Protection de l'enfance : le Loiret redresse la barre après des années de conflit

Le rapport de la Cour des comptes sur la protection de l'enfance, mené entre 2016 et 2018, révèle des failles préoccupantes dans la gestion de la protection de l'enfance. Le département assure être, depuis, reparti du bon pied.

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"On a trouvé que ce rapport était objectif, pas inutilement critique" estime Jacky Guérineau, directeur général adjoint des services au conseil départemental du Loiret.

Entre 2016 et 2018, la chambre régionale de la Cour des comptes a passé au peigne fin les comptes et les activités de Association Interdépartementale pour le Développement des Actions en faveur des Personnes Handicapées et Inadaptées (Aidaphi). Peu connue du grand public, cette association fait office d'opérateur de la protection de l'enfance dans tous les départements de la région, à l'exception de l'Indre-et-Loire.

Dans le cadre de cette opération de contrôle, la gestion des départements eux-mêmes est observée de près. Logique, quand on sait que 85% des financements de l'activité de protection de l'enfance de l'Aidaphi viennent des conseils départementaux. Les 15% restants sont pris en charge par la Protection Judiciaire de la Jeunesse, un organe ministériel. C'est la première fois que la Cour des comptes s'empare de ce sujet, pour la simple raison que la protection de l'enfance ne faisait pas partie de ses compétences jusque 2016.

Dans ce document, présenté en deux cahiers, la chambre régionale pointe régulièrement du doigt le département du Loiret. Entre 2016 et 2018, elle a fait plusieurs constats préoccupants.

"Aucun Projet pour l'enfant n'est présent dans les dossiers"

Premier exemple, la Cour des comptes fustige le manque de rigueur administrative au sein du dispositif CAERIS, l'un des services de l'Aidaphi, qui prend en charge aussi bien l'hébergement de jeunes placés que l'accompagnement de familles en difficulté sans placement de l'enfant.

"La chambre ne peut se prononcer sur la prise en charge des enfants confiés au CAERIS, les dossiers de l’établissement étant, en l’état, non auditables. Ces dossiers, très mal tenus, notamment pour les enfants placés (...) doivent pourtant refléter la prise en charge effectuée" constate l'autorité financière.

Autre ombre au tableau : l'absence, dans les dossiers, d'un document essentiel au suivi des enfants placés appelé Projet Pour l'Enfant (PPE). Cette fiche de suivi a été rendue obligatoire par une loi datant du 5 mars 2007 et vise à garantir le "développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social" de l'enfant. Pourtant, 14 ans après, "l’examen de 120 dossiers d’enfants pris en charge en 2018 (...) choisis de façon aléatoire, a montré qu’aucun projet pour l’enfant n’était présent dans les dossiers. (...) L’élaboration des PPE par les départements demeure à un stade embryonnaire" et ce en dépit des obligations légales.

La Cour des comptes met aussi au jour un conflit lancinant entre le département du Loiret et son opérateur de protection de l'enfance. Toujours dans le cadre du dispositif CAERIS, le département du Loiret a refusé un montant cumulé de 1 532 968 euros. "Ce déficit et ces refus de charges proviendraient essentiellement d’une divergence entre le département et son opérateur s’agissant de l’accueil des enfants hébergés ne retournant pas dans leurs familles le week-end et lors des vacances scolaires."

Dans les locaux d'accueil, "l'insalubrité" et les risques incendie

Plus inquiétant encore, lors d'une visite tardive, en 2019, "l’attention de la chambre a été attirée par l’état de vétusté, voire d’insalubrité, des locaux du CAERIS de Pithiviers, loués par l’association à la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Loiret. Ces locaux accueillent notamment les travailleurs sociaux en charge des mesures de placement à domicile et reçoivent les familles et enfants concernés par ces mesures". Pire, enfonce la Cour, "le président de l’association indique avoir sollicité à de nombreuses reprises, sans succès, la CCI sur la question de la salubrité des locaux du site de Pithiviers", sans résultat.

Mais le paragraphe qui soulève les questions les plus sérieuses est sans doute celui sur la situation incendie du foyer de Yèvre-la-ville. En 2016, une inspection constate un risque élevée de propagation du feu dans le bâtiment, et surtout l'absence d'une alarme pouvant être entendue dans l'ensemble de la structure. En clair : "si les occupants ne sont pas en mesure d'évacuer rapidement, ils pourront être piégés dans leur chambre."

Le risque est clair, pourtant, mais le département s'est refusé en 2016 et en 2017 d'entreprendre des travaux, et a rejeté en 2018 les coûts d'un nouveau projet de relogement. Dans l'impasse l'Aidaphi s'est résolu à accueillir deux enfants de moins, "afin de ne plus relever de la règlementation s'appliquant aux Etablissements Recevant du Public" et engagé des démarches pour une nouvelle solution de relogement.

La cour des comptes conclut : "aucun document complémentaire n’a été transmis permettant d’attester que les risques relevés par la commission de sécurité en 2016 ont été levés."

Des constats qui n'ont "plus rien à voir avec la réalité"

Il se trouve que la date de début des contrôles, 2016, est aussi une année charnière : le département change de présidence. Selon le président de l'Aidaphi, Jean-Louis Lebray, de nombreux blocages ont été levés de ce simple fait. "Les relations que nous avons aujourd'hui avec le département du Loiret sous la présidence de M. Gaudet sont des relations en cours de régularisation, avance-t-il prudemment. Sous la précédente mandature, on ne peut pas parler de conflit, on peut parler d'absence totale de dialogue, avec des décisions autocratiques, sommaires et sans explications, qui ont dégradé complètement les fonctionnements."

Lourd dossier donc, pour leurs successeurs. Lourd de plus d'un million d'euros. "Le problème que le département et nous-mêmes avons en ce moment, c'est de rattraper ce déficit, et c'est en cours d'étude. Malheureusement, les choses sont difficles, prennent du temps, surtout quand on atteint des sommes pareilles. Il y a vraiment un changement de politique qu'on apprécie beaucoup, mais qui n'a pas encore porté ses fruits compte tenu des retards accumulés."

"La période de contrôle de la chambre s'appuie sur quelque chose qui n'a plus rien à voir avec la réalité de nos relations" abonde Jacky Guérineau, du conseil départemental.

Il a accepté de revenir point par point sur ces dysfonctionnements, et d'abord sur ce fameux déficit. "Des dépenses avaient été engagées par l'association, et le département n'estimait pas qu'elles lui étaient opposables. C'étaient des règles à l'époque qui s'appliquaient lorsqu'un enfant était absent plus de 72h, il y avait de la facturation. La question qui posait problème, c'est : "à partir de quand compte-t-on 72h ?"... Le changement de gouvernance de part et d'autre fait que ce genre de sujets n'existe plus."

Il reconnaît également un retard d'adaptation concernant la rédaction des Projets pour l'enfant. "Le texte date de 2007, mais il y a ensuite eu les décrets d'application, puis l'élaboration d'un modèle national, puis la mise en oeuvre progressive. C'est un changement complet d'approche. L'Aidaphi, comme d'autres associations, ont eu du mal à se mettre dans cette nouvelle configuration, et effectivement, au moment où la Chambre a demandé l'historicité de ces dossiers, elle a constaté qu'ils étaient pas tout à fait conforme. Ça n'a rien d'extraordinaire au vu de la complexité du sujet."

Depuis, des remises à niveau sur l'intérêt et la rédaction des PPE ont été efficacement menées. "Maintenant c'est ce qui sert aux magistrats pour prononcer les décisions relatives à l'intérêt des enfants", en veut pour preuve Jacky Guérineau.

Le département pressé de passer à autre chose

Sur les questions d'insalubrité et de risque incendie, le mot d'ordre semble être également de regarder vers l'avant. "Suite à ces visites [au CAERIS de Pithiviers], a été mis en place le placement à domicile, qui a permis de sortir de la logique immobilière, pour entrer dans la logique d'intervention au sein des familles. Il y a tout de même un projet en cours d'élaboration avec l'Aidaphi pour reconfigurer une offre résidentielle sur Pithiviers" résume le directeur général, sans expliquer comment la situation d'insalubrité a pu persister jusque 2019.

Concernant l'établissement de Yèvre-la-ville et malgré l'exposition au moins temporaires d'enfants placés à un risque incendie, le département maintient ses refus de travaux dans le bâtiment. "Il n'était par ailleurs plus adapté à la prise en charge des jeunes. D'où le travail fait par l'Aidaphi pour proposer une nouvelle offre résidentielle, qui est en cours de finalisation. Leur proposition doit faire l'objet d'une expertise prochainement".

Pour renforcer encore son offre et son action, le Loiret espère doubler au deuxième semestre le nombre de jeunes accompagnés par le dispositif PARI, conçu pour éviter les "sorties sèches" des dispositifs de protection de l'enfance une fois la majorité atteinte. Deux assistants sociaux vont également être prochainement recurtés dans les gendarmeries, afin de mieux détecter et prendre en charge les violences intrafamiliales.

 

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