Un squelette retrouvé dans un logement : qu'est-ce que le syndrome de Diogène dont la victime était atteinte ?

Le corps d'un homme en état de décomposition avancé a été retrouvé à Gien dans le Loiret le mercredi 4 septembre. Il souffrait du syndrome de Diogène, trouble du comportement caractérisé par l'accumulation d'objets et l'isolement social. Quelles sont ses origines ? Jusqu'où peut-il mener ? Comment accompagner les personnes qui en souffrent ? Entretien avec Pierre Ludosky, président de l'association "Survivre à l'insécurité-Diogène asso".

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Ce mercredi 4 septembre, le squelette d'un homme a été retrouvé dans son appartement rue de Paris à Gien. "Une enquête a été ouverte par le Parquet pour vérifier l'identité de la personne, déterminer les causes de la mort et vérifier l'absence de l'intervention d'une tierce personne dans ce décès", a expliqué, Jean-Cedric Gaux, procureur de la République Montargis. 

L'homme souffrait du syndrome de Diogène. Un trouble du comportement qui peut entraîner un isolement social, une négligence d'hygiène et de santé en plus de l'accumulation d'objets. 

Le terme de syndrome de Diogène a été défini en 1975 par deux gériatres anglais. Phénomène bien connu, mais très peu étudié, il résulte d’une forme extrême de syllogomanie (accumulation compulsive). L’appellation a été donnée en référence au philosophe grec Diogène, connu pour son comportement d’ermite et son manque d’intérêt pour les objets matériels.

Ce syndrome toucherait une personne sur 2 000 en France.

Après avoir rencontré pendant dix ans des personnes souffrant de ce trouble du comportement, Pierre Ludosky a fondé l'association Diogène asso "Survivre à l'insécurité" pour les aider à s'en sortir durablement.  

  • France 3 Centre-Val de Loire : Combien de personnes souffrent du syndrome de Diogène en France ?

Pierre Ludosky : Donner des statistiques sur ce trouble est assez complexe sauf en se rapprochant des pompiers et des policiers. Selon leurs chiffres, on approche environ 4 à 6 % de la population française. Mais les personnes touchées par ce trouble sont nettement plus nombreuses. Je considère après quinze ans de recherches et d'expérience avec ces personnes que c'est réellement un fléau. 

  • France 3 :  Quelles sont les origines de ce trouble ? 

P L : Il s'agit d'un trouble du comportement. Il peut se créer très tôt dès la conception de l'enfant, pendant la grossesse. Si la mère subit des épreuves pendant cette période et qu'elle vit une insécurité émotionnelle, cela va se traduire par des questionnements comme "Pourquoi ces personnes qui me font subir ces épreuves n'ont-elles n'ont pas de considération pour moi et pourquoi ne m'aiment-elles pas ?" L'état d'insécurité émotionnelle de la mère est transmis à l'enfant in utero. Une mère transmet toutes ses émotions à l'enfant sans le savoir. Avec ces questionnements, il y a un sentiment de désamour, d'abandon et de trahison si personne n'a aidé la mère pendant qu'elle affrontait ces épreuves. À la naissance, il y aura un mal-être chez l'enfant puisque ces trois sentiments seront en lui sans savoir pourquoi.

  • France 3 : À quel moment le syndrome de Diogène se déclenche-t-il et pourquoi ?

P L : Heureusement, les êtres humains ont la faculté de pouvoir occulter les choses pour pouvoir avancer dans la vie. La personne va l'occulter pendant son enfance, son adolescence, des études, son premier emploi, même jusqu'à fonder une famille. Quand la personne va avoir un choc émotionnel, le trouble que la personne avait en elle va se développer. Cela peut être la perte ou l'éloignement d’un ami, une séparation, un divorce, un problème au travail. Là, il y a un recul en arrière brutal parce que la personne est démunie. 

  • France 3 : Comment expliquer l'accumulation d'objets chez soi de façon irrationnelle ? 

PL : Quand il est démuni, l'être humain a besoin d'un refuge, d'une bouée de sauvetage, d'un bouclier de protection. Les personnes souffrant du syndrome de Diogène choisissent alors inconsciemment les objets parce qu'ils ne trahissent pas, ne mentent pas, n'abandonnent pas. Pour la personne, ces objets sont devenus humains. Il a du mal à accepter qu'on puisse les lui soustraire. Il a une histoire avec chacun de ces objets. Il se confie à eux. Il y a un lien qui se crée avec eux. 

  • France 3 : Quel est le point commun entre les personnes souffrant du syndrome Diogène ? 

 PL : Elles sont dotées d'une grande capacité de développement intellectuel et d'une grande sensibilité. Elles sont incomprises dans la société. Ce trouble peut toucher des personnes issues de toutes les catégories socioprofessionnelles. Beaucoup sont très bien insérés professionnellement. Leur trouble ne se voit pas à l'extérieur. Il peut y avoir des médecins, des chefs d'entreprise, des journalistes. Elles ont totalement conscience de leur trouble, mais développent une forme de dissimulation pour pouvoir s'en sortir. 

  • France 3 : Si elles réussissent à s'insérer dans le monde du travail, pourquoi constate-t-on régulièrement un isolement social ? 

P L : Il est très difficile pour ces personnes de fonder une famille parce qu'elles ont peur de ne pas être comprises et d'être abandonnées. Donc, elles quittent souvent leur partenaire avant de construire quelque chose. C'est le moyen qu'elles ont trouvé pour se protéger. 

France 3 : Leur habitation est souvent insalubre du fait de l'accumulation d'objets. Qu'en est-il de l'absence d'hygiène et de soins ?

P L : Ces personnes sont maniaques à la base, il faut le savoir. Mais cela devient insalubre parce qu’elles se méfient de tout le monde et n'ont confiance en personne. Elles se retrouvent donc démunies. S'il y a un dégât des eaux, plutôt que d'appeler un plombier, elles vont couper l'eau et n'ont donc plus d'eau pour se laver et laver leur logement. 

Quant à l'absence de soins, elle s'explique de la même façon par la perte de confiante en autrui. Notamment des personnes qui représentent l'autorité comme le médecin, l'assistante sociale ou le maire. Ce n'est pas qu'elles ne souhaitent pas se soigner. Elles ont vécu une souffrance provoquée par un autre humain. Ce qui a entraîné cette perte de confiance en l'autre et cette incapacité à demander de l'aide. 

  • France 3 : Quels sont les risques pour les personnes souffrant du syndrome de Diogène ? 

PL : Si elles ne sont pas aidées, ces personnes sont un danger pour elles et pour les autres parce qu'il y a un risque d'incendie perpétuel, de dégât des eaux, de se blesser sans pouvoir appeler les secours. Elles risquent aussi d'être mises à la rue à cause de l’insalubrité. Il est donc urgent de les aider mais pas avec une personne représentant l'autorité. Il faut quelqu'un de neutre pour établir un lien de confiance. C'est ce que fait notre association. 

  • France 3 :  En quoi consiste l'aide que vous leur apportez ?  

P L : Notre objectif n'est pas les aider à déblayer chez eux, mais de les aider à comprendre, à accepter l'aide et à ne plus recommencer. Nous souhaitons les aider durablement. Vous pouvez vider leur maison complètement, il y aura autant de choses dans six mois parce qu'ils ont perdu ce qui les protégeait. Si on ne comprend pas ça, on crée de la souffrance perpétuelle.

  • France 3 : Alors que faire concrètement ?

PL : Pour les aider, il faut leur démontrer que nous sommes en mesure de comprendre ce qui leur arrive. Comme nous connaissons leur trouble et que nous ne représentons pas l'autorité, lorsqu'on leur explique ce qui leur arrive, la confiance va se créer entre elle et nous. C'est le plus important vu qu'ils se méfient de tout le monde. La porte ne s'ouvrira qu'une fois la confiance établie. Nous leur disons que nous sommes là pour les aider, mais pas pour les dénoncer. Ils sont en mesure de savoir si vous êtes sincères ou pas. Une fois la confiance établie, ils peuvent vous inviter à rentrer chez eux s'ils le souhaitent. Mais la plupart du temps, on se rencontre dans un endroit neutre et ensuite, on met en place un suivi. Une personne avec qui nous signons une convention pour faire le ménage nous tient au courant de l'évolution des choses. Nous sommes au courant de tout ce qui se passe. Quand le suivi est mis en place, la réparation de la personne commence.

  • France 3 : Combien de temps faut-il pour s'en sortir ?

P L : Chaque humain réagit différemment. Mais la personne avec qui cela a pris le plus de temps était un général de l'armée. Il était rigide et le plus difficile a été d'entrer en contact avec lui puisqu'il accepte que sa maison soit remise en ordre. Ensuite, le suivi a commencé. Il a fallu deux mois. Mais il s'en est sorti durablement et il a retrouvé ses enfants et ses petits-enfants après des années sans s'être vus. 

En cinq ans, l'association Diogène asso "Survivre à l'insécurité" a accompagné 2 000 personnes. La plupart s'en sont sortis durablement. Au départ, ce sont les familles qui appelaient. Aujourd'hui, ce sont de plus en plus des personnes souffrant du syndrome qui appellent l'association. 

L'association fondée par Pierre Ludosky reçoit une trentaine d'appels par jour. Avec ses quinze collaborateurs, elle intervient partout en France. Reconnue d'utilité publique, elle ne reçoit pas de subventions de l'État. 

Pour contacter Diogène asso "Survivre à l'insécurité", appeler le 01 80 91 46 40 ou par mail accueil@diogene-asso.org. 

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