Printemps de Bourges, les rappeurs dans le texte : Columbine - Episode 3

Alors que les noms pour la salle hip-hop du Printemps de Bourges ont été dévoilés, nous avons rencontré trois artistes à l'affiche pour nous plonger avec eux dans leurs textes. Ce dernier épisode est consacré au jeune duo Columbine 

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Le 11 décembre, le Printemps de Bourges a dévoilé la programmation très, très enthousiasmante de sa salle hip-hop. Columbine, Alpha Wann, Vald, et d'autres artistes qui ont marqué l'année 2018 de leur empreinte. 

A l'occasion de ces annonces, nous avons rencontré trois de ces artistes à l'affiche. Le but : nous plonger, avec eux, dans leurs textes, du début de leur carrière à aujourd'hui.
 

Episode 3 : Columbine


Notre série se termine avec Columbine. Ce jeune collectif rennais, créé en 2014, est porté par deux têtes d'affiche : Foda C et Lujipeka. Leur dernier album, Adieu bientôt, a été adoubé disque d'or en novembre. Ils préparent, pour le 19 avril, une réédition avec 10 titres inédits, intitulée Adieu au revoir

Pour cette rencontre, nous avons choisi 4 textes : 

- Clubbing for Columbine (Clubbing for Columbine, 2016)
- Les prélis (Clubbing for Columbine, 2016)
- Fireworks (Enfants terribles, 2017)
- Adieu bientôt (Adieu bientôt, 2018)

Clubbing for Columbine, les paradoxes du trash


Sexe, alcool, sécrétions diverses... Le morceau éponyme du premier album de Columbine serait probablement un grand point d'interrogation pour toute autre génération. A moins de s'y plonger pour de vrai. 

"L'idée du son vient d'une anecdote sur la tuerie de Columbine. Juste avant, les deux tueurs étaient allés au bowling. Là, au lieu d'être allés au bowling pour leur dernière nuit, ils sont allés en club", éclaircit Foda C.

L'influence de Bowling for Columbine, le documentaire de Michael Moore sur le drame, est finalement très ténue. "Je l'ai même jamais vu, sourit Foda, et c'est moi qui ai trouvé le titre de l'album ! C'était un trip d'ado, un peu comme certains sur Scarface. L'esthétique autour, ce truc un peu rétro-américain, c'est plus ça qu'on a voulu construire."

"C'est pas une apologie de la tuerie,
précise son accolyte, Lujipeka. C'est juste très fort en symbole. En sortant du lycée, on cherchait quelque chose de corrosif. Il y avait aussi toute l'incompréhension autour des rapports sociaux : comment comprendre que deux mecs en arrivent là ? Au final, s'il doit y avoir une influence, c'est plus Elephant, de Gus Van Sant."
 
"C'est marrant qu'on parle de cet album, gamberge le jeune homme. On nous en a jamais parlé... Il est bizarre, presque inexistant. Pour quelqu'un qui nous découvre, il est assez hardcore. C'était propre à une époque, on était jeunes. Je valide pas à 100% tout ce qu'on a pu dire, mais ça faisait partie de nous. Sans regrets."

Depuis, l'aspect trash a été mis de côté, presque abandonné. Une question de maturité, mais pas que. "C'est aussi que les meilleures blagues sont les plus courtes, ajoute Foda. Au-delà de la bienpensance, une blague mysogine, ça me fait plus rire. Avant, tu pouvais jouer ce côté du mec dégueulasse, si la punchline était bien tournée. Mais ça a tellement été fait, on veut du renouveau."

"C'est pas là qu'on est bons",
conclut Lujipeka. 
 

Les prélis : "J'ai pas de plan B"


"Odeur de gaz", "souffrance", "fautes"... Columbine rassemblait tous les éléments pour surfer sur la vague du loser magnifique, ce personnage connu du rap, exploré en particulier par les Casseurs Flowters ou Hippocampe Fou. Mais non.

"On fait de la trap, tranche Foda. Stylistiquement parlant, les artistes que t'as cité ont pas passé ce cap-là." 

"C'est pas des rôles qu'on veut, complète Lujipeka. On est dans quelque chose de sincère : tout le monde passe par des phases d'échec, il faut juste savoir si tu vas en parler dans ta musique. Si tu es dans l'égo-trip, non, mais c'est pas notre cas."

Difficile, au fond, de synthétiser un morceau de Columbine. "On a toujours fait nos sons comme des puzzles, il n'y a pas un seul prisme d'interprétation. D'ailleurs, les 3/4 des paroles, j'y ai pas réfléchi en les écrivant. Dans l'absolu, ça veut rien dire. C'est poétique : l'association de mots te parle, ou pas. Un son, c'est aussi une transcendance" assume Foda.

Lujipeka confirme : "Là où "Clubbing" avait un grand thème, la plupart de nos morceau ne parlent pas d'un seul truc. Moi, je vois ça comme un cadavre exquis. On arrive à notre quatrième projet, on pourrait commencer à avoir des thèmes de prédilection, mais on arrive à se renouveler. On fait quelque chose d'introspectif et de contemplatif."
 
Contemplatifs, mais loin d'être oisifs. Car les deux acolytes le chantent dans ce morceau de 2016 : "A part Columbine, j'ai pas de plan B". 

"C'est toujours le cas,
relève Lujipeka. Mais surtout à cette époque-là, où on se lançait. C'était vraiment en mode : on veut pas faire d'études, on va donner tout ce qu'on a, ça passe ou ça casse."

"Non, moi j'étais sûr que ça allait passer
, coupe Foda. J'avais confiance. Quand tu te compares aux autres... On savait que ça allait marcher, mais pas de quelle manière. Et c'est vrai que, ok, tu as un clip qui fait un million de vues, et pas d'opportunités derrière, et tu te dis : mais en fait, c'est quoi le succès ?"
 

Fireworks, les abîmes du succès


Enfants Terribles, c'est l'album qui a fait décoller Columbine. Il est certifié disque d'or 8 mois après sa sortie. C'est l'album de la tournée. "J'm'en fous qu'tu m'reconnaisse, j'attends qu'on me dise : "Vous l'avez fait, ça y est", chante Lujipeka sur ce morceau d'ouverture. C'est claire, Columbine n'est pas là pour le petit succès. 

Foda se passe la main sur la mâchoire. "Le truc qui m'énerve le plus, c'est que quand les gens fantasment ton succès. Ils sont impressionnés à ta place par ce que tu vis. Tu vois que tu peux supporter ce qu'eux n'arriveraient pas à supporter. Ils sont là "Oh, c'est pas trop dur ?" Et t'as envie de leur dire que nan, qu'on peut prendre plus." 

"Il y a des caps qu'on n'a pas encore passés, concède Lujipeka. On n'a pas encore eu de single qui aurait retourné la France, que tout le monde connaît. C'est à ça qu'on tend, si ça nous arrive, tant mieux."
 
Ils n'ont peut-être pas retourné la France, mais ils retournent souvent leurs jeunes fans. "Quand c'est sincère, ça touche, reconnaît Luji, ému. Mais je prends du recul. Quand les gens te voient, ils aiment bien extrapoler. Je me souviens d'un mec qui m'avait fait marrer, à la Réunion. Il était allé voir toute l'équipe en disant : "ah ce son-là, il m'a sauvé !" Et en fait il a dit la même chose à quelqu'un d'autre pour un autre morceau. Faut pas le prendre au premier degré, sinon tu te prends pour le messie (rires)."

Même prudence du côté de Foda. Lui se souvient avoir reçu chez lui une lettre de fan... scannée à plusieurs membres du groupe. "Il y a ce truc un peu, où t'es plus vraiment une personne. T'es la représentation de ton groupe, un objet."
 

Adieu bientôt, une nouvelle approche


Adieu bientôt arrive après le remue-ménage de la tournée Columbine et le déluge - sincère ou non - des attentions. Pas un peu dur, de rebondir dans ces conditions ? 

"Il y a toujours des phases où tu réfléchis à ta musique,
presque trop, raconte Foda. A un moment, tu as ce déclic qui fait que tu peux écrire 15 sons et après ça, tu es obligé de repartir en réflexion."

"Il y a eu une période d'un an où on n'a pas fait de sons, après Enfants Terribles. Il a fallu une nouvelle approche, pour se décoincer un peu, reconnaît Luji. Il a fallu apprendre à faire plus vite, et plus trier. Ça nous a ouvert à une nouvelle façon de faire de la musique."

Nouvelle, la musique de Columbine l'est certainement. C'est peut-être pour cela qu'elle est aussi clivante. Le groupe attire autant de fans sincères que d'énergiques détracteurs. "Je pense que les gens qui nous détestent ont beaucoup de préjugés, réfléchit Luji. Ça peut être battu, faut pas être trop pressés non plus. Des gens un peu extérieurs au projet peuvent être convaincus en concert, par exemple."

Foda C, lui, a une autre piste. "Aujourd'hui, on est dans l'ère du single : tu fais un son, il est immédiat. Un son d'album, qui dure 4 minutes, sans refrain, on dirait déjà de l'expérimental. Plein de gens n'ont pas ces codes, d'artistes à l'ancienne, ou conceptuels. Quand ils nous écoutent, on trouve ça bizarre. Mais c'est normal de travailler sur un album, une histoire, un concept."
 
"Dis pas qu'j'ai d'la chance" avertit Columbine dans ce morceau, à la lumière de leurs heures de travail. "On quand même charbonné fort, proteste Luji. On fait que ça, tout le temps ! Y'a pas de weekend quand t'es dedans. Moi, je considère pas que c'est de la chance. Il faut pas se dire que c'est que de la musique. Quand on avait 17 ans, on faisait des choix stratégiques de merde, mais on avait conscience qu'il fallait une stratégie !"

Image, clips, prod... Tout est calibré chez le jeune groupe. 

"On est hyper gentils avec plein de gens qui démarrent dans la musique autour de nous, mais au fond de nous, on sait que c'est mort : on les baby-sitte, regrette Foda. Tu vois les mecs qui rechignent, qui se trouvent des difficultés rien que pour charger un logiciel, l'installer, et faire un morceau. Nous ça fait dix ans qu'on bosse, et on n'est même pas encore des musiciens. Les gens ne se rendent pas compte des efforts quand tu pars de zéro." 

"Et puis, conclut Luji, les mecs qui ont eu de la chance, ils existent pas sur la durée."
 

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