Plus facile ou plus dangereux ? L'expérimentation d'un numéro d'appel d'urgence unique divise

La proposition de loi "Matras", consacrée à la sécurité civile, prévoit notamment la sacralisation du 112 comme numéro d'appel d'urgence unique, le temps d'une expérimentation de 3 ans. Une expérimentation qui sème la zizanie chez les professionnels, et jusque dans les rangs de la majorité. 

Nouvel échelon bureaucratique ou solution miracle ? Depuis déjà de nombreuses années, le projet de numéro d'appel d'urgence unique fait débat, à la fois dans la société française et dans les hémicycles du Parlement. Une proposition de loi -déposée par le député LREM Fabien Matras- viendra remettre une énième fois le sujet sur le tapis.

Le texte, qui entre ce mercredi 26 mai à l'Assemblée en séance publique, vise à "consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs‑pompiers", selon son titre très officiel. Il "contient plein de petites dispositions pour améliorer le traitement des flux, apporter de la mixité dans les organes dirigeants, planifier des plans inter-communaux", ajoute le député LREM d'Eure-et-Loir Guillaume Kasbarian, co-signataire du texte.

Et, parmi ces "petites dispositions" se trouve l'article 31 : la mise en place "pour une durée de trois ans" d'"une expérimentation visant à instituer un numéro unique d'appel d'urgence", afin de "faciliter et d'accélérer l'accès aux services d'incendie et de secours, aux services de police et de gendarmerie, aux service d'aides médicales d'urgence" et d'"améliorer la prise en charge des personnes".

"Moins efficace voire dangereuse"

Dans le cadre de cette expérimentation, dont les contours sont encore flous, les traditionnels 15-17-18 s'effaceraient au profit de l'européen 112. Dans certains pays membres de l'UE, comme la Suède, le Danemark ou les Pays-Bas, le 112 est ainsi déjà le numéro d'urgence unique, à l'image du sacro-saint 911 américain. 

Preuve pour Guillaume Kasbarian que l'idée est fonctionnelle : "On ne parle pas de quelque chose de futuriste, ça marche ailleurs. Donc il faut le tester" pour rendre "l'accès aux secours plus clair".

Pourtant, la simple expérimentation du numéro unique fait face à une levée de boucliers de 250 signataires d'une tribune, publiée ce dimanche 23 mai dans le JDD. Des signataires médecins, urgentistes et professionnels de Samu-Urgences de France. Le texte estime, à l'inverse des estimations des parlementaires, que "consacrer le 112 comme numéro d'appel d'urgence unique pour tous les services reviendrait à faire le choix d'une réponse à la fois moins efficace voire dangereuse et plus coûteuse pour le contribuable".

Philippe Chalumeau, député d'Indre-et-Loire (lui-aussi LREM) et médecin régulateur au SAMU de l'hôpital Trousseau à Tours "depuis 15 ans", a signé cette tribune, et s'en explique :

Le fantasme du numéro unique qui va résoudre tous les problèmes, je n'y crois pas. C'est ce qu'on avait à Tours, et on a fini par tout reséparer.

Philippe Chalumeau, député LREM d'Indre-et-Loire

Guerre de chapelles ou expérience de terrain ?

Ainsi, il y a quelques années, "les appels des pompiers et du SAMU arrivaient au même endroit, et les pompiers avaient l'impression de faire le travail des infirmières". Résultat : "Aujourd'hui, on a un numéro centralisé de santé qui fonctionne très bien, et je ne suis pas sûr que les pompiers seraient contents si on revenait au numéro unique".

Pour le député de l'Indre-et-Loire, le problème de la proposition de loi est son caractère "national". "Il y a des territoires qui ont besoin d'organisation et de centralisation parce que ce n'est pas aussi carré" que dans le 37, reconnaît-il. De là à en faire une mesure généralisée... 

"Régulateur pour le SAMU ou pour les pompiers, c'est un métier, et je ne pense pas qu'on puisse être bon en tout", estime Philippe Chalumeau. Ainsi, le 112 ne sera, selon lui, qu'une "interface de plus, qui redirigera ensuite vers le SAMU ou les pompiers". Avec, selon lui, un temps d'accès aux secours allongé.

Des critiques que Guillaume Kasbarian balaie complètement : "Le sujet est traditionnellement une guerre de chapelles entre médecins, urgentistes et pompiers." Il considère le refus en bloc du numéro unique comme une position "dogmatique", et souhaite laisser sa chance à l'expérimentation. "Même les plus grands professionnels peuvent être démentis par une expérimentation, qui n’est jamais une perte de temps, assure-t-il. Elle infirmera ou confirmera certaines craintes, et on en tirera les conclusions."

Vers un numéro spécifique pour la santé ?

De son côté, Philippe Chalumeau et la tribune parue dans le JDD militent plutôt pour un numéro unique "urgences santé" distinct des services de police-gendarmerie et des pompiers. Et le député de l'Indre-et-Loire considère que la meilleure solution pour mieux coordonner SAMU et pompiers est... la cohabitation géographique. "Si un urgentiste a besoin de parler avec un pompier et qu'ils sont dans les mêmes locaux à 10 mètres, c'est beaucoup plus facile." Sans pour autant sacraliser le 112.

D'autant que le texte estime que le numéro unique est "incompatible avec le grand projet de réorganisation des soins en cours de déploiement dans les territoires : le service d'accès aux soins (SAS)". Le SAS, c'est une plateforme médicale d'urgence qui regroupe urgentistes et généralistes, en expérimentation dans une vingtaine de territoires en France (deux devraient bientôt voir le jour dans l'Indre et en Indre-et-Loire respectivement).

Pour les signataires, SAS et numéro "urgences santé" sont compatibles, voire destinés à se compléter. Le sujet ne manquera pas d'être abordé en séance publique à l'Assemblée nationale. La première phase de débats, entamés aujourd'hui, se clotureront vendredi.

 

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