble fonctionner à l'amiable, le père gardant la petite Louise un week-end sur deux. Et puis, un jour, la crèche de l'enfant écrit à la mère. "On me signale que ma fille tremble au moment du change, qu'elle panique et dit avoir peur de quelqu'un qui n'est pas à la crèche." Les responsables de l'établissement soupçonnent tout de suite des violences sexuelles. Plus tard, l'enfant semble révéler un inceste de la part de "papa", sans que Pauline ne sache si cela désigne son ex-compagnon ou son nouveau compagnon, rencontré entre temps.

S'ensuivent alors signalement à la cellule de recueil des informations préoccupantes et visite à l'hôpital d'Orléans. Ainsi qu'un entretien avec des référentes des services sociaux du Loiret, qui encouragent la mère à porter plainte :

Je voulais porter plainte contre X, je ne suis pas enquêtrice, je leur ai dit que j'avais peur de représailles. Mais elles m'ont dit de désigner les deux suspects. Que si je n'étais pas capable de protéger ma fille, elles en parleraient au juge des enfants.

Pauline Bourgoin

De violences conjugales à conflit parental

Entre temps, le père "demande des comptes" sur les suspicions de violences sexuelles. Encouragée selon elle par les services sociaux, Pauline Bourgoin ne remet pas Louise à son père. "Lui va au commissariat, et dépose une plainte de disparition inquiétante de mineur.

S'en suit une période où "il me harcèle, pour savoir où j'habite". Car la jeune femme affirme avoir été victime de violences de la part du père de sa fille. Des "violences psychologiques au début, puis de plus en plus fréquentes et parfois physiques, témoigne-t-elle. Il passait ses nerfs sur moi." À tel point que "j'ai dû aller aux urgences pendant ma grossesse, j'ai eu un déclenchement de travail". Plus un dernier épisode, après la séparation, avec jours d'ITT.

Ce passif violent, la justice et les services sociaux du Loiret le prennent en compte, en l'intégrant dans ce qu'ils qualifient de contexte de "conflit parental". Dans un rapport, les services de la Protection maternelle et infantile du département estiment ainsi que ce conflit "est si intense que chacun tente d’obtenir de la petite fille des éléments pouvant incriminer père ou mère". La justice parle de son côté d'"instrumentalisation" de l'enfant par ses parents, les deux étant mis dos à dos dans leur parentalité.

Nier, attaquer, inverser

Car le père de l'enfant a, entre temps, demandé le placement de la petite fille. "Il disait que j’étais violente, agressive, dangereuse, que je savais pas me tenir", affirme Pauline Bourgoin. Pour son avocate, il s'agit d'un cas d'"auteur de violences conjugales qui essaye, post-séparation, d’atteindre au maximum sa conjointe en manipulant son entourage et les services sociaux".

C'est la stratégie "DARVO", un acronyme anglais "qui désigne le fait de nier, attaquer et inverser les rôles de victime et d'agresseur", explique une pétition lancée en ligne sur change.org pour dénoncer "les manipulations des violents conjugaux dans le système judiciaire". Dans de tels cas, "la situation de violence généralement de l’homme sur la femme, se retrouve résumée en un « conflit parental »", assure le texte signé par des associations de protection de l'enfance, des pédopsychiatres, des politiques et des juristes. 

Une théorie qui semble s'appliquer dans la pratique, pour le cas de Pauline Bourgoin. Selon son avocate, Pauline Rongier, il n'y a "tellement rien à reprocher à cette maman qu’on va prendre le moindre détail pour essayer de trouver des raisons à un placement". Il y a cet épisode où la petite Louise refuse d'attacher ses lacets, et où la mère ferait semblant de partir sans elle. Créant "un sentiment d'abandon", écrivent les services sociaux. Selon eux, la mère "se montre à l’écoute des besoins de sa fille, mais parfois dans l’excès". "Comment je pourrais être trop bienveillante ?", s'étrangle la jeune mère, dont "l'état psychique interroge" les services sociaux, écrivent ces derniers.

Ce rapport de la protection maternelle et infantile sert de base à la décision du tribunal des enfants d'Orléans le 24 mai, aboutissant au placement de l'enfant. "Les magistrats font ce qu'ils peuvent avec les moyens qu'ils ont, et ont tendance à beaucoup s'appuyer sur ces rapports" aux "préconisations prises trop rapidement", assure l'avocate. "On est devant un vrai problème de société."

"Garder le cap"

Après l'audience, la mère s'est "effondrée" :

Je suis rentrée chez moi, j’ai préparé sa valise avec son doudou. Et les services sociaux m'ont dit qu’ils étaient déjà allés la prendre, que c’était pas la peine d’amener son doudou. Je n’ai pas pu lui dire au revoir, lui expliquer la situation. Je ne pouvais même pas savoir avec qui elle était, où elle était. Le jour de la fête des mères, je n'ai pas eu le droit à un appel, à une photo.

Pauline Bourgoin

Après une période où les visites étaient d'une heure toutes les deux semaines, la jeune mère peut désormais voir Louise deux heures par semaine. Des moments précieux pour "se reconnecter, se retrouver", mais ponctués par "des pleurs quand je dois partir, et je dois garder le cap, partir en la laissant pleurer". 

Le Département a "toute confiance" en ses agents de l'ASE

Depuis la décision de placement, Pauline Bourgoin s'est soumise à une expertise psychiatrique. Ses conclusions estiment que la mère "ne présente pas de pathologie psychiatrique". Aucune "dynamique manipulatrice" n'a pu être mise en évidence, pas plus que d'éventuels "éléments psychopathologiques permettant d’affirmer qu’elle serait inapte à la parentalité". Simplement une "une symptomatologie en rapport avec les maltraitances qu’elle aurait subies". Qu'une mère ait été victime de violences pourrait-il être un motif de placement pour son enfant ? 

Contacté par France 3 Centre-Val de Loire, le Département n'a pas souhaité divulguer "les détails du contexte, des situations personnelles, et de ce qui conduit aux décisions". Le Département du Loiret tient à rappeler que le placement fait suite à une décision de justice et dit avoir "toute confiance en ses agents de l’ASE, qui travaillent en pluridisciplinarité, pour le bien de l’enfant et dans l’accompagnement des parents". L’objectif des professionnels est de "ne pas rompre les liens familiaux et de permettre un retour de l’enfant dans sa famille lorsque les conditions seront réunies."

Le 23 septembre, se déroulera une audience en appel dans cette affaire. Associations de protection de l'enfance et soutiens de Pauline Bourgoin prévoient un rassemblement devant le palais de justice.

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