Municipales 2020: pas de candidats à Bourges, Chartres ou Orléans, quelle est la stratégie du Rassemblement national ?

L'absence du RN dans plusieurs grandes villes de la région est-elle un aveu d'échec ? Loin de là. Plus qu'un coup médiatique, le parti cherche à étendre son maillage sur le territoire. 

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"C'est très pragmatique : on va là où on a une chance. Faisons des listes plus petites, et occupons l'espace" résume le politologue Arnaud Ardoin. Pour ces municipales 2020, le Rassemblement National part en campagne, et on voit des trous dans la raquette. Pas de liste à Orléans ? Pas de liste à Chartres ou Bourges ? Pas si grave. 

Car le RN, ex-Front National, fondé en 1972 par l'ancien Waffen-SS Pierre Bousquet et Jean-Marie Le Pen, ne viserait pas le symbole. Le RN vise le volume. La progression. "Je vois leur stratégie comme un peu cynique et marketing. Je pense que le RN préfère aller chercher son électorat là où il est, les Français "oubliés", qui se sont sentis délaissés" avance Arnaud Ardoin.
 

Boucler sa liste, la première difficulté

Pour Michel Chassier, responsable régional, difficile de parler d'un vrai plan de bataille. "Ce n'est pas vraiment délibéré de ne pas se présenter dans certaines villes. On essaie d'être présent mais c'est parfois plus difficile, selon le contexte local", reconnaît-il. Pour lui, la difficulté principale n'est pas de trouver son électorat, c'est trouver une tête de liste. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le RN a dû jeter l'éponge à Orléans.
 
"Certains de nos adversaires sont malgré tout dans un système, dans des carrières politiques. Nous, à l'échelle de la région, on n'a aucun parlementaire, aucun professionnel de la politique. Les gens de la société civile doivent faire avec leurs contraintes, et c'est une difficulté" juge Michel Chassier, qui reprend la réthorique anti-système coutumière du parti.

Car malgré l'entreprise de dé-diabolisation entreprise par Marine Le Pen depuis 2011, le parti d'extrême-droite n'est pas tout à fait un parti comme les autres. 

A Mainvilliers en Eure-et-Loir, par exemple, le candidat Hervé Lancelot n'a pas encore bouclé sa liste. Une quinzaine de colistiers manquent à l'appel. "Les gens ne se sentent pas en démocratie et ont peur d'exprimer publiquement certaines idées , peur de représailles. A tort, je pense, puisque ceux qui étaient sur la liste il y a six ans n'ont pas eu de problèmes particuliers à ma connaissance" avance-t-il.

Toujours en Eure-et-Loir, à Courville-sur-Eure, Sandra Desaever a finalement réussi à rassembler des troupes, non sans mal. "Dans les rues environnantes, beaucoup de gens m'ont fait la tête, reconnaît celle qui, il y a peu, était conseillère municipale au sein de la majorité divers-droite. "Simplement, ça fait 45 ans que j'habite à Courville, les gens me connaissent, j'ai participé à beaucoup d'associations. Ce n'est pas parce que je suis soutenue par le RN que j'ai changé. Je suis toujours Sandra. Et maintenant, ça fait 1 mois et demi, les gens se remettent à me dire bonjour."

La mission a été plus facile pour Aleksandar Nikolic. Responsable départemental d'Eure-et-Loir, il fait campagne à Saint-Rémy-sur-Avre, une petite commune de 4000 habitants. "On a fait du porte-à-porte, diffusé un questionnaire, puis des gens nous ont rejoint, contactés. Saint-Rémy est une petite commune, ce qu'on propose pour la ville se sait vite. Des gens ont adhéré à nos mesures très concrètes, des gens qui parfois ne votent pas RN au niveau national ont été convaincus" raconte le jeune candidat. 
 

Le pari de l'ultra-local


Le Rassemblement National l'a bien compris : inutile de jouer les grandes postures et les grandes philosophies. Que veut savoir un électeur qui vote pour son maire ? Si sa vie quotidienne va s'améliorer. Les programmes des candidats RN visent l'ultra-concret. Construction d'un skate-park gratuit et accompagnement des personnes âgées pour Sandra Desaever. Meilleure vidéoprotection, création d'un chèque-cadeau uniquement utilisable chez les commerçants locaux, pour Aleksandar Nikolic. Entre autres exemples. 
 

Les thématiques brandies par Marine Le Pen lors des élections d'ampleur nationales sont mises en sourdine, comme par exemple l'immigration. "Ils attaquent de côté, avertit Arnaud Ardoin. Quels sont les enjeux de ces municipales ? La sécurité, la propreté, l'emploi, le climat. Ils se disent : la sécurité, ça c'est chez nous ! Pas assez de policiers, pas assez d'autorité. ça leur permet de dérouler un peu leur idée. Derrière l'insécurité, il y a l'immigration."

A Courville-sur-Eure, Sandra Desaever estime que, sur, ce sujet, "je n'ai pas de problème. On n'est pas énormément touchés, faut quand même être honnête. Je ne subis pas ce que certains subissent à Lucé. C'est un thème cher au RN, mais à Courville, du moment que tout un chacun se comporte normalement, je ne suis pas pour fermer ma ville."

"S'opposer à l'immigration, ça ne veut rien dire d'un point de vue municipal,
balaie de son le responsable départemental Aleksandar Nikolic. Le thème de l'identité peut être important en revanche, même à l'échelle communale, nuance-t-il. Je pense par exemple aux repas de substitution, qui séparent les enfants dès 3 ans sur leur manière de manger alors qu'une mairie républicaine ne doit pas s'adapter à une loi théologique." 
 

La rhétorique RN bien présente


La question des repas de substitution, sans porc ou végétariens, est une polémique régulièrement relancée par le Rassemblement National depuis près de 10 ans. La président du Rassemblement National affirmait ainsi en 2012, et en 2014, que le porc avait disparu des établissements scolaires et que certaines cantines étaient forcées de servir un menu halal. De fausses informations depuis dénoncées comme telles. 

"Je laisse le national, je me concentre sur Mainvilliers, le reste n'est pas mon problème, affirme pour sa part le candidat de Mainvilliers, Hervé Lancelot. Sur l'immigration, il y a un enjeu, il est réel, il faut le traiter de façon intelligente et c'est ce que je compte faire". Il enchaîne sans transition avec un discours sur "une myriade d'associations subventionnées et dont [il] ne comprend pas l'activité ni les objectifs", sans vouloir les nommer. Là encore, le conflit entre les élus RN et le milieu associatif n'est pas nouveau. C'était le cas en 2015, à Mantes-La-Ville, où la nouvelle mairie RN a retiré à la Ligue des Droits de l'Homme un local qu'elle occupait à titre gratuit. La même année, à Beaucaire, dans le Gard, le nouveau maire alors FN Julien Sanchez retire ses subventions à la Maison du Vivre Ensemble. Plus emblématique : à Hayange, le maire Fabien Engelmann a de nouveau essayé, en 2019, de faire expulser le Secours Populaire de ses locaux, après avoir déjà perdu deux procès pour le même motif. 

"Je ne vois pas comment mieux accueillir en accueillant plus, alors que nos structures sont saturées, poursuit Hervé Lancelot. Je vous parle d'associations qui ne font pas bien les choses : est-ce qu'elles en ont les moyens ? Pas forcément. Est-ce qu'on peut leur donner plus de moyens ? Pas forcément non plus." 1

Engagement ultra-local, éloignement des thèmes clivants, recherche précise de sa base électorale... Le parti de Marine Le Pen peut-il gagner ? "Le RN aura toujours une difficulté : dans le cas des triangulaires, ils perdent. Mais ils pourront jouer les arbitres à certains endroits. Sur ces petites et moyennes communes, ils vont progresser, mais ils n'arracheront pas de grosse commune" anticipe le politologue Arnaud Ardoin. 

En 2014, le vote Front National avait progressé partout en France, permettant au parti d'être présent dans une centaine de triangulaires, et de remporter des bastions emblématiques comme Béziers ou Hénin-Beaumont. 
Note au lecteur
1 Ces propos concernant la capacité d'accueil de la ville de Mainvilliers et le financement des associations sont en cours de vérification auprès des organismes concernés. Ce papier sera amendé en conséquence lorsque nos équipes auront de plus amples informations.
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